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Ces nobles croyaient que toutes les faveurs, tous les grades devaient leur appartenir. N'étaient-ils pas de haute naissance? Qu'importe le mérite, du moment qu'on est hautement titré ?

J'ai du bien, je suis jeune, et sors d'une maison
Qui se peut dire noble avec quelque raison;

Et je crois par le rang que me donne ma race,
Qu'il est fort peu d'emplois dont je ne sois en passe.

C'est un marquis de comédie qui prononce ces sottes paroles; mais cette fatuité était commune à tous les vrais marquis. Dès l'âge de 18 ans, le jeune homme de famille. achète une compagnie, un régiment; par les faveurs de cour, il arrive ensuite à commander les armées.

Louvois ne put empêcher ce trafic des grades; mais il obligea les jeunes nobles à apprendre leur métier avant de devenir officiers. Des écoles de cadets furent fondées où l'on enseignait les principes de l'art militaire. L'ordre du tableau fut établi. Pour arriver à être général, les hautes protections devinrent insuffisantes: il fallut de longs et loyauX services. Le plus ancien colonel, inscrit sur la liste ou tableau d'ancienneté, arrivait de droit au grade supérieur. Excellente mesure qui permit au mérite de percer quelquefois. Un petit gentilhomme, Vauban, un fils de bourgeois, Catinat, purent obtenir le bâton de maréchal.

Le roi avait donc des officiers fidèles, consciencieux et instruits; mais quelle confusion présentait l'armée ! Le capitaine achète sa compagnie; le trésor royal lui avance une somme d'argent pour payer, nourrir, vêtir et armer ses hommes. Qu'arrivait-il? Bien des soldats ne figuraient que d'une façon nominative sur les états. Tout absent deyenait une source de profit pour le capitaine peu scrupuleux. Un jour de revue, averti d'avance, l'officier prenait des paysans, des vagabonds, les affublait d'un costume militaire. L'effectif pour un instant se trouvait au complet; mais, au moment de la bataille, bien clairsemés étaient les rangs. Louvois proscrivit impitoyablement l'usage de ces soldats d'un

jour ou passe-volants. Des inspecteurs généraux furent nommés; ils arrivaient inopinément dans les villes, dans les camps; sûrs de l'appui du roi, ils passaient de sévères et minutieuses inspections.

D'ailleurs, tous les services furent réorganisés. Chaque régiment eut son uniforme; l'intendance fut améliorée, l'armement perfectionné. Dans les compagnies, il n'y a plus de porteurs de piques, plus de porteurs de mousquets : l'invention de la baionnette à douille permet à chaque soldat d'avoir un fusil, c'est-à-dire une arme à la fois offensive et défensive.

Le magnifique hôtel des Invalides fut construit sur un plan grandiose il était destiné à recevoir les soldats mutilés sur les champs de bataille. Jusqu'alors, ces vieux serviteurs avaient été abandonnés à la charité publique.

Louvois réunit, arma et instruisit une formidable armée. Un moment la France eut 400,000 hommes sous les armes. Force extraordinaire depuis le temps où la Rome impériale imposait ses lois à l'univers, jamais on n'avait vu des troupes d'hommes disciplinées obéir si nombreuses à la volonté d'un seul maître.

Enfin, un grand ingénieur, Vauban, arrivé par sa science

1. Douille, partie creuse et cylindrique d'un instrument en fer qui permet de le fixer à un manche, comme pique, baïonnette, bêche, etc...

2. Sébastien le Prestre, seigneur de Vauban, appartient à une pauvre famille de petite noblesse : « La fortune m'a fait naître, disait-il, le plus misérable gentilhomme de France. »

Son infatigable ardeur pour le travail le fit bien vite remarquer. Il devint ingénieur et organisa le corps du génie. Ses services signalés le firent nommer maréchal de France.

Il se distingua dans l'attaque des villes Ville assiégée par Vauban, disait-on, ville prise. » Il ne voulait pas d'effusion inutile du sang des soldats. Au siège de Valenciennes, Louis XIV ordonnait de brusquer l'attaque; Vauban s'opposa courageusement à la volonté royale; le siège dura quelques jours de plus; mais la place capitula sans qu'il y eût aucune vie humaine sacrifiée sans nécessité.

Vauban a doté la France d'un excellent système de fortifications. Notre frontière du Nord, qui n'est nullement défendue par la nature, est ouverte. L'habile maréchal la couvrit d'une triple ligne de citadelles. Ces places fortes ont sauvé la France de l'invasion à la fin du règne de

au grade de maréchal de France, hérisse la France de fortifications. Notre frontière du Nord, si vulnérable, devient << un pré carré » qui, dans les jours de malheur, peut défier les assauts répétés de toute l'Europe coalisée contre la France.

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8. Influence de Colbert et de Louvois sur Louis XIV. - Tels ont été les deux grands ministres de Louis XIV au commencement de son règne. Le roi, sans se laisser dominer par ces hommes de haute valeur, subit cependant leur influence.

Au commencement, Colbert fut puissant sur l'esprit de son maître. Ce sage administrateur voulait une France grande et prospère, jouissant en paix du fruit de son travail. Colbert fut le bon ange de Louis XIV. Mais le jeune roi, que sa force enorgueillissait, se lança bien vite dans les entreprises guerrières. L'honnête ministre mourut découragé, presque disgracié (1683). « Si j'avais fait « Si j'avais fait pour Dieu ce que j'ai fait pour cet homme, disait-il à son lit de mort, je serais sauvé dix fois! »

Louvois, dès ce moment, devint le confident complaisamment écouté. Il fut le mauvais ange de Louis XIV. Organisateur de génie, le ministre de la Guerre était un soldat dur et impitoyable. Puisqu'on possède la force, pourquoi ne pas s'en servir pour opprimer, écraser les faibles, les pacifiques?

Louvois sut flatter l'orgueil de son maître. Il l'entraîna dans des guerres désastreuses qui ruinèrent la France, dans des entreprises peu louables qui nous firent haïr de

Louis XIV, et pendant les guerres de la Révolution. D'ailleurs Vauban enseigna l'art de les défendre: Ville défendue par Vauban, ville imprenable.

Ce grand homme de guerre a été aussi un grand citoyen. A la fin du règne de Louis XIV, ce cœur sensible fut affligé en voyant l'extrême misère du peuple. Dans le livre de la dime royale, il eut le courage d'indiquer un remède aux maux. Malgré les éminents services rendus, il mourut disgracié. L'historien Saint-Simon a vengé la mémoire de cet honnête homme, en inventant pour lui le mot glorieux de patriote.

1. Pré carré, pré large et vaste sur lequel on peut facilement se battre et repousser les attaques d'un adversaire.

l'Europe entière. C'est Louvois qui ordonna l'horrible incendie du Palatinat; c'est Louvois qui poussa aux mesures de rigueur contre les protestants.

Pour le malheur de la France, Louis XIV s'est laissé séduire par le génie du mal : « J'ai trop aimé la guerre », telle fut sa dernière parole. Au moment de comparaître devant Dieu, le juge des monarques, le grand roi avouait combien la France eût été heureuse si les prudents conseils de Colbert, son ministre de la paix, avaient toujours dirigé sa politique!

RÉSUMÉ

Le premier soin de Louis XIV, dès qu'il gouverne par luimême, est de disgracier son peu scrupuleux contrôleur des finances, Fouquet.

Il cherche ensuite à donner la grandeur et la sécurité à la France. Deux hommes de génie l'aident dans cette tâche difficile: Colbert et Louvois.

Colbert réorganise les finances, améliore le sort des paysans, vient en aide à l'industrie en la protégeant, commence la création d'un vaste empire colonial, crée une puissante marine et lui donne de nombreux matelots, grâce au système de l'inscription maritime.

Louvois réunit une puissante armée de 400,000 hommes; secondé par Vauban, il protège nos frontières par une barrière imprenable de places fortes. Il oblige les nobles à obéir, leur fait apprendre le métier militaire dans des écoles de cadets, supprime les privilèges de la naissance, en instituant l'ordre du tableau ou de l'ancienneté. L'hôtel des Invalides est construit.

Colbert a été le génie du bien de Louis XIV, en voulant faire fleurir les arts de la paix; Louvois a été le mauvais génie de son maître, en le poussant à entreprendre des guerres

ruineuses.

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GUERRE DE FLANDRE ET DE HOLLANDE.
TURENNE ET JEAN BART.

1. État de l'Espagne. Que va faire Louis XIV de cette formidable armée solidement organisée par Louvois, des nombreuses flottes créées de toutes pièces par Colbert? Il lui aurait fallu une modération extraordinaire pour renoncer à l'ambition de se signaler qu'ont tous les princes jeunes et puissants. Une riche proie s'offrait en effet l'Espagne faible et abattue.

L'Espagne était encore ce prodigieux vaisseau dont la proue était dans la mer des Indes, et la poupe dans l'Océan Atlantique; mais le vaisseau avait été démâté, désagréé, échoué à la côte dans la tempête du protestantisme. Un coup de vent lui avait enlevé le Portugal... Ce qui restait, vaste et imposant, mais inerte, immobile, attendait sa ruine avec dignité 1. »

La tentation était trop forte; on n'avait qu'à étendre la

1. MICHELET, Précis de l'histoire de France.

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