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de l'immatérialité de l'âme. Cet ouvrage n'est qu'une compilation pédandesque. Ce qu'il y a de mieux, c'est une foule de notices littéraires trèsintéressantes. Dans un autre de ses écrits, Hennings admet, avec Bonnet, que les êtres forment entre eux une série indéfinie, et affirme, en conséquence, que les âmes des bêtes ont une espèce de raison, celle qui convient au degré qu'elles occupent dans l'échelle de la création.

Cet auteur a laissé de nombreux ouvrages, dont voici les principaux; les autres ne sont guère que des discours de circonstance: Logique pratique, in-8°, Iéna, 1764;- Morale et politique d'accord avec la sagesse et la prudence, in-8°, ib., 1766; - Compendium metaphysicum, in-8°, ib., 1768; Histoire pragmatique des âmes des hommes et des animaux, in-8°, Halle, 1774; - Manuel critico-historique de la philosophie theorétique, in-8°, Leipzig, 1764; —Aphorismes anthropologiques et pneumatologiques, in-8°, Iéna, 1777;- Des pressentiments et des visions, in-8°, Leipzig, 1777;-De la prévision des animaux, expliquée par des exemples, etc., in-8°, ib., 1783 (cet ouvrage est comme la sesonde partie du précédent); - Préjugés surannés combattus, en cinq dissertations, in-8°, Riga, 1778 (ces préjugés sont : l'étiquette, la moralité des actions, les sépultures, les monstres, les tribunaux ou cours d'honneur); - L'unité de Dieu, examinée sous différents points de vue, et prouvée même par les témoignages des païens, in-8°, Altenb., 1779; - Des esprits et de ceux qui les voient, in-8°, Leipzig, 1780; Visions, principalement celles de notre siècle et de nos jours, mises en lumière, etc., in-8°, Altenb., 1781; - Des rêves et des somnambules, in-8, Weimar, 1784; Morale de la raison, in-8°, Altenb., 1782; -Bibliothèque philosophique, 6 vol. in-8°, Leipzig, 1774. Hennings a aussi donné la quatrième édition du Lexique philosophique de Walch, 2 vol. in-8°, ib., 1775.

J. T.

HENRI DE GAND, surnommé le Docteur solennel, naquit, selon l'opinion générale, en 1217, dans la seigneurie de Mude, près de Gand, d'où il fut appelé aussi Henri de Mude. Il étudia d'abord à Gand, puis à Cologne, où il se rendit pour suivre les leçons d'Albert le Grand. De retour à Gand avec le grade le docteur, il fut le premier qui y enseigna publiquement la philosophie et la théologie. Mais ses talents l'appelaient sur un plus grand théâtre : aussi le voit-on à Paris, en 1247, enseignant à l'Université, après y avoir conquis de nouveau les hommes du doctorat. On remarque qu'il fut un des premiers à professer dans le collége fondé par Robert de Sorbon. Henri de Gand ne paraît pas avoir joué un rôle trèsactif dans les longues et orageuses querelles de l'Université et des ordres mendiants; mais il n'en fut pas de même des débats qui s'élevèrent entre ces ordres et les prêtres séculiers. Le Docteur solennel prit hautement la défense de ces derniers, et son intervention fut pour beaucoup dans les décisions qui mirent un frein aux envahissements des franciscains, et des dominicains surtout. Cette opposition, qui fait honneur au bon sens et aux talents de Henri de Gand, lui serait plus honorable encore, s'il était vrai, comme tout porte à le croire, que lui-même fût membre de l'ordre des servites. Il mourut archidiacre de Tournay, en 1293.

Placé entre saint Thomas qui le précède et Duns-Scot qui le suit presque immédiatement, Henri de Gand, malgré son mérite réel, dut

quelque peu souffrir d'un si dangereux voisinage: car son platonisme, beaucoup plus apparent que réel, n'avait rien d'assez ferme pour lutter avec succès contre l'étendue d'esprit du premier et la puissante originalité du second. Une indication sommaire de ses doctrines fera connaître à la fois ses qualités et ses défauts.

Ses premiers écrits furent les Quodlibeta et la Somme. Dans ces deux ouvrages, et notamment dans la Somme, il commence par se poser la question de la certitude. Or, Henri de Gand ne rejette pas absolument les sens comme moyen de connaître, mais à la condition qu'on ne leur demandera que les simples apparences, les signes des réalités; quant à la réalité elle-même, à ce qui fait véritablement l'objet de la science, c'est à la raison seule qu'il faut la demander; c'est par elle que l'homme peut s'élever jusqu'à la source de toute vérité, c'est-à-dire à Dieu. Cette raison toutefois paraît n'avoir rien d'humain dans la pensée de Henri de Gand, car il déclare (Somme, art. III, quest. 3) que la connaissance pure de la vérité n'est pas naturelle à l'homme dans son état terrestre, et qu'un rayon divin doit descendre dans notre intelligence pour que nous puissions atteindre à cette connaissance suprême. Ici l'inspiration du platonisme est manifeste, et on la voit plus évidente encore dans ces lignes où Henri affirme que l'homme ne peut apercevoir de vérité que « dans la pure lumière des idées, qui est l'essence divine, »> et que « l'essence, la raison d'être de chaque chose est une idée de Dieu.» (Somme, art. xxiv, quest. 6; Quodl., VIII, quest. 13.) A la théorie de la certitude se lie naturellement celle de la connaissance. C'est cette théorie, telle que la conçoit le Docteur solennel, que nous allons essayer d'exposer, et avec elle se présentera l'inévitable question des universaux.

Le but que se propose Henri de Gand, en traitant de l'origine de nos connaissances, est de concilier Aristote et Platon: aussi proclame-t-il d'abord comme absolument nécessaire l'intervention des sens au début de l'intelligence et, par conséquent, l'action d'un objet particulier; et même, à cette occasion, il s'élève avec chaleur contre la réminiscence de Platon. Mais il se rapproche bien vite de ce philosophe en admettant une connaissance naturelle des principes dès lors la connaissance ne dérive pas des sens, qui ne sont que des instruments; c'est pourquoi encore Henri avait coutume de dire que « le vrai docteur est plutôt l'agent intérieur que le maître avec sa parole extérieure. » Jusqu'ici, du moins, il n'est que réaliste platonicien, surtout quand il ajoute qu'il n'y a pas de science du concret et de l'individuel, mais seulement du général, et qu'en ce sens, l'universel est le véritable objet de la connaissance. C'est quand il s'agit de prononcer sur la nature de cet universel, qu'on voit Henri flotter, quelquefois se contredire, et tomber dans un réalisme exagéré. Il reconnaît d'abord aux universaux une existence réelle et substantielle dans l'esprit; et cette réalité résulte d'un travail de la pensée qui, par l'abstraction, débarrasse, en quelque sorte, l'universel de ce qu'il a de concret pour le mettre à nu. Il ne suit pas de là que son universel ne soit plus qu'une abstraction: « Il faut savoir, dit-il (Somme, art. xi, quest. 14), que la raison universelle consiste bien moins dans la manière d'affirmer le même de plusieurs, que dans la nature et la propriété du prédicat, qui doit

être d'une nature et d'une essence quelconque : car l'universel renferme en soi deux choses: l'objet qui est essence et nature, et le prédicable qui se dit de plusieurs. » Cette double nature de l'abstraction et de la réalité, il la réunit dans un terme intermédiaire, et, faisant de celui-ci une entité, un être réel, il tombe dès lors dans le réalisme de saint Anselme. C'est ainsi qu'il affirme (Quodl., IV, quest. 6) que la forme du nombre dix ou d'un nombre quelconque est quelque chose de réel hors de l'intelligence. De là vient l'accusation lancée contre lui par Tennemann, d'avoir assigné aux idées une existence réelle antérieure et supérieure à l'intelligence. Ce reproche est trop sévère, surtout par rapport à l'intelligence divine. En effet, Henri repousse en son nom et même au nom de Platon l'existence de ces universaux qui ne se trouveraient ni dans le particulier ni dans l'intelligence, soit divine, soit humaine. Il en résulte que si, d'un côté, Henri est dans le vrai, de l'autre il est en contradiction avec lui-même, puisqu'il attribue la réalité à une abstraction telle qu'un nombre, par exemple. Mais pour entendre complétement sa théorie de la connaissance, il est nécessaire de savoir ce qu'il pense sur l'union du corps et de l'âme, ou mieux comment il comprenait l'homme. Pour Platon, l'homme est une âme qui a un corps; en d'autres termes, c'est une force intelligente qui est douée de l'instrument nécessaire pour agir. Henri de Gand repousse cette belle définition: selon lui, le corps fait partie de la substance de l'âme; l'âme n'est pas moins faite pour le corps, que le corps pour l'âme; enfin il va jusqu'à dire (Quodl., VII, quest. 13.) que l'âme, jointe au corps, est plus parfaite que lorsqu'elle est dégagée du corps. Certes, Henri de Gand est ici bien loin de Platon, et on peut voir maintenant pourquoi, le comprenant si mal ou le quittant si mal à propos, il s'égare quelquefois dans sa théorie des idées, et pourquoi enfin il établit, 1° la nécessité de l'image pour la connaissance; 2° l'impossibilité pour l'homme de concevoir les choses purement immatérielles, à moins d'une illumination particulière de Dieu. Nous remarquerons toutefois au sujet de l'âme, qu'il a bien mieux qu'Albert le Grand fait ressortir l'unité de ce principe, en montrant que l'activité et la passivité, dans l'entendement, ne sont que deux modes du même être. Il ramène l'imagination à cette même unité, en sorte que ces trois formes de l'intelligence sont entre elles comme la lumière, la couleur et la vue. Ce défaut de suite dans les idées conduit Henri de Gand à une nouvelle contradiction. Examinant si l'existence de Dieu peut être l'objet de la science (Quodl., IV, quest. 9), il commence par affirmer que l'être infini est essentiellement incompréhensible, et qu'il n'y a aucune proportion entre un être infini et une intelligence bornée et finie. Ailleurs (Somme, art. xxiv, quest. 1), il affirme, au contraire, qu'il est incontestable que la nature et l'essence de Dieu peuvent être connues par l'homme dans son état présent sur la terre. A part cette contradiction, on ne peut qu'applaudir à ce qu'il dit touchant l'existence de Dieu. Invoquant le sentiment bien plus que le raisonnement, il se fonde avec raison sur une sorte d'idée innée (præcognitio), en d'autres termes, sur le sentiment de l'infini qui nous élève jusqu'à Dieu. Dans son langage et dans sa pensée, il se rapproche de saint Anselme, et surtout en parlant de l'unité et de l'éternité de Dieu. « L'unité étant la vraie réalité,

dit-il (Somme, art. xxx, quest. 1), l'éternité est la vraie vie de cette unité; car, étant absolue et ne pouvant, dès lors, subir aucun changement, elle jouit de la vraie vie, de la vie éternelle. »>

Si maintenant on se demande quelle fut la philosophie de Henri de Gand, on hésitera peut-être avant de répondre. On le donne comme un platonicien, et il est incontestable qu'il cherche souvent à marcher sur les traces de Platon; mais il faut ajouter qu'il ne connaissait ce philosophe que par saint Augustin, et nous avons vu qu'il le quitte souvent, soit par timidité, soit faute de le bien comprendre. Ainsi, ce qui manque à Henri de Gand, c'est un caractère bien décidé. Un système est quelquefois une erreur; mais aussi l'hésitation et l'incertitude conduisent rarement à la vérité. Ce qui le recommande, c'est d'abord un fond de bon sens courageux qui lui fit proclamer hautement les droits de la raison; en outre, sur plusieurs questions particulières, il fit preuve de sagacité et de savoir. Quant à l'influence qu'il exerça, il faut reconnaître que son école, si jamais il fit école, s'éclipsa entièrement devant DunsScot et son réalisme.

Henri de Gand a laissé un grand nombre d'écrits dont plusieurs ont été imprimés; d'autres sont réstés manuscrits.

Les premiers sont : Quodlibeta theologica, 2 vol. in-f°, Paris 1518; - Summa quæstionum ordinariarum theologia, in-fo, ib., 1520;Liber sive Catalogus de scriptoribus eccleisasticis, in-8°, Cologne, 1540.

Les écrits non imprimés sont : Liber de Pœnitentia ; De castitate virginum et viduarum; - Sermones et Homelia; - Sermo de purificatione Virginis Deiparæ ; - Quodlibetum de mercimoniis et negociationibus; Quodlibeta ordine alphabetico digesta; Comment. in VIII libros Phys. Arist. (vel in quatuor ultimos libros).

On lui attribue encore: Comment. in v libros Sententiarum; —Comment. in XIV libros Metaphys. Arist.;- De laudibus gloriosæ Virginis Deiparæ. Rien ne prouve que ces trois ouvrages soient de lui; mais M. Huet pense avec raison que c'est à tort qu'on lui a attribué les suivants: Vita S. Eleutherii, Tornacensis episcopi; - Elevatio corporis ejusdem; - De antiquitate urbis Tornacensis;- Traduction française du livre de Regimine regum et principum. On peut consulter le travail de M. Huet intitulé Recherches historiques et critiques sur la vie, les ouvrages et la doctrine de Henri de Gand, in-8°, Paris, 1838. X. R.

HENRI DE HESSE, et HENRI DE OYTA étaient deux philosophes scolastiques du xive siècle, Allemands tous deux, qui enseignaient dans l'université de Vienne les principes du nominalisme. Le dernier est mort en 1397.

X.

HÉRACLIDE DE PONT, ainsi nommé parce qu'il reçut le jour à Héraclée, dans le royaume de Pont, florissait vers l'an 338 avant l'ère chrétienne. Né d'une famille riche et considérée, il quitta son pays par amour pour la philosophie et la science, et se rendit à Athènes, alors le centre de la civilisation grecque. Il s'attacha d'abord à Speusippe; mais, ayant entendu Platon, il ne voulut plus avoir d'autre maître; et Platon, s'il faut en croire Suidas, lui confia la direction de son école

pendant son second voyage en Italie. Selon Diogène Laërce, Héraclide aurait quitté les doctrines de l'Académie pour celles du Lycée, et aurait enseigné, le reste de sa vie, la philosophie péripatéticienne. La noblesse de son caractère ne paraît pas avoir été plus grande que la constance de son esprit. Il aimait, à ce que raconte Diogène Laërce, le faste, la pompe extérieure. Il employait la supercherie et la ruse dans le dessein de se faire passer pour un être surnaturel, pour un demi-dieu, et oblenir après sa mort, de ses ignorants concitoyens, les honneurs héroïques. Il a beaucoup écrit et sur toutes sortes de sujets, sur des sujets qui appartiennent à toutes les sciences, à la manière des philosophes péripatéticiens; mais de ses nombreux ouvrages, il n'est rien arrivé jusqu'à nous que des fragments de son Traité des constitutions des divers Etats, qui était, à ce que l'on croit, un abrégé du grand ouvrage d'Aristote sur cette malière. Ces extraits, plusieurs fois imprimés à la suite des Histoires diverses d'Elien et dans d'autres collections, ont été publiés séparément avec une traduction latine, une traduction allemande et des notes par Georg. Dav. Kæler, in-8°, Halle, 1804. Coray en a donné une autre édition, supérieure à la précédente, dans le prodrome ou le premier volume de la Bibliothèque grecque, in-8°, Paris, 1805. On a aussi, sous le nom d'Héraclide, un traité des Allégories d'Homère (imprimé parmi les Opuscules de Th. Gale, et séparément, en 1 vol. in-8°, Goëtt., 1782, avec une traduction latine et des notes de Nic. Schow); mais il est très-douteux que ce soit d'Héraclide de Pont. C'est plutôt un résumé de ce que les stoïciens enseignaient sur cette matière. On peut consulter sur ce philosophe l'opuscule suivant: Dissertatio de Heraclide Pontico, auctore Eug. Deswert, in-8°, Bruxelles, 1830.

Diogène Laerce (liv. Ix, c. 116) nous apprend qu'il a existé un autre philosophe du nom d'Héraclide; mais celui-là était sceptique et passe pour avoir été le maître d'Ænésidème.

X.

HÉRACLITE. L'époque de la naissance de ce philosophe ne peut être déterminée qu'approximativement. Diogène Laerce (liv. 1x, Vie d'Héraclite) dit qu'il florissait vers la LXIX olympiade, c'est-à-dire environ 504 ans avant J.-C., d'où l'on peut conjecturer qu'il était né vers 544. A la mort de son père qui était un des premiers citoyens d'Ephèse, Héraclite renonça à la suprême magistrature en faveur de son frère, afin de se livrer exclusivement à la philosophie. A l'époque où apparut Héraclite, les travaux des philosophes ioniens s'étaient exclusivement concentrés sur l'explication des phénomènes du monde matériel. Thalès, Anaximandre, Phérécyde, Anaximène avaient été astronomes et physiciens. Héraclite ne renonça point aux travaux de ses devanciers; mais il les porta plus loin, en les faisant sortir du cercle de Ja philosophie naturelle pour les étendre à la philosophie morale. Nous avons, en ce point, tout à la fois le témoignage de Diogène Laërce et celui de Sextus Empiricus: car, d'une part, au rapport de Diogène Laerce (liv. x, Vie d'Héraclite), le livre du philosophe d'Ephèse <«< était divisé en trois parties, et traitait de l'univers, de la politique, de la théologie; » d'autre part, Sextus Empiricus (Adv. Mathem., lib. vII) dit positivement « qu'on s'est plusieurs fois demandé si Héraclite n'appartenait pas à la philosophie morale tout aussi bien qu'à la

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