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être rançonnés sans pitié à chaque carrefour ou à chaque bifurcation de route; heureux quand ils n'étaient pas totalement dévalisés par des péagers peu scrupuleux et assurés de l'impunité.

Les voyages étaient difficiles, en effet, et les routes mal gardées, même le jour. Quant à la nuit, le danger était tel que la loi renonçait à garantir le marchand qui se hasardait hors de sa demeure après le coucher du soleil.

Cet état de choses dura longtemps encore, jusqu'au jour où la royauté, appuyée sur les communes qui prenaient un immense développement, et victorieuse de l'esprit féodal, put faire sentir le poids de sa colère à ceux qui luttaient contre sa volonté et livrer à la justice les prévaricateurs et les seigneurs récalcitrants.

XVIII

Les

au seizième siècle pour diminuer le
Une ordonnance de François Ier.
Les communes se montrent plus libérales
Les droits sur les

Tentatives de la royauté
nombre des péages.
péages de la Loire.
que les seigneurs en matière de commerce.
vins à Paris. Les règlements de Colbert.
Anjou. Ce que Colbert pensait des péages.

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Les péages en

- A sa mort, les

abus reparaissent. - L'agriculture est écrasée d'impôts. — Une peinture de la Bruyère. Une réminiscence d'Henri IV. La poule au pot. - La Révolution de 1789 abolit les péages.

Au commencement du seizième siècle, la royauté fit de sérieux efforts pour arrêter la tendance des péages à se multiplier. Les plaintes des commerçants, dont le trafic était devenu pour ainsi dire impossible, avaient enfin trouvé de l'écho, et François Ier, en 1515, rendit une ordonnance portant que le cours de la Loire où se commettait le plus d'abus serait désormais libre, et que tous les péages non concédés par charte royale depuis cent ans au moins, seraient abolis.

Tous les propriétaires d'un droit quelconque durent remettre leurs titres entre les mains des officiers royaux, dans un délai de six semaines, sous peine d'annulation.

La Loire était, en effet, plus que tout autre fleuve, embarrassée d'obstacles sans nombre; à chaque pas, des moulins, des pêcheries, des barrages et des péages causaient aux bateliers des pertes de temps considérables, leur coûtaient des

droits exorbitants et souvent même faisaient courir à leurs bateaux de réels dangers. Les propriétaires riverains considéraient les eaux de la rivière comme leur propriété, et ils avaient inventé des droits de péage de tout genre sur les marchandises et sur les personnes, s'emparant des marchandises de ceux qui refusaient de s'y soumettre et parfois même emprisonnant les trafiquants.

La volonté du roi trouva de grosses oppositions, et l'ordonnance ne put être exécutée en son entier. Toutefois, les péages diminuèrent pour un temps, et le commerce éprouva quelque soulage

ment.

La réforme ne fut pas de longue durée : l'esprit féodal était trop vivant encore, et les péages furent rétablis sur la Loire comme ailleurs. On en créait partout, sans autorisation et sans limite, sous les ponts, sur les ponts, dans les carrefours, sur les routes. Au milieu même d'un sentier, il n'était pas rare de voir un paysan arrêté avec son âne ou sa voiture par une corde tendue, qui ne s'abaissait devant lui que moyennant un droit de passage, et ces vexations se renouvelaient à chaque instant.

A partir de cette époque, toutefois, les ordonnances se succédèrent plus menaçantes et plus fermes que précédemment. Le pouvoir royal s'affermissait peu à peu, et l'on sentait que l'unité monarchique assise sur des bases plus solides se préparait à briser les dernières résistances et l'orgueil de la féodalité mourante.

Le passé ne pouvait cependant disparaître entièrement, d'un seul trait de la plume royale, et malgré les efforts opiniâtres de Richelieu, puis de Colbert, les péages continuèrent à nuire au commerce et à paralyser les tendances progressives de nos industries. Ils furent, il est vrai, perçus avec moins de désordre et d'arbitraire, mais leur nombre n'en fut pas diminué et leur tarif subit au contraire une sensible augmentation.

Au dix-septième siècle, plus de cent ans après l'ordonnance de François Ier, il existait sur la Loire, qui communiquait dans son cours avec quatorze provinces, vingt-huit péages, depuis SaintRambert-en-Forey jusqu'à Nantes. La Saône et le Rhône, ces deux autres voies naturelles de communication entre dix grandes provinces, étaient soumis, de Gray à Arles, à trente péages qui s'élevaient en général à 25 ou 30 pour 100.

ne

Il se produisait ce fait bizarre que, par suite des droits arbitraires prélevés sur certaines marchandises traversant des fleuves, quarante livres de fer de Russie, apportées à Marseille, payaient que 18 ou 20 pour 100, tandis que ceux de la Franche-Comté acquittaient près de 35 pour 100 pour arriver au même point.

Ce qui rendait principalement les transactions difficiles, c'était la diversité des règlements adoptés par les villes ou les seigneuries. Certaines contrées avaient des tarifs moins élevés que d'autres; certaines villes désireuses d'attirer chez elles les commerçants étrangers écartaient tout obstacle

capable de les arrêter sur leur route, tandis que d'autres au contraire, jalouses d'éviter la concurrence, multipliaient les entraves autour d'elles.

En général, les communes administrées par les bourgeois montraient, sous ce point de vue, plus d'intelligence que les propriétaires de fiefs: elles cherchaient à obtenir le libre accès des marchés étrangers pour leurs produits, et, en échange, ouvraient les leurs aux marchands de tous pays.

A Paris même, où le gouvernement siégeait et pouvait plus facilement surveiller les agents et contrôler leurs actes, les péages étaient très-nombreux et aucune règle n'en déterminait la limite, le taux et la forme. Tandis que certaines denrées, telles que les grains et le poisson, étaient favorisées et que les règlements en facilitaient l'arrivage, le vin ne pouvait aborder aux quais de réception qu'après mille obstacles.

On pourrait croire aujourd'hui, en examinant les droits que ce produit était obligé de payer, qu'on voulait en empêcher l'entrée à Paris, tant on y avait multiplié sur cette denrée les impôts et les péages. Au milieu du dix-septième siècle, le muid de vin devait acquitter seize droits divers depuis Bercy jusqu'à la Grève, l'un pour la construction du Pont-Neuf, l'autre pour les pauvres enfermés, un autre pour la dépense de la clôture de Paris du côté de Montmartre, un autre encore pour le barrage, pour la ceinture de la reine, tous enfin pour des raisons plus ou moins plausibles.

Le poisson arrivait au contraire sans encombre

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