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CHAPITRE IX.

DE L'AUTORITÉ.

Il n'est pas permis à l'homme d'abdiquer, sous aucun prétexte, ce qui le fait homme.. COUSIN.

Aux temps de foi sociale et religieuse, à ces époques où la société tout entière est gouvernée, de son plein acquiescement, suivant un dogme révélé qui a inspiré le législateur et lui a fait asseoir l'État sur un principe unique, ce serait un travail oiscux que de chercher, en dehors de cette autorité véritablement souveraine, puisqu'elle l'est des cœurs et des esprits, s'il est dans la raison individuelle une

force morale qui suffise à diriger l'homme vers sa fin. Mais tel n'est point l'état de la société où nous vivons. Quelle que soit l'opinion de ceux qui me lisent sur la vitalité actuelle et l'avenir des croyances catholiques qui, d'accord avec le principe monarchique absolu, ont si longtemps gouverné la France, nul ne saurait contester, ce me semble, qu'un très-grand nombre aujourd'hui y demeure indifférent et, disons plus, s'y montre hostile. La réformation, le xvm siècle, la révolution de 93 ont porté de rudes coups à ce grandiose édifice. Le dernier et le plus destructeur a été la scission complète de la société civile et de la communauté religieuse, d'où il résulte que de nos jours on peut être citoyen et chef de famille sans l'intervention du sacerdoce, et que la sanction du prêtre n'est plus nécessaire à la légalité d'aucun acte de la vie. Les institutions nouvelles en s'affranchissant de la tutelle sacerdotale, en se faisant athées, comme on l'a į dit, n'ont pas su imprimer encore au méca nisme social une impulsion assez énergique pour entraîner vivement les volontés. Tout est :

mis en question par l'esprit d'examen. L'interrogation est partout, dans le temple, dans le palais, sur la place publique. La science marche isolément, la philosophie hésite; la religion cherche, en se voilant la face, les concessions de forme qui peuvent sauver le fond. Dans cette incohérence universelle et dans la défaillance du principe d'autorité qui soutenait l'ordre ancien, les cœurs honnêtes et les esprits sincères éprouvent le besoin d'en appeler à eux-mêmes. Y trouveront-ils une certitude qui les ranime, un principe législateur de la vie individuelle et sociale qui les mette en possession de la justice et de la paix? J'ai trop de foi en l'excellence de la nature humaine pour ne pas l'espérer, et mon espoir ne s'arrête pas là. Quoique l'homme, dans son rapide passage sur la terre, ne puisse saisir qu'un point de l'espace et un moment de la durée, il n'est pas impossible que, par voie d'analogie, il n'arrive à comprendre l'unité de la loi éternelle, et que le rapport mystérieux du mécanisme des sociétés avec le mécanisme des mondes ne lui soit enfin dévoilé. Ce jour-là un grand cri de liberté

retentirait dans l'univers; l'homme, d'accord avec lui-même, sentirait et glorifierait le sens de ces paroles qu'il a été fait à l'image de Dieu. Mais cette ambition sainte dût-elle être déçue toujours, j'oserais dire encore à mes semblables Pensez, méditez; ne vous découragez point. Une soumission aveugle est indigne de la créature raisonnable. Mieux vaut se fatiguer à la recherche du vrai que se reposer dans l'erreur. Rien de plus corrupteur pour un homme et pour un peuple que ce respect inerte de la chose établie qui dispense de réfléchir et de vouloir. Que celui qui croit pratique; que celui qui doute s'abstienne; que celui qui nie proteste. Laissez les moutons suivre le berger et paitre l'herbe accoutumée; hommes, rougissez de ne pas examiner vos croyances; rougissez encore plus de feindre accepter celles du grand nombre par l'indigne amour d'une paix trompeuse et d'un repos qui est la mort.

A la vérité, l'homme pris isolément ne peut pas protester contre la force publique; il est des nécessités sociales auxquelles nulle puissance individuelle ne saurait se soustraire. Mais il ap

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