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nous assure aujourd'hui que pas une souffrance, pas une iniquité, ne saurait demeurer longtemps cachée, que pas une idée ne saurait périr ; magnifique certitude qui centuple la puissance de notre vie nationale et légitime nos plus téméraires espoirs.

Dans ces régions obscures, inconnues à la plupart d'entre nous, où l'impulsion du gouvernement ne se fait plus sentir, où nulle influence de parti ne pénètre, quelque chose s'accomplit pourtant. Une action lente s'opère, inappréciable mais continue; qui, dans l'ordre abstrait des idées, peut se comparer à la mystérieuse migration des peuples. Les idées vont à cette heure invinciblement et invariablement à la liberté, comme jadis les peuples du Nord, attirés par un magnétisme indéfinissable, allaient vers le soleil.

Ceux qui pressentent l'avenir, mais qui s'en effraient, disent, en se rappelant avec terreur le peuple rude, violent, brutal, qu'on a vu dans nos révolutions sanguinaire et carnassier comme la bête féroce Dieu nous garde de l'invasion des Barbares (16)! L'image est juste et je l'ac

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cepte. Nos mœurs sont dissolues, nos courages amollis; nous sommeillons dans les délices d'une civilisation énervée. Les Barbares sont à la porte, je me trompe, ils sont dans l'enceinte, et je ne vois point se lever le signe sauveur devant lequel se courbera le fier Sicambre.

Religion, art, poésie, élément féminin, comme parle le grand poëte germanique, pénétrez donc ces masses menaçantes. Heureux du siècle, puissants et riches, si l'amour de la justice ne vous y a point encore conviés, que votre intérêt du moins vous le suggère : allez au peuple; éclairez le peuple; soulagez, élevez le peuple. Ne faisons à son sujet ni idylles ni bucoliques; ne le poétisons pas, comptons-le. Je ne sais point, pour ma part, d'éloquence plus écrasante que cette muette et inflexible rigueur du chiffre.

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CHAPITRE XXVI.

INFLUENCES INDIVIDUELLES.

Au sein de la société troublée dans ses profondeurs, quoique paisible à la surface, en dehors des influences de gouvernement et de partis qui se réduisent à peu de chose, engagés comme ils le sont dans de mauvaises voies, trois missionnaires pacifiques me semblent également appelés par leur caractère et leur situation à l'éducation du peuple, cette grande œuvre de la liberté moderne le prêtre, le médecin, la femme. Le prêtre des campagnes surtout, malgré l'incrédulité des esprits forts de village et

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les refrains voltairiens qui se chantent au cabaret, malgré sa pauvreté, malgré la discipline sacerdotale qui l'entrave, est encore en mesure, le jour où il le voudrait sincèrement et où il s'inspirerait d'un esprit plutôt humain que catholique, de reprendre sur la population une influence considérable. On peut dire qu'il règne encore si ce n'est sur les idées, du moins sur les habitudes de la classe laborieuse. Le peuple n'a point songé jusqu'ici qu'il fût possible de ne pas faire baptiser ses enfants, enterrer ses morts en terre sainte; il regarde la première communion comme un acte officiel aussi indispensable que l'acte de naissance, et préfère encore, après deux révolutions, le mariage religieux au mariage civil. Par le baptême, la première communion, les noces, les funérailles, le prêtre • fait acte d'autorité sur les quatre principales époques de la vie; il est initié au secret des mœurs domestiques, il a la confidence des misères, et, magnifique prérogative, il tient dans ses mains, et semble en posséder seul les secrets, le livre sacré entre tous, le livre du pauvre et du travailleur, l'histoire du charpen

tier divin, de ses amis, de ses frères, les pê cheurs, les laboureurs et les pasteurs de la nation de servitude.

Dans l'ensemble de ses récits naïfs, cette histoire, cette épopée populaire, entourée de ses légendes traditionnelles, renferme l'enseignement le plus véritablement libéral qui fut jamais apporté aux hommes; il a fallu que son sens droit et simple fût, durant plusieurs siècles, sophistiqué, subtilisé, tordu, pressé par l'esprit théocratique, pour qu'on en ait pu extraire les orgueilleuses maximes sur lesquelles s'appuient encore aujourd'hui les droits prétendus de la force et de la richesse, et pour que ce code de la démocratie pure ait servi comme il l'a fait les intérêts et les passions des aristocraties les plus hautaines.

Rendus à leur acception vraie, les récits évangéliques, si le prêtre des campagnes en était le rapsode fidèle et si on les voyait reproduits, comme en un miroir, dans sa vie, idéale et simple tout ensemble, ces récits qui charment l'imagination en touchant le cœur, contribueraient puissamment à la culture morale du

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