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sont donc des faits naturels qui n'obéissent en aucune façon à l'arbitraire, et qui sont déterminés par des événements souvent en dehors de toute prévision.

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Tout salaire se compose de deux parties trèsdistinctes qu'il importe de ne pas confondre si l'on veut avoir une idée exacte de son importance: ce sont la valeur réelle et la valeur apparente; d'où la distinction des salaires en réels et en nominaux.

Le premier s'entend de la quantité de choses utiles ou de valeurs en usage que le travailleur peut obtenir de l'entrepreneur comme rétribution de son travail.

Le second, c'est-à-dire le salaire nominal, comprend la quantité d'argent que l'ouvrier reçoit du patron qui le paie.

On comprend que cette distinction entre les deux salaires n'a d'intérêt que lorsqu'il s'agit de comparer deux localités différentes, et qu'elle est complétement indifférente s'il s'agit du même lieu et du même temps. Si par exemple on avance que les ouvriers d'un état, à Lyon ou à Marseille,

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gagnent 5 francs par jour, tandis que ceux d'un autre ordre ne perçoivent que 2 fr. 50, il sera facile de conclure que les premiers touchent le double des seconds, ou, si l'on préfère, qu'avec leur salaire les uns peuvent se procurer deux fois autant de choses utiles que les autres.

Mais la comparaison sera nécessaire, si nous étudions le salaire dans deux endroits éloignés ou à des époques différentes, et, dans ce cas, le salaire réel deviendra la vraie mesure des salaires pour les ouvriers.

Ainsi 5 grammes d'argent ou 1 franc peuvent être plus à Pékin que 15 grammes d'argent ou 3 francs à Paris. Si, par suite du peu d'élévation de prix des subsistances et des objets de nécessités, l'on peut se procurer en Chine trois fois plus de marchandises qu'en France avec le même salaire, il sera vrai de dire que la travailleur chinois, malgré l'apparente infériorité de son salaire, est payé trois fois plus que celui de France : si les dépenses sont les mêmes, c'est-à-dire si chacun d'eux avec ce qu'il reçoit vit aussi bien que l'autre, le salaire sera identique.

N'entendons-nous pas avancer tous les jours qu'on est plus riche avec 15,000 francs de rente dans une ville de province qu'avec 30,000 à Paris? Cela est souvent très-exact. Que signifie ce langage? Que les besoins étant moins nombreux ou bien qu'étant les mêmes, ils sont moins dispendieux en province qu'à Paris, et qu'on peut, dans les deux cas, avec une somme qui diffère dans

la proportion de 1 à 2, obtenir autant d'utilité et autant de satisfaction.

Ces explications qui précèdent peuvent faire saisir l'énorme différence qui existe entre les deux espèces de salaires et combien il importe d'abord de fixer le salaire réel et de s'en rendre compte. Malheureusement c'est là un fait sur lequel un grand nombre d'ouvriers ne s'appesantissent pas suffisamment. Que de fois il nous a été donné de voir de ces âmes naïves se laisser éblouir par le récit qu'on leur faisait de la situation de certains travailleurs sur des points différents soit d'une même contrée, soit d'une autre hémisphère, et, sans chercher à calculer ce que valait dans ces positions différentes le prix de la vie, envier leur sort, et commettre la faute impardonnable d'abandonner la proie pour l'ombre, de risquer le pain de chaque jour pour tenter une fortune le plus souvent trompeuse.

Nous pourrions multiplier à ce sujet les exemples: il nous suffira toutefois de rappeler l'espèce d'attrait que l'Amérique a exercé et exerce encore, quoique à un degré moindre, sur les esprits superficiels. Dans ce pays, pour des causes économiques qu'il serait trop long d'énumérer ici, la puissance de l'argent est de beaucoup inférieure à ce qu'elle est dans nos pays, et les salaires y sont par conséquent plus élevés. Il n'est pas rare d'y voir des ouvriers ordinaires toucher un revenu journalier moyen de 5 dollars ou 25 francs; mais avec cet argent, par suite de la cherté

des objets nécessaires à la vie, ils ne peuvent acquérir plus d'utilités que les ouvriers français qui perçoivent 5 francs par jour; de telle sorte que celui dont le salaire s'élève en France à 6 francs gagne plus que les travailleurs américains dont le prix de la journée de travail est coté à 25 francs.

L'inégalité des salaires a souvent été le thème de dissertations erronées et de théories dangereuses. On a cherché à présenter ce fait essentiel à la nature même des choses et des hommes, comme la conséquence des lois sociales ou de l'égoïsme de certaines classes, et, partant de ce principe, on a cru trouver le remède au mal en sapant la société pour la reconstituer sur d'autres assises.

L'inégalité des salaires s'explique cependant d'elle-même. Il est incontestable qu'il y a une différence notable entre le travail de certaines personnes et celui de certaines autres; par conséquent il doit exister un écart équivalent entre leur rétribution respective. Or, cette différence peut provenir de la difficulté du travail à exécuter, de l'intelligence que ce travail exige de la part de son auteur, ou bien encore de la défaveur que l'opinion ou le préjugé attache à son accomplissement.

Il est évident qu'il y aurait une grave injustice à confondre ensemble l'ouvrier qui se lève le matin à cinq heures pour se livrer au travail le plus ingrat et le plus rude, travaille douze ou

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