Page images
PDF
EPUB

dans la capitale. La plupart des obstacles qui jadis l'arrêtaient en chemin avaient été supprimés et les chasse-marées, protégés par les ordonnances, s'étaient organisés en corporations.

Colbert, qui avait concentré toutes ses pensées sur le commerce et comprenait l'impossibilité pour ceux qui s'y livraient de prospérer au milieu d'un semblable chaos, avait résolu de renverser tous les règlements disparates alors en vigueur dans les diverses contrées, d'abolir les douanes intérieures et de les remplacer par un impôt unique.

Il n'était pas de province qui ne fût surchargée de droits bizarres dont la multiplicité causait des abus et des récriminations. La Normandie, l'Anjou, le Poitou comptaient presque autant de systèmes d'impôts que de villages ou même de chemins. En Anjou on comptait entre autres droits cinq péages la traite foraine, les vingt sous par pipe de vin exportée, la traite domaniale d'Ingrande levée sur les cartes, papiers et pruneaux, le trépas de la Loire sur les vins, grains, toiles et pastels, la nouvelle imposition d'Anjou sur les marchandises qui montaient et descendaient la Loire, le droit de quinze sous par pipe de vin dans la sénéchaussée de Saumur.

((

<«< Il estoit presque impossible, a écrit Colbert, qu'un si grand nombre d'impositions ne causât beaucoup de désordres et que les marchands pussent en avoir assez de connoissance pour en démêler la confusion et beaucoup moins leurs facteurs, correspondants et voituriers, qui estoient tou

jours obligés de s'en remettre à la bonne foi des commis des fermiers qui estoit souvent fort suspecte. >>

L'ordonnance de 1669 supprima une grande partie de ces péages, et le ministre de Louis XIV s'appliqua, pendant tout le temps de sa glorieuse administration, à faire prévaloir l'esprit de justice dans la perception des droits et à donner au commerce toutes les facilités de circulation nécessaires à son extension et à sa prospérité.

Sa sollicitude, étendue à toutes les branches de l'industrie et de l'agriculture, donna à la richesse nationale une favorable impulsion, et malgré les tendances restrictives dont il ne se départit jamais en matière de commerce extérieur, il donna à Paris une importance jusque-là inconnue. On estimait, au dix-septième siècle, qu'il y avait dans la capitale deux cents marchands possédant plus de 500,000 livres et vingt mille jouissant d'une honnête aisance.

A la mort de Colbert, les abus tenus jusqu'alors en échec par cette main puissante reparurent. Une certaine catégorie de péages supprimés par Louis XIV furent rétablis avec ou sans le consentement du pouvoir et le nombre s'en accrut tellement, que les transactions recommencèrent à devenir languissantes.

L'agriculture surtout fut soumise à des taxes exorbitantes qui plongèrent les infortunés cultivateurs dans une affreuse misère et les réduisirent à un état d'abaissement voisin de l'abrutissement.

<< L'on voit, disait la Bruyère, certains animaux

farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et, en effet, ils sont des hommes, ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne point manquer de ce pain qu'ils ont semé. »

Ce tableau est peut-être un peu forcé, mais il démontre d'une façon saisissante les conséquences de ces impôts multiples, de ces péages innombrables auxquels était soumise la classe des paysans et des agriculteurs, et il suffit à expliquer les tendances d'opposition qui se manifestèrent dans le cours du siècle suivant.

Pendant le dix-huitième siècle, en effet, sous la pression des idées philosophiques et économiques nouvelles, le gouvernement se montra disposé à abolir les péages; une révision sérieuse des titres présentés par les propriétaires de péages permit d'en supprimer un grand nombre et de faire examiner l'opportunité des autres.

Louis XVI, à son avénement, avait accueilli avec empressement les projets de Turgot, et son cœur. compatissant avait adopté les réformes que son ministre lui proposait. Au lendemain de son avenement, il fit part publiquement de sa volonté;

mais le peuple avait tant souffert depuis plus d'un demi-siècle, que tout en admirant les belles qualités du roi, il n'osait encore s'abandonner à la confiance et à la joie.

Un jour, quelqu'un ayant écrit au bas de la statue d'Henri IV le mot latin resurrexit (il est ressuscité), faisant ainsi allusion à l'avènement de Louis XVI, un autre ajouta :

J'approuve fort ce mot,

Mais pour y croire, il faut la poule au pot.

Un troisième écrivit au-dessous :

Enfin la poule au pot sera donc bientôt mise;
On doit du moins le présumer;

Car depuis deux cents ans qu'on nous l'avait promise,
On n'a cessé de la plumer.

L'arrêt du conseil royal du 15 août 1779 ordonna néanmoins la suppression des péages, reconnaissant les inconvénients qu'ils présentaient et le peu d'importance des revenus qu'ils produisaient à l'État. L'exécution de cet arrêt ne se fit que lentement et difficilement, et la plus grande partie des abus qu'il visait existait encore lorsque. sonna l'heure de la Révolution.

La loi du 15 mars 1790, sapant dans sa base même l'institution féodale, supprima totalement les péages qui furent remplacés par certains droits considérés comme nécessaires pour l'entretien des ponts, des routes, des ports, des voies de halage, comme pour l'amélioration des voies navigables, et perçus, non en vertu de priviléges concédés à des particuliers, mais bien au nom de l'État.

XIX

Les salaires.

fixité.
l'association du travail et du capital.

Le salaire est la rémunération d'un service. Son origine. — Il est réellement un progrès sur le passé. Le salariat est la conséquence de la tendance de l'homme à la Erreurs du socialisme. Le salaire n'a pas rompu Le salaire obéit aux lois Il est réglé par le rapport de l'offre et de la - Influence de la population sur le taux des salaires. Les démolitions de Paris. Le ralentissement de la production provoque la variation des salaires.

du travail. demande.

Il n'est peut-être pas, dans l'ensemble de la vie économique, de sujet plus brûlant et sur lequel on ait échafaudé plus d'erreurs que celui des salaires. D'une part, l'ignorance des lois du travail et des conditions de l'existence sociale; d'autre part, l'envie, la débauche et les mauvaises passions ont fait de cette question le point de départ de revendications injustes et ont aveuglé à ce point certaines sectes, que le sens même du mot salaire a été par elles dénaturé. On s'est plu à représenter aux classes laborieuses le salaire comme un signe de servage, comme un stigmate infligé au travailleur par le capitaliste, au lieu de le montrer tel qu'il est, c'est-à-dire comme le résultat d'un contrat librement accepté, comme le produit d'un labeur volontaire, comme le fruit d'un échange mutuel de services.

En effet, qu'est-ce que le salaire, si ce n'est la rémunération librement offerte d'un côté, libre

« PreviousContinue »