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A propos de l'emprunt Morgan.

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Qu'est-ce qu'une conversion?

Le remboursement de la rente est légal.

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la réduction de la rente. Les réductions arbitraires. Une satire de Boileau. La banqueroute de 1798.

Le trois pour

cent et la loi de 1825. Conversions forcées de 1852 et 1862. La soulte. Résultats de ces conversions pour l'État et pour les rentiers.

Qui ne se souvient de la conversion, opérée en 1875, de l'emprunt Morgan? Personne n'ignore dans quelles conditions elle a été décidée et quelle en est l'origine.

Cet emprunt faisait partie de la dette de l'État, et avait été contracté par le gouvernement français pendant la désastreuse campagne de 18701871. L'intérêt qu'il rapportait était de six pour cent; or, une loi votée par l'Assemblée nationale, sur la proposition du ministre des finances, autorisa le Trésor a en opérer la conversion en cinq pour cent, laissant aux possesseurs de ces titres la facilité d'en réclamer le remboursement au pair.

Qu'entend-on, me direz-vous, par la conversion de la rente, et comment se fait cette opération?

Rien n'est plus facile à comprendre, et l'expli cation suivante en fera saisir, croyons-nous, la portée.

Quand un État emprunte, soit pour équilibrer ses budgets, soit pour entreprendre des travaux reconnus d'utilité publique, il est obligé de subir les exigences de ses prêteurs et d'offrir, en échange des sommes qu'il demande, des avantages qui varient suivant sa situation financière, la confiance qu'il inspire ou la quantité des capitaux disponibles.

Il en résulte qu'à certaines époques l'intérêt qu'il doit servir pour ses emprunts atteint des taux élevés, parfois fort onéreux pour les contribuables qui, en fin de compte, sont obligés d'y faire face par des augmentations d'impôts.

Mais aussi, en contractant ces dettes, le gouvernement se réserve le droit de les rembourser à son gré ou d'en diminuer l'intérêt quand il le juge convenable, c'est-à-dire lorsque la prospérité du pays, activée par un travail soutenu, est venue grossir les caisses du Trésor, lorsque le crédit public repose sur des bases solides et qu'une paix assurée et glorieuse permet à l'industrie et au commerce de s'étendre et de grandir.

Alors voici ce qui se passe l'État s'adresse à ses créanciers et leur dit : « Quand j'ai fait appel à vos capitaux, j'ai dù, pour mériter votre confiance, vous offrir un intérêt rémunérateur, élevé même; mais, aujourd'hui, par suite de la prospérité générale, les capitaux disponibles sont devenus considérables et l'intérêt de l'argent a baissé. Conserver le taux élevé que je vous ai servi jusqu'ici serait trop lourd pour nos budgets; aussi

viens-je vous proposer une réduction de l'intérêt ou, à votre choix, le remboursement de votre créance. >>

C'est là ce qu'on nomme une conversion.

Eh bien, cette opération s'est reproduite à l'oc casion de l'emprunt Morgan.

Ainsi que nous l'avons exposé plus haut, cet emprunt avait été contracté à six pour cent; or, l'État profitant du rétablissement de son crédit, a proposé aux détenteurs de ces titres de ne leur plus servir qu'un intérêt de cinq francs par cent francs, ou de leur rembourser leur créance au pair, c'est-à-dire de leur donner cent francs par six francs de rente.

Mais, penserez-vous peut-être, cette opération n'était pas honnête, car elle a dû causer à un grand nombre de rentiers des pertes très-sensibles.

L'emprunt a, en effet, été émis au cours de 85 francs et, à l'heure où s'effectuait la conversion, il dépassait 106 francs. Si la conversion donnait un bénéfice à ceux qui avaient acheté de la rente à des prix inférieurs à 100 francs, elle causait aux autres qui avaient dépassé ce cours un déficit plus ou moins sensible. Était-il juste que ces der

niers acheteurs fussent seuls victimes d'une mesure qui les appauvrissait, et pourquoi supportaient-ils une perte tandis que les premiers, au contraire, bénéficiaient d'une différence notable?

A cela, nous répondons que le Gouvernement qui opère cette conversion ne fait tort à personne. En empruntant, il ne s'est engagé que pour un

capital déterminé au delà duquel il ne doit rien. Que, par suite de l'amélioration du crédit, de la confiance qu'inspirent les placements de ce genre, sa créance ait subi le sort de tous les objets soumis à la spéculation et ait atteint des prix supérieurs à sa valeur première, peu lui importe; les fluctuations du marché ne lui créent aucune obligation et, lors du remboursement, il n'est tenu à payer que la somme consignée dans son contrat primitif.

Il résulte donc de ces dispositions que, pour que le remboursement de la rente, sa réduction ou sa conversion, toutes expressions équivalentes, soit acceptable, il faut que les possesseurs de cette rente aient le choix entre cette conversion ou le remboursement au pair.

Autrefois cette formalité était peu respectée, et l'histoire financière de l'ancienne monarchie nous donne de nombreux exemples de violations de contrats et de réductions de rentes effectuées par surprise, sans le consentement des parties intéressées. Lorsque le Trésor était obéré et que les caisses publiques ne pouvaient suffire aux dépenses énormes de l'État, une ordonnance intervenait soudain, frappant les rentes d'une réduction quelquefois très-sensible, et les rentiers apprenaient un beau jour que leur revenu était diminué d'un tiers ou d'un quart.

Ces cas étaient fréquents, et Boileau y faisait allusion quand il écrivait ces vers satiriques qui sont universellement connus :

Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère ?
D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère,
Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier

A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier ?

Dans le cours du dix-huitième siècle, le gouvernement eut recours plusieurs fois à cet expédient contre lequel protestaient les économistes et les rentiers et dont l'abus contribua beaucoup à diminuer la confiance publique dans le crédit de l'Etat. Et enfin, après l'horrible désordre amené dans la richesse nationale par les émissions successives d'assignats, le gouvernement révolutionnaire décréta la conversion forcée des dettes de l'État en tiers consolidé.

Depuis le commencement du siècle ces faits ne se sont plus renouvelés. Une notion plus exacte des lois du crédit, jointe à une organisation plus régulière du système financier, a fait entrevoir les dangers de l'arbitraire.

La dette publique est respectée, mais l'État s'est réservé le droit de rachat, comme les particuliers, et ce principe a reçu à plusieurs reprises la consécration de la loi.

L'histoire de nos conversions de rentes ne remonte qu'à cinquante ans, et la première opération de ce genre a été exécutée, en 1825, sous le ministère de M. de Villèle. La loi, en autorisant cette conversion, la rendait purement facultative pour les rentiers, qui avaient le choix de demander du 3 pour cent ou du 4 1/2 à volonté, ce dernier

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