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CORRESPONDANCE

DE

MALEBRANCHE ET DE MAIRAN.

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Depuis que les lettres du P. André nous ont appris d'une manière certaine que Malebranche avait été en correspondance avec plus de cinq cent cinquante personnes, dont la plupart sont expressément désignées, il vient d'être découvert un fragment de cette vaste correspondance, dont l'existence n'avait pas même été soupçonnée à savoir, quatre lettres de Mairan, de l'Académie des sciences, à Malebranche, avec les réponses de celui-ci.

Cette correspondance a dû se trouver dans les papiers de Mairan, car les lettres seules de Malebranche sont les originaux envoyés et reçus; celles de Mairan sont ses brouillons, ses minutes, avec des ratures et des corrections nombreuses. Il ne peut pas y avoir le moindre doute sur la parfaite authenticité de ces pièces, où l'écriture de

Voyez p. XLV de l'Introduction aux OEuvres philosophiques du Père André.

Malebranche et celle de Mairan ne peuvent être mé

connues.

Acquises récemment à la vente de la bibliothèque de feu M. Millon, professeur de philosophie ancienne à la faculté des lettres de Paris, elles viennent d'être publiées', avec un écrit également inédit, mais beaucoup moins important, de Malebranche. Cet écrit est intitulé: Méditations métaphysiques, où l'on tâche de commencer par les premiers principes des sciences et de ne rien admettre qui ne soit évident et démontré. Il forme un cahier qui paraît bien de la main de Malebranche. D'ailleurs, le fonds des idées est celui de la Recherche de la vérité, des Méditations chrétiennes et des Entretiens metaphysiques. Le style seul du grand écrivain n'y est pas ; nul développement, nul détail; c'est une première ébauche assez médiocre.

Ce cahier est daté du 24 janvier 1689, et commence ainsi : « Je me trouve à présent dans un âge où il me semble que je n'en dois pas attendre un plus avancé pour m'appliquer sérieusement à la recherche de la vérité dans les sciences qui conviennent à l'état où j'ai sujet de croire que Dieu m'a appelé. Je vais donc commencer par les premières et les plus simples de nos connoissances et je tâcherai d'avancer ensuite par ordre. » Cette date de 1689 supposerait que ce premier cahier a été écrit près de quinze ans après la Recherche de la vérité, dont le premier volume est de 1674, bien après les Conversations

'Chez Delloye, sous ce titre : Méditations métaphysiques, et Correspondance de N. Malebranche avec D. de Mairan, publiées pour la première fois.

chrétiennes, qui sont de 1676 ou 1677, bien après les Méditations chrétiennes qui suivirent les Conversations, et même deux ans après les Entretiens, qui sont de 1687. Un écrit de Malebranche, daté de 1689, devrait porter l'empreinte de cet admirable talent arrivé à toute sa perfection; car il avait alors cinquante et un ans. Or ce cahier est, au contraire, assez faible, et tout y est fort au-dessous des ouvrages que nous venons de citer, et qui auraient dû le précéder. Enfin on ne conçoit pas comment, après avoir fait la Recherche de la vérité et ses plus grands ouvrages, les Méditations et les Entretiens, Malebranche, le 24 janvier 1689, s'avertirait lui-même qu'il est dans un âge où il n'en doit pas attendre un plus avancé pour s'appliquer sérieusement à la recherche de la vérité. Nous le répétons cette date de 1689 est tellement embarrassante à la tête d'une ébauche de la Recherche de la vérité, des Méditations ou des Entretiens, que nous serions presque tentés de lire 1669, ce qui permettrait de voir ici le premier essai du plus grand disciple de Descartes. Mais nous prévenons qu'on ne peut lire 1669 que contre l'évidence matérielle, et nous attachons fort peu de prix à cette conjecture, et même à cet écrit, qui n'ajoute absolument rien à ceux de Malebranche, et ne fournit aucun fait, aucun renseignement dont puisse s'enrichir la littérature philosophique.

Cet ouvrage sans importance est suivi d'un autre qui en a moins encore et qui porte aussi le titre de Méditations métaphysiques. L'éditeur donne ce cahier comme aussi incontestablement authentique que le premier. Il n'en est rien, et nul doute n'est permis. Ces méditations

sont de l'abbé de Lanion '; elles ont été imprimées plusieurs fois sous le pseudonyme de Guillaume Wander, d'abord à, Cologne, en 1678, puis par Bayle, en 1684, dans le Recueil de quelques pièces curieuses concernant la philosophie de M. Descartes. Nous n'avons donc point à nous occuper de cet écrit, qui, comme on le voit, est bien loin d'être inédit et d'appartenir à Malebranche.

La pièce capitale est ici la correspondance de Malebranche et de Mairan. Mais l'éditeur, M. Feuillet de Conches, bien connu par ses riches collections d'autographes et sa curieuse érudition en toute autre matière, moins familier avec les questions subtiles et épineuses sur lesquelles roulent ces huit lettres, faute d'avoir parfaite ment saisi la pensée de Mairan et de Malebranche, n'a pas toujours bien lu ce qui était sous ses yeux; car ce n'est pas seulement l'œil, c'est l'esprit aussi qui doit lire. Ayant eu l'avantage d'avoir quelques heures à notre disposition les originaux, nous avons pu en faire une copie fidèle, que nous suivrons dans cet article et sur laquelle nous relèverons d'abord quelques-unes des leçons les plus défectueuses qui déparent cette première édition, dans le pur intérêt de la vérité et dans celui d'une édition nouvelle.

P. 132, à la fin, dans le post-scriptum : « Je souhaiterais bien aussi de savoir si c'est le livre de l'action de Dieu sur la création qui vous donne le dernier. » Cette phrase n'a pas de sens; le dernier est une conjecture de l'éditeur dans le texte le mot est effacé et illisible.

P. 155: « Pour moi, je cherche en vain comment la

Voyez plus bas la Correspondance de Malebranche et de Leibnitz

représentation que contient cette idée ne seroit pas infinie, et qu'est-ce qui constitueroit son infinité sans cela ? Une idée est un être représentatif.... » Voilà le vrai texte. L'éditeur donne: « et qu'est-ce qui constitueroit son infinité? Sans cela, une idée est un être représentatif.... »

P. 174, le texte : « Mon esprit ne sent point immédiatement son propre corps. » L'éditeur : « Mon esprit ne sent point immédiatement, à son propre. » Cela nous est inintelligible.

P. 164, dans un passage où il s'agit de la substance et des modes, le texte dit : « Une étendue qui ne diffère de celle de la pomme et que je ne distingue d'avec elle que modalement. » L'éditeur : « moralement. >>

P. 166, le vrai texte : « Votre étendue intelligible n'est qu'une idée en Dieu, idée sans idéat. » Idéat, de ideatum de Spinoza, c'est-à-dire objet réel de l'idée. L'éditeur : «< idée sans idéal. »

Il y a bien des fautes de ce genre; mais ce qu'il y a de plus grave, c'est l'omission des notes marginales de Mairan et de plusieurs paragraphes qu'il importe de rétablir.

Sans nous arrêter plus longtemps à ces détails, passons à la correspondance elle-même, qui est du plus grand intérêt pour l'histoire de la philosophie.

Grandjean de Fouchy nous apprend que Mairan, né à Béziers, en 1678, et élevé à Toulouse, avait connu Malebranche pendant le séjour de quatre années qu'il avait fait à Paris dans sa première jeunesse, en 1698, tout occupé de physique et de mathématiques. A ce qu'il paraît par la première lettre de notre correspondance, Malebranche,

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