Page images
PDF
EPUB

la puissance d'Orphée, la beauté d'Hélène? Dans l'orgueilleux vertige de ses contemplations métaphysiques, dans l'éblouissement de ses visions super-terrestres, l'homme a, pour ainsi dire, cessé de se voir lui-même; il a forfait à son devoir le plus proche. La plus belle œuvre de la création s'est altérée par sa faute (27).

La forme humaine, abandonnée à l'action du temps, a perdu peu à peu dans ses proportons cette juste concordance de force et de grace, cette exquise et noble harmonie que lui avait données le divin artiste (28); elle a perdu, quand la retrouvera-t-elle? cette admirable sérité qui paraît dans l'art grec et dont l'art

derne, triste écho des dissonances de la

nature moderne (qu'on me passe l'expression), n'offre plus d'exemple.

La tempérance est un moyen plus certain peut-être encore de maintenir les forces physiques dans l'état normal indispensable à la pleine liberté de l'âme. Je dis à dessein la tempérance et non l'abstinence, contrairement aux opinions extrêmes qui, supposant un état de guerre perpétuelle entre l'esprit et la chair,

[ocr errors]

veulent qu'on dompte celle-ci, qu'on la tienne captive, qu'on la mortifie par les macérations et la privation de tous plaisirs. Ce sont là des fantaisies de l'imagination surexcitée, une sagesse inconsidérée qui se joue du bon sens en conseillant ce qu'elle ne saurait prescrire sans anéantir le mouvement des êtres (29). J'estime l'extrême austérité insensée à l'égal de l'extrême licence. Si l'une amène l'atrophie, l'autre produit l'exaltation du cerveau. Toutes deux vont contre le vœu de la nature, substituent un désordre à un autre désordre et rompent l'équilibre. Ouvrons les yeux et reconnaissons l'évidence. Ce qui est bon au corps est utile à l'âme. Tous les plaisirs des sens, les spectacles qui réjouissent l'œil, la musique qui berce l'ouïe, les parfums qui charment l'odorat, les saveurs agréables au goût, toutes ces. choses, possédées avec mesure et convenance, donnent au corps un bien-être qui place l'intelligence dans les conditions les plus propices à la justesse des perceptions et à l'appréciation équitable des choses. C'est l'erreur des esprits chagrins ou des organisations maladives, de

[ocr errors]

croire que l'homme s'avilit par le sentiment des voluptés naturelles; tout au contraire, le plaisir l'anime, la joie ouvre son cœur à la bénignité; le bonheur, s'il savait s'y tenir, serait pour lui la révélation la plus haute de sa royale origine et des simples grandeurs de sa destinée.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Supposons dans un corps robuste une intelligence bien à l'aise, servie par des organes exquis qui la mettent harmonieusement en rapport avec le monde extérieur, elle rencontrera dans les profondeurs mêmes de son être une force redoutable si elle n'apprend à la diriger: cette force, c'est la passion.

En la désignant sous le nom de concupis

« PreviousContinue »