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en le poursuivant, souffre et s'altère en croyant jouir; il déroge à la noblesse de sa race et se dégrade soit qu'il désire, soit qu'il regrette des joies inférieures. Ce lui serait un signe certain de déchéance si, par impossible, il trouvait la satisfaction dans la servitude et le bonheur dans un moindre être. Ne subissons pas une telle abjection. Sachons nous élever par la connaissance au-dessus de nos instincts; au-dessus de la région sensible, aveugle, fortuite des faits où tout se produit confusément, comme à notre insu et malgré nous, pour entrer dans la région intellectuelle, claire et permanente, où l'enchainement des causes nous apparaît et où nous nous concevons nous-mêmes comme un agent libre apportant son concours volontaire aux plans providentiels.

On ne saurait trop le répéter, l'homme est de condition libre. La liberté est le principe et la fin de la vie qui lui est propre. Plus il est libre, plus il est homme, Se soustraire à toutes les forces tyranniques, matérielles ou spirituelles, préserver, maintenir, accroître en lui cette liberté par laquelle il cesse d'être chose

et devient persolute, c'est conséquemment sin premier devoir envers lui-même; ajoutons k seul, car, bien compris, il renferme en soi tous les autres.

CHAPITRE V.

DES ORGANES.

Une chose propre à l'esprit est de ne pouvoir exercer ses facultés que par des organes sains.. SAINT GRÉGOIRE.

L'étude de soi a conduit un penseur spiritualiste jusqu'à l'excès à définir l'homme ainsi : une intelligence servie par des organes.

Prenons acte de cette concession. C'est par les organes en effet que l'homme entre en rapport avec le monde extérieur et avec lui-même. De leur flexibilité, de leur délicatesse, disons de leur liberté plus ou moins grande (22), dé

དག་གསང་ཡང་མང་

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LIVRE I.

pendent principalement la justesse et l'harmonie de ces rapports. Plus les sens sont exquis, plus la vérité nous arrive purc. Une vue myope, une ouïe obtuse, un rude toucher ne transmettent à l'intellect que des perceptions vagues qui engendrent des notions confuses; la qualité et le mouvement du sang exercent sur les opérations du cerveau une influence irréfragable (23). La philosophie la plus idéaliste n'essaierait pas de nier que la maladie, les infirmités, la faiblesse ou le trouble des organes, en entravant la communication de l'esprit avec le reste des êtres, ne puissent fausser ou oblitérer les notions les plus indispensables à la vie morale (2). L'excès d'un vin capiteux, la morsure d'un chien enragé, un coup à la tête, suffisent à renverser les plus hautes sagesses et transforment un homme de génie en un fou furieux. Sans doute on a vu de grandes âmes (et ce fut une de leur principale grandeur), triompher d'une constitution débile, Descartes et Spinoza en sont de signalés exemples; mais qui nous dit qu'une part regrettable de leurs forces mentales ne s'est pas vainement usée

dans cette lutte sans relâche avec la souffrance? Ce qu'il y eut d'obscur ou d'incomplet dans leurs vues ne serait-il pas imputable à une défaillance de l'appareil nerveux, incapable de soutenir assez longtemps l'esprit dans les régions supérieures? Et, pour ne citer qu'un nom, croit-on que Pascal, ce vaillant athlète de la pensée, ce logicien intrépide, eût jamais fléchi, croit-on qu'il eût jamais consenti à s'abétir dans une foi aveugle, sans l'épuisement physique où le jetaient les tortures continues d'un mal implacable?

S'il était possible à l'homme de séparer, dabstraire entièrement son esprit de l'enveloppe matérielle dont il est revêtu, on comprendrait à la rigueur que certaines âmes superbes et exaltées prissent en dédain cette partie de notre être que nous voyons sujette à tant de maux, exposée à tant de dégoûts, si promptement flétric, caduque, inclinée vers la terre où l'attendent les vers et la pourriture. Mais la char et l'esprit étant ici-bas inséparablement unis dans une mutuelle dépendance, ce mépris, ce dédain qu'on affecte est contraire au

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