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CHAPITRE XX.

VIE PHYSIQUE.

HYGIENE PUBLIQUE.

Les hommes savent comment on doit planter et cultiver l'arbre nommé thoung, que l'on tient dans ses deux mains, et l'arbre nommé tse, que l'on tient dans une seule main. Mais pour ce qui concerne leur propre personne ils ne savent pas comment la cultiver. Serait-ce que l'amour et les soins que l'on doit avoir pour sa propre personne n'équivalent pas à ceux que l'on doit aux arbres thoung et ise? C'est là le comble de la démence. »

MENG-TSEU.

Cette proposition: que l'État, en retour de ce qu'il demande à l'individu d'activité et de concours, doit lui assurer une vie tolérable (je dirais volontiers humaine, et l'on verra pour

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quoi tout à l'heure), porte avec soi un caractère d'évidence tel qu'il pourrait sembler superflu de l'énoncer, si le triste spectacle des misères sociales ne montrait combien elle est encore peu présente à l'esprit de ceux qui gouvernent. Chez les nations les plus civilisées l'existence matérielle est, pour la classe du prolétariat, rudement achetée chaque jour par un travail exorbitant, soumis à des conditions et des chances qui le rendent en beaucoup de cas plus dommageable que productif (116).

Le travail n'est point un mal, loin de là. L'activité des forces est essentielle au bonheur. Mais ce qui est un mal affreux, c'est la disproportion hors de toute mesure, dans la vie du pauvre, entre les heures de travail et les heures de loisir, car l'abrutissement des facultés et la prompte ruine de la constitution en sont les conséquences inévitables (7). Me préserve le bon sens de faire, ainsi que le veut la mode, de la charité romanesque. Restons dans la gravité des faits; consultons les statistiques les plus favorables. Tenons-nous aux chiffres, de peur d'un apitoiement trop facile, et reconnais

sons avec stupeur et remords qu'une majorité immense naît sur le grabat, croît sans asile et sans soin, vit dans les sueurs fiévreuses d'un travail incertain, insuffisant ou insalubre, et meurt, avant le temps fixé par la nature, sans avoir joui peut-être d'un seul jour de sécurité, sans avoir pu jamais échapper, autrement que par l'ivresse ou par le crime, à l'oppression d'une misère irremédiable (118).

Nul ne meurt de faim: axiôme familier à ceux qui jamais n'endurèrent la faim. Le corps humain, il est vrai, oppose une force longtemps invincible à la destruction; il résiste inconcevablement aux privations les plus cruelles. Mais hélas! vivre d'inanition n'est pas un moindre mal que d'en mourir; et qui sait d'ailleurs comment l'on vit et l'on meurt dans ces masses sans nom qui passent, silencieuses et mornes, tout au fond de la sociale comédie, courbées sous le poids de notre indifférence, comme les réprouvés du poëte sous la chape de plomb éternellement écrasante? Mais l'aumône est prodigue, empressée; l'aumône a des ailes; elle court, vole, se répand et se multi

plie avec une merveilleuse intelligence; la charité chrétienne prévoit tout, plaint et console tout; et si elle ne remédie pas à tout, c'est que le mal est nécessaire, et ne se peut bannir que dans les utopies de quelques bons cœurs qui n'entendent rien au train du monde. C'est ainsi qu'on raisonne et qu'on se tranquillise. Ames généreuses, philanthropes respectables, votre aveuglement se prolonge outre mesure. Il est bien temps qu'on vous éclaire. Souffrez qu'on vous le dise enfin sans détour; il ne s'agit pas de charité, mais de justice. Cette aumône qu'on préconise, moi je la voudrais supprimer. Vous la reconnaissez insuffisante, je la déclare fâcheuse, parce que son résultat le plus certain c'est de rassurer le riche dans la possession de ses richesses et de perpétuer dans l'esprit du pauvre le sentiment dégradant d'une dépendance dont rien ne le relève, d'un esclavage d'autant plus odieux qu'il n'emporte même pas avec lui, comme l'esclavage antique, la sécurité d'un certain bien-être. Non, non; l'aumône recommandée aux uns, la résignation prêchée aux autres, font injure à la

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