Page images
PDF
EPUB

furent adressés au gouvernement pour réclamer un régime protecteur en faveur des industries françaises, en d'autres termes, pour demander la fermeture de nos frontières aux produits exotiques.

La prohibition fut de nouveau inscrite dans nos lois commerciales, et l'un des plus grands ministres du dix-septième siècle, Colbert, en fit la base de ses règlements extérieurs. Il n'aimait pourtant pas l'isolement en matière de transaction. «La liberté est l'âme du commerce, » écrivait-il, <«<il faut maintenir la liberté, sans laquelle le commerce ne peut s'établir ni prospérer. »

Cependant, il trouva le régime de la protection en vigueur, et, loin de le répudier, il s'efforça de lui donner une organisation. Des tarifs spéciaux furent étudiés; les restrictions s'accentuèrent peu à peu, furent suivies de représailles terribles des pays voisins et aboutirent à faire décroître notre commerce, à exciter contre nous l'animosité des puissances étrangères et à susciter les guerres de tarifs qui ont ensanglanté cette période de notre histoire.

Ce fut là, en effet, une des conséquences funestes du régime douanier du dix-septième siècle, et malgré les services éminents rendus à la France par Colbert, et l'autorité qui s'attache à son nom, nous ne saurions taire que son œuvre, en ce qui concerne le commerce extérieur, a contribué à reculer d'un siècle et demi les progrès de nos relations au dehors et le développement de nos transactions commerciales.

XVI

Idées libérales du dix-huitième siècle en matière de commerce. Vaines tentatives des économistes. - Le club de l'Entresol.

[ocr errors]

[ocr errors]

- La Révolution de 1789 et la liberté commerciale. - Le blocus continental et ses effets. La contrebande est la conséquence des prohibitions. L'indépendance de l'étranger. Ce qu'on entend par ce mot. Plaisante critique de l'orateur anglais Fox. Valeur du commerce extérieur de France à différentes époques. Conséquences de la liberté du commerce.

Vers le milieu du dix-huitième siècle, une lutte ardente s'engagea en faveur de la liberté du commerce. Le spectacle des misères du royaume avait attiré l'attention des philosophes et des hommes d'État, et l'on sentait que le régime prohibitif était funeste à la prospérité publique.

Dans les dernières années de Louis XV surtout, après la fatale guerre de Sept ans, notre commerce extérieur avait reçu de sérieuses atteintes. La perte des Indes, des Antilles et du Canada, l'abandon de la Louisiane, en ébranlant notre puissance au dehors et en arrêtant à l'intérieur l'activité de nos industries, avaient tari une des principales sources de notre richesse.

La France se trouvait donc isolée, après avoir perdu une partie de ses débouchés, alors que l'Angleterre triomphante régnait partout sur les mers, multipliait ses fabriques, en distribuait les produits dans le monde entier et commençait l'édifice gigantesque de sa puissance commerciale.

C'est à cette époque que parut la secte des économistes. Leur doctrine, que nous avons déjà exposée, était en opposition complète avec les principes admis par le gouvernement, et son apparition causa dans le monde politique et industriel une véritable émotion.

Les membres de cette école nouvelle avaient pris l'habitude de se réunir dans un cercle qui portait le nom de club de l'Entresol; là se rencontraient les esprits les plus marquants de la science, de la philosophie et de la finance, et les questions les plus importantes sur les colonies, sur le régime politique, commercial et social y étaient débattues avec une verve et une profondeur de vues peu

communes.

Le bruit s'en répandit bientôt, et le ministère du cardinal de Fleury, intimidé par la hardiesse des idées émises dans le club, en ordonna la fermeture.

Les exilés de cette réunion se réfugièrent alors dans les salons en vogue de la capitale, et l'accueil empressé qui leur fut fait les encouragea à continuer leur campagne contre les rigueurs des règlements et des monopoles. C'est de là, en effet, que partit la première attaque directe contre les systèmes de la prohibition.

Les premières tentatives se heurtèrent contre le mauvais vouloir des partisans du régime opposé, et, pendant quelques années, suspects au pouvoir dont ils frondaient les abus, et au commerce aux yeux duquel leurs adversaires les re

présentaient comme de dangereux novateurs vendus à l'étranger et disposés à lui sacrifier l'industrie nationale, les économistes eurent de grandes difficultés à faire comprendre la grandeur et la moralité de leur œuvre.

Cependant l'avénement de Turgot aux affaires sembla devoir couronner leurs efforts. Le grand ministre était un de leurs plus fidèles disciples, et l'un de ses premiers actes fut de démontrer au roi Louis XVIles immenses avantages de la liberté commerciale, et de tenter d'en appliquer les principes au gouvernement; mais les monopoleurs et les prohibitionnistes se liguèrent contre lui, et ses projets de réformes ne tardèrent pas à disparaître en même temps qu'il tombait du pouvoir.

La Révolution de 1789, à son avénement, s'inspira des doctrines des économistes, et, reprenant l'œuvre interrompue de Turgot, elle inscrivit un instant en tête de la Constitution politique nouvelle le libre exercice des transactions. Malheureusement la guerre éclata, plus violente que jamais, au lendemain de la mort de Louis XVI, et l'Europe, tout entière liguée contre la France, lui ferma la libre entrée de ses marchés.

Napoléon trouva le régime de la prohibition en vigueur, et il en poussa les mesures à l'extrême. Entraîné par une haine implacable contre l'Angleterre qui soulevait contre lui des coalitions sans cesse renaissantes, il conçut un jour la pensée de l'atteindre dans sa prospérité commerciale, et, pour y parvenir, il décréta et établit le blocus

continental destiné à l'isoler du reste du monde et à lui faire perdre ses débouchés.

Les navires français, échelonnés depuis Lisbonne jusqu'à Saint-Pétersbourg, fermèrent au commerce anglais l'accès des ports européens et le privèrent de ses relations habituelles. Les effets de cette mesure furent désastreux; non-seulement l'Angleterre, mais encore les autres nations et la France elle-même en souffrirent cruellement, et on ne peut relire les détails de cette malheureuse époque sans ressentir une pénible impression.

C'est alors que les industriels français, lésés dans leurs intérêts et dans leur existence, trompèrent la vigilance des agents impériaux, et, malgré les peines sévères édictées contre les contrebandiers et leurs complices, organisèrent sur toutes les côtes une vaste et formidable contrebande.

C'est là, en effet, une des conséquences les plus directes de la prohibition, et il est à remarquer qu'elle n'est jamais plus active que lorsque la liberté commerciale est menacée.

Dans la première moitié de notre siècle, en France, le système protecteur a trouvé des défenseurs ardents qui l'ont mis en pratique, et l'esprit de liberté ne s'est infiltré dans nos mœurs que difficilement et par degrés imperceptibles. Pour combattre les partisans du libre-échange, on inventa un langage spécial qu'on croyait capable d'impressionner l'opinion publique, et on afficha la prétention hautaine d'être indépendant

« PreviousContinue »