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L'ouvrage que nous offrons au public est le fruit de recherches personnelles.

Lorsqu'il nous fut loisible d'entamer cette étude, l'Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes de Bruxelles, réputée la plus puissante union professionnelle du pays, venait, par une grève mémorable, de captiver l'attention de quiconque s'occupe de questions ouvrières. Parmi celles-ci, aucune n'est plus actuelle et plus palpitante que celle de l'organisation des ouvriers en syndicats professionnels. L'idée nous vint d'essayer la monographie du syndicat

en cause.

Nos premières investigations remontent au début de l'année 1902. Elles nous amenèrent à amplifier notre dessein. Nous nous aperçûmes que, ici comme ailleurs, les vues partielles courent risque d'être des vues étroites, des vues fausses. Pour se prononcer à bon escient sur la légitimité et l'opportunité des revendications ouvrières, pour apprécier en toute équité l'action syndicale, on doit tenir compte des transformations techniques et des exigences de l'industrie.

Il convenait d'étudier concurremment la technique du métier, l'organisation de l'industrie et celle du travail à ce prix seulement, le problème syndical nous apparaîtrait sous son vrai jour.

Comme nous étions sur place, nous pûmes mener une longue et minutieuse enquête, suivre de près les diverses évolutions du monde typographique. Toutefois, fort occupé par ailleurs, le loisir ne nous appartint jamais de nous consacrer principalement à ce travail : à maintes reprises, il eut à subir de longues interruptions et la rédaction ne put s'en faire qu'à bâtons rompus.

Il résulte de ces circonstances que, parfois, nous ne nous sommes pas tenu aux strictes exigences de notre but originel, ni même à ce qu'il eût fallu pour que l'ensemble constituât la monographie complète du métier. Il nous arrive d'insister sur des faits, notables et intéressants en eux-mêmes, mais relativement étrangers à notre objectif principal; comme aussi - lacunes inévitables - de n'en guère accentuer d'autres, faute d'informations.

Nous avons formulé des conclusions.

Dans notre pensée, elles n'ont pas pour unique fondement les faits consignés dans ce volume: il n'est pas possible de relever tout ce que l'on observe. Du reste, l'observation méthodique des faits dans une enquête et leur exposé dans une monographie doivent

servir surtout à confirmer ou à corriger les constatations antérieures et les données de l'expérience

commune.

La part de vérité découverte originalement par chacun de nous est infinitésimale. Mais le précieux trésor des vérités acquises nous est transmis par des formules qui en expriment très imparfaitement de minimes parcelles et dont nous saisissons difficilement la portée véritable. L'observation et la réflexion doivent nous les expliquer, en préciser le sens ; sinon, elles demeurent pour nous à l'état de formules vaines et creuses, dans lesquelles nous puisons tout au plus quelques conceptions étroites et fausses (1).

On ne peut donc se contenter de théories et d'appréciations toutes faites: pour juger sainement les choses, il faut les avoir attentivement observées et considérées dans leur réalité concrète.

Jamais on n'attachera trop d'importance à l'observation directe.

Le règne des idées et des systèmes préconçus, des doctrines et des mensonges conventionnels, prend heureusement fin: toute affirmation est soumise à une critique sévère; les formules les plus vénérables sont examinées avec soin, à la lumière de l'expérience et de la réflexion; on scrute jusqu'aux fondements de la certitude.

On s'est aperçu que tout principe dont on ne vérifie

(1) Cfr. à ce sujet le beau livre du Card. NEWMAN: Grammar of Assent.

pas constamment l'application dans les faits finit toujours par être mal compris et mal interprété, et que toute doctrine qui a perdu contact avec les réalités concrètes est nécessairement faussée.

Mais on ne s'était pas borné à négliger les faits. Il fut de tradition de les masquer au besoin, de voiler sans scrupule tout ce qui semblait gênant ou compromettant pour les doctrines et les institutions dont on se constituait le défenseur.

Ce lâche opportunisme est aussi passé de mode.

La vérité n'a pas besoin de nos mensonges : l'immortel pontife Léon XIII l'a solennellement proclamé au nom de l'Église dont il était le chef; et sa parole traduit parfaitement un des plus nobles sentiments de l'âme contemporaine.

Notre temps a le culte, la passion de la vérité, de la loyauté. C'est sa gloire; ce sera son salut.

On s'est longtemps imaginé que la liberté allait sauver le monde. C'était une illusion: la liberté a fait banqueroute et il devait en être ainsi. Elle remédie au despotisme; mais, quand elle est sans frein, elle permet au fort d'opprimer le faible, au vice et à l'erreur de triompher de la vérité et de la vertu, elle désarme le pouvoir et l'empêche d'accomplir pleinement sa mission et de faire entière justice. Une certaine tolérance est parfois un moindre mal, un expédient; jamais, un bien parfait et absolu, un principe de vie et de restauration.

Le triomphe de la vérité est, au contraire, souverai

nement désirable: ce serait le triomphe du bien, et notamment de la justice et de la paix sociale.

D'une part, la droiture et la loyauté qui commandent le respect de la vérité, inspirent aussi l'amour de la justice; d'autre part, les solutions basées sur la vérité peuvent seules satisfaire la justice, rallier tous les suffrages, opérer l'union des esprits et des cœurs et assurer à la société une paix solide et durable.

Cependant, il faut bien le constater, si le respect de la vérité est en progrès, il devient de plus en plus difficile de s'entendre sur le terrain des principes et des idées abstraites. Tout nous y divise. Les polémiques et les discussions ont trop souvent pour unique résultat de multiplier les malentendus. Beaucoup de nos contemporains récusent tout autre témoignage que celui des faits. C'est folie : il est d'autres critères de vérité, et l'on ne peut le méconnaître sans se condamner à ignorer sans remède les vérités les plus sublimes et les plus essentielles, les seules qui donnent un sens à la vie et permettent d'apprécier toute chose à sa valeur réelle. Ce sont ces grandes vérités méconnues qui nous tiennent le plus à cœur. Nous leur avons voué notre vie dans un ordre apostolique qui s'est toujours glorifié d'être par excellence l'ordre de la Vérité, et, pour assurer leur triomphe, nous sommes disposé à tout entreprendre et à tout endurer, décidé à tous les sacrifices.

Mais nous considérons aussi comme un impérieux devoir de rechercher loyalement et sans arrière-pensée les vérités qui se dégagent des faits. La conquête de

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