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jamais satisfait, dont la vie n'est qu'une interrogation ininterrompue, et que la mort surpren i encore à douter.

Cependant, on ne saurait se le dissimuler, la liberté, bien que nécessaire pour expliquer et comprendre le mouvement irrégulier de la vie humaine, n'est print une vérité susceptible de démonstration rigoureuse. Elle ne porte pas le caractère de certitude d'un théorème de géométrie (). La plupart des sectes religieuses et des écoles philosophiques se sont disputées, sans pouvoir s'entendre, sur son existence et son étendue. Mais la liberté, pour parler avec Bossuet, est une évidence de sentiment supérieure à toute argumentation. Qu'importe qu'une logique spécieu-e la révoque en doute ou la nie, puisqu'elle ne saurait être infirmée un instant dans la pratique des choses! Toutes les institutions sociales supposent la liberté. Le plus opiniâtre sceptique réfléchit, Lésite, se détermine, agit entin comune un être qui se sent libre. Faut-il croire que c'est là une illusion de notre organisation imparfaite? Dirons-nous que notre instinct et le témoignage

unanime du genre humain nous abusent? Mais alors nous voici incontinent forcés de conclure que la création tout entière, telle que la perçoivent nos yeux, pourrait bien également n'être qu'illusion, mirage, mensonge; et ce mensonge implique un menteur, un être assez puissant et assez fou pour s'amuser éternellement, dans l'immensité infinie, à ce jeu puéril d'apparences chimériques! (2) Qui oserait aller jusque-là? Quel esprit, si téméraire qu'on le suppose, ne reculerait devant cette énormité? Qui pourrait durant toute une vie se confier à cette logique vaine aboutissant à l'absurde? Préservons-nous d'une aberration si triste; repoussons, comme indignes d'une saine raison, ces efforts stériles de l'esprit qui nous induiraient à nier ce que tous nos sens affirment et ce à quoi la meilleure partie de nous-même accède d'une impulsion naturelle, lorsque notre intelligence ne se laisse pas séduire par le goût inaladif des subtilités métaphysiques; mais aussi tenons-nous en garde contre un secret penchant de l'orgueil à s'exagérer les prérogatives de la liberté humaine, et sachons reconnaître les

limites étroites que le spectacle de la vie oblige

à lui assigner.

L'homme n'a pas été libre de naître ou de ne pas naître. Nul ne l'a consulté pour savoir s'il voulait venir au monde en un temps plutôt qu'en un autre, à une époque plus ou moins avancée de civilisation, en tel ou tel rang de la hiérarchie sociale, sectateur de Bouddha, disciple de Jésus-Christ, soldat de Mahomet.

Il n'a choisi ni le lieu de sa naissance, ni la race dont il est issu, ni la famille à laquelle il appartient, ni les parents qui lui ont donné le jour, ni l'idiome qu'il parle, ni sa forine extérieure, ni ses penchants, ni ses facultés; il ne lui a pas même été demandé s'il voulait être homme ou femme. N'ayant fixé ni le temps ni le lieu de sa naissance, il ne fixera pas davantage le temps ni le mode de sa mort." Oh! qu'il est circonscrit le champ où va se mouvoir la libre activité d'une créature ainsi maîtrisée par des forces inconnues! Que la limite extrême en est vite atteinte! Que son

Sauf dans le cas de suicide presque toujours déterminé d'ailleurs par des circonstances indépendantes de la volonté.

plus haut sommet a des horizons rapprochés! Et pourtant l'exercice de cette liberté conditionnelle, dans son cercle infranchissable, suffit à l'homme parce qu'il n'a jamais possédé la liberté absolue. Elle lui suffit pour qu'il se considère comme un être supérieur aux autres êtres, pour que sa propre destinée l'intéresse, pour qu'il veuille impérieusement, durant le cours rapide de sa vie mortelle, conquérir une part d'immortalité qu'il rêve, soit dans un monde céleste et invisible, soit dans des géné rations successives d'êtres issus de lui qui le perpétuent, soit enfin dans la mémoire de ses semblables; car c'est sous l'une de ces trois formes que le désir d'immortalité se produit dans l'homme et l'élève à ses propres yeux audessus de toutes les créatures.

Posons donc, sans hésiter, forts de l'assentiment unanime de 'la conscience humaine et de notre indomptable instinct, posons comme vérité fondamentale et prenons pour point de départ dans l'étude de la vie, la liberté : une liberté restreinte, mais suflisante au développement des facultés, à la conscience du bien

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et du mal, et par suite à l'institution des lois civiles et religieuses. Nous adinettons cette vérité sur l'évidence du sentiment; quiconque la nie et s'attache au sombre dogme le la fatalité ou à la décevante sagesse du scepticisme *, doit dès à présent fermer ce livre comme il a déjà fermé son intelligence à toute notion de verta, de dévouement, de gloire, d'hérolsme; comme il a fermé sa vie à tout germe de progrès, à tout principe de grandeur.

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