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AUTOUR DU FOYER

PREMIÈRE PARTIE

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Un conte de fée. Qu'est-ce que l'économie politique? - Définition de J.-J. Rousseau. Organisation des sociétés. — Influence de l'économie politique sur le progrès et l'amélioration de l'humanité. Ses rapports avec les sciences humaines. Ses grandes divisions.

Qui n'a lu, dans les jours, hélas ! si courts de la jeunesse, peut-être même aux heures de délassement que laisse parfois l'âge mûr, cette spirituelle et fantastique saillie que Perrault a immortalisée sous le titre de Riquet à la houpe? Un jeune seigneur, riche, puissant, entouré de tout ce qui peut séduire et charmer, vivait, isolé des siens, dans un palais splendide, situé dans la région la plus sereine de la terre. Autour de lui, une armée de serviteurs se pressait à l'envi et répondait comme par enchantement à ses moindres désirs tout ce que le luxe le plus délicat sait inventer, tout ce que la pensée humaine peut créer d'inimaginable ou de prodigieux devenait, à sa voix, facile et réalisable. Malheureusement,

à cet ensemble merveilleux, le hasard avait mêlé une ombre: le prince était repoussant de laideur, horrible même.

Aussi vivait-il loin de toute société, et, malgré l'éclat de ses réceptions et le raffinement de ses festins, sa table restait-elle vide et ses jardins déserts. L'infortuné, cependant, était un gentilhomme accompli, de manières élevées et d'un esprit si. délié qu'il en était bruit de toutes parts.

Or, un jour que, le cœur oppressé, il promenait sa mélancolie par les allées de son parc, il rencontra soudain une jeune déesse, belle comme le jour. A sa vue, l'inconnue fit un geste de terreur et voulut fuir; mais le prince s'approcha avec tant de respect, et, de sa voix la plus harmonieuse, lui dit des choses si fines et si flatteuses, qu'elle se rassura et consentit à l'entendre.

Le langage du jeune seigneur avait, en effet, toutes les séductions; sous cette enveloppe grossière, sous ces traits déformés, presque hideux, se cachaient une âme supérieure, un esprit lumineux, un savoir universel.

Notre héroïne fut subjuguée. A force d'entendre les accents enchanteurs de son chevalier galant, d'étudier cette belle âme qui se reflétait dans ses moindres mouvements et jusque dans l'horizon imperceptible de ses petits yeux, la jeune beauté le trouva sublime, et, dans un élan d'admiration, lui donna et son cœur et sa main. Miracle de l'amour! disent les poëtes: sans doute, mais à coup sûr et plus encore, ajoute

rons-nous, miracle de l'esprit, prodige de l'utile et du vrai !

Nous pouvons, sans nul doute, appliquer à la science dont nous nous proposons d'exposer ici les premièrs éléments, la morale qui ressort de ce brillant apologue. L'économie politique apparaît, en effet, aux esprits prévenus, sous des dehors peu flatteurs. Son nom, dès l'abord, a le pénible privilége d'effrayer les âmes tendres et les intelligences délicates. Sa consonnance, sa composition, les rapports qu'on lui suppose avec la politique proprement dite, sembleraient faire craindre que, sous cette dénomination, se cachent les éléments d'une science toute d'hypothèses, une série de formules plus ou moins arides, empruntant à l'algèbre sa sécheresse, sinon sa rigoureuse exactitude. Mais si, à l'exemple de la belle inconnue de Perrault, nous faisons taire nos premiers sentiments d'antipathie, si nous voulons consentir à écarter la robe magistrale dans laquelle se drape l'économie politique, et à examiner les beautés qu'elle recouvre, notre esprit, à son tour, sera séduit et par la diversité de ses enseignements et par le charme qui en découle.

Et d'abord, qu'est-ce que l'économie politique? Sur quelles bases repose-t-elle, et quelle est son influence sur les sociétés humaines ? L'économie politique est une science expérimentale fondée sur les faits et dont le but est d'étudier et de définir tout ce qui peut contribuer à la perfectibi

lité et à l'amélioration matérielle de l'homme. Son nom est déjà bien ancien; on le retrouve chez les Grecs, qui l'avaient formé de deux mots : 。ixos, maison, et vouos, loi, c'est-à-dire la loi ou l'administration de la maison. Aristote; l'un des plus grands philosophes de l'antiquité, qui vivait trois siècles avant l'ère chrétienne, en formait le titre d'un de ses ouvrages, l'Économique, et en étendait le sens à l'administration de la famille sous le rapport moral comme sous le rapport matériel. Xénophon déjà l'avait précédé dans cette voie.

Toutefois la science économique était restée enfermée dans les limites étroites de la vie intime, et n'avait jamais franchi le seuil de la famille. Ce n'est qu'au commencement du dix-septième siècle que le mot économie, attribué à un sens plus étendu, conçu dans une acception plus générale, publique, apparut pour la première fois. Ce n'est plus la loi de la maison, ni la règle de l'administration patriarcale qu'il désigna désormais, mais bien les lois qui régissent les nations et président à l'ensemble des richesses. Et Jean-Jacques Rousseau, qui collaborait à l'Encyclopédie, en fait bien ressortir la distinction : « Le mot économie, écrit-il, ne signifie originairement que le sage et légitime gouvernement de la maison pour le bien commun de toute la famille. Le sens de ce terme a été dans la suite étendu au gouvernement de la grande famille qui est l'État. Pour distinguer ces deux accep

tions, on l'appelle dans ce dernier cas économie générale ou politique, et, dans l'autre, économie domestique ou particulière.

La science économique ne s'est pas produite spontanément; son existence n'est pas essentielle comme celle de la géométrie; elle est née de l'expérience.

A l'origine, l'homme isolé, livré à ses seuls instincts, dut, pour satisfaire aux exigences de la vie, se faire tour à tour cultivateur, mineur, constructeur de maisons. La nécessité de se nourrir, de se vêtir, de s'abriter contre les rigueurs de l'hiver ou contre les ardeurs de l'été, de se préserver des atteintes des êtres nuisibles ou des maladies, le contraignit à étudier la puissance des simples et à quitter la charrue pour chasser les animaux dans les forêts. Peu à peu, les besoins resserrant les liens des hommes, il s'ensuivit une agglomération d'individus, puis de familles dépendantes les unes des autres, douées des mêmes instincts, vivant des mêmes éléments, aspirant au même but.

Avec le temps, ces besoins se multiplièrent et prirent une forme plus exquise, plus recherchée : ce qui était au commencement l'occupation d'un seul devint le labeur d'un grand nombre. Le travail se divisa, et de cette division naquirent le progrès et la sociabilité. L'amour de la famille engendra alors la propriété, et les sociétés s'organisèrent. L'expérience enseigna graduellement les lois de la richesse; chaque région améliorée

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