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de les constituer à l'état de lutte fatale? (30 L'homme ne s'est-il pas rendu coupable envers la majesté de son être en le déclarant pervers? Ne porte-t-il pas atteinte à l'institution divine en condamnant et en flétrissant comme il le fait ses premiers et indestructibles instincts?

Sachons donc étudier les lois de la nature au lieu de nous opiniâtrer à lui en dicter. Si nous parvenions à nous élever jusqu'à la claire vue et conséquemment à l'amour de cette belle harmonie qui préside à nos destinées, sans nul doute les passions perdraient le pouvoir de nous troubler; leurs déviations ne seraient plus à craindre. Notre ignorance seule fait le mal (3). Nous usons en un combat stérile les années de la jeunesse; nous violentons notre être, et nous ne savons prévenir l'excès des passions que par l'excès d'une contrainte inutile ou funeste. Qu'il serait plus judicieux, plus efficace, l'agrandir en nous l'intelligence des lois unierselles et de fortifier notre raison par l'exercice de nos facultés ("). Qui de nous n'a éprouvé combien le travail, même le moins sérieux, peut modérer la fougue des sens? Que serait-ce

d'une étude qui, en nous faisant pénétrer les mystères de notre organisation, nous y laisserait voir, aussi clairement que nous voyons le mécanisme intérieur d'une horloge, les perturbations effroyables qu'y causent les appétits déréglés (*). On objectera qu'on a vu des savants en proie aux plus lai les passions. Aussi n'est-ce pas l'étude d'une science spéciale, et par con-séquent pleine d'erreurs, que je viens prêcher ici, mais l'étale de la science de l'homme qui nous initie à la connaissance générale des lois providentielles. Socrate et Goethe n'étaient point des savants proprement dits, mais l'un et l'autre, en étudiant de toute la puissance de leur intelligence les secrets divins, vécurent supérieurs aux passions. Il n'appartient pas a grand nombre de devenir Socrate ou Goethe; mais tous peuvent établir entre la force de leur intelligence et celle de leurs instincts une proportion rationnelle qui aura pour effet le jeu libre de la volonté.

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L'apathie, cet antipode de la passion, est la véritable ennemie de la liberté humaine; ennemie d'autant plus dangereuse que nul ne se tient en garde contre elle. C'est une sorte de somnolence produite par une grande mollesse de complexion et par l'inertie des forces vitales, qui ressemble assez souvent à la bonté, à la douceur, à la sagesse. L'intelligence, mal servie par des organes indifférents, demeure pas

sive; on peut la croire affranchie du joug des passions, parce qu'elle reste à un degré inférieur de l'être, à l'état de vie végétative. L'homme apathique n'agit et ne pense pas, ou n'agit et ne pense que d'après autrui; il reste serf de la nécessité; l'opinion, l'autorité, la coutume, disposent de son existence.

Une telle infirmité ne saurait être combattue avec succès que dans l'enfance, où l'on peut encore aviver les sens et donner aux organes quelque énergie. Une fois la mollesse et l'apathie maîtresses de la constitution, le mal est sans remède; c'est à peine si celui qui en est atteint conserve assez de force pour l'apercevoir et le déplorer. Aux yeux de beaucoup de gens, il est vrai, cette disposition est plutôt recommandable que nuisible dans un état social où tout est prévu. L'individu y est dispensé de réfléchir et de délibérer, puisque le bien et le mal sont définis, enseignés, récompensés ou punis par la religion et la législation établies. Pauvre raisonnement et peu viril, en vérité! Obéir à la législation établie, se soumettre à la religion dominante, lorsqu'on en a

mesuré avec certitude l'iniquité ou l'erreur, c'est subir une oppression, quelquefois inévitable, jamais légitime; c'est faire acte de nécessité, non de liberté. S'il est possible de se soustraire à un joug tyrannique on est répréhensible de ne le pas tenter. Quiconque renonce volontairement à la liberté, après l'avoir connue, se rend coupable de suicide moral; il anéantit en lui le principe essentiel de la vie humaine; il renie son âme immortelle et va se mêler, se confondre avec la brute.

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