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<< Mais dom Robert dit encore quelque chose de plus fort contre lui-même en l'art. 9, où il restreint la démonstration de l'immortalité de l'âme à prouver que l'âme est une substance et qu'en cette qualité elle est indéfectible; ce qui fait voir clairement que comme cette prétenduë indéfectibilité convient à l'âme, comme substance et non pas comme spirituelle, dom Robert a abandonné les preuves que Descartes a tirées de sa spiritualité en faveur de son immortalité, ou du moins il ne les a pas crues suffisantes pour la prouver. Dom Robert ne peut pas désavouer et personne n'a jamais nié que si notre âme est spirituelle, elle ne soit immortelle. Il faut donc que dom Robert soit persuadé qu'on ne peut pas être assuré de sa spiritualité, et par conséquent il faut qu'il avoue que le commerce qu'elle a avec le corps nous donne sujet de la croire corporelle.

« Quant au second inconvénient, dom Robert répond que c'est une grande erreur de croire que nos idées ne peuvent avoir que des objets corporels, parce qu'elles ne nous viennent que par les sens. Je n'ai aucune honte, toutefois, d'avouer que je suis dans cette erreur, en supposant, comme l'a soutenu dom Robert, que nos idées sont imprimées à l'âme par les sens comme causes vraiment efficientes, et qu'elles ont toutes du mouvement, de la succession et autres modes du corps; d'où s'en suit que, comme employant notre imagination à nous représenter Dieu, les anges et nos âmes, nous ne les voyons que comme des corps, parce qu'il est impossible que l'idée étant la cause efficiente de la représentation, l'effet soit plus parfait que la cause. Ainsi l'idée que nos sens pro

duiront comme véritables causes efficientes ne pourra être que corporelle, ni produire aucune représentation en nous que corporelle. C'est une chose assez extraordinaire que dom Robert ne puisse souffrir une pensée en l'homme qui ne soit un mouvement, et qu'il assure art. 4, qu'une intellection étant prise dans un sujet, est un corps qui donne une pensée à l'âme, et cependant qu'il soutienne en l'art. 8 que l'idée imprimée par les sens doive passer pour une intellection très-pure........

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Après cet examen détaillé et approfondi des douze premiers articles de Descartes à l'alambic, on passe, et il en est temps, aux articles 13, 14, 15, 16, 17, 18, relatifs à la démonstration cartésienne de l'existence réelle de Dieu par l'idée même de Dieu. Dom Robert compromettait cette démonstration en la rattachant à ce principe, que non pas l'idée seule de Dieu, mais toute idée suppose nécessairement une existence réelle à laquelle elle corresponde. Il soutenait que tout objet de la pensée est réel. Or ce principe, pris ainsi absolument, choque le sens commun, et a grand besoin d'explications. Le cardinal en demande à dom Robert. Il distingue entre l'existence objective d'une chose, c'est-à-dire son existence comme objet de l'esprit, d'avec son existence en soi, dans sa nature intrinsèque, et telle qu'elle est, selon les décrets de Dieu. L'être objectif nous fait connaître l'être en soi, mais grâce à l'intervention de Dieu qui seul peut nous assurer que l'être en soi est vraiment tel que l'exprime l'être objectif. Otez cette intervention de Dieu, l'être objectif n'exprime pas nécessairement l'être en soi, et le principe de dom Robert que tout ce qui est

objet de l'esprit existe réellement par cela seul, est inadmissible. Ce petit morceau se ressent un peu de l'obscurité de la matière ; et il ne faut pas oublier que le langage ici employé est celui de tous les écrivains philosophiques du temps, qui l'avaient emprunté à la scholastique. L'être objectif signifiait alors juste le contraire de ce qu'il si.... gnifie aujourd'hui au delà du Rhin, à savoir une représentation subjective et phénoménale.

PRO

RÉFLEXIONS DU CARDINAL DE RAIS SUR LA 13-18 POSITION DE DESCARTES A L'ALAMBIC DISTILLÉ PAR DOM ROBERT.

« Devant que d'entrer dans le détail des propositions treisième et suivantes jusques à la dixbuitième inclusivement de dom Robert contre Descartes, je crois qu'il est nécessaire que je lui explique ma pensée touchant l'être objectif, de l'éclaircissement duquel celui de toutes ses propositions dépend purement, afin qu'il me donne lieu par sa réponse de mieux entendre moi-même ce qu'il entend proprement par ces propositions, qui sont assez claires pour me faire connoître qu'il n'est pas de l'avis de M. Descartes touchant cet être objectif, mais qui ne le sont pas assez (au moins à ce qui m'en paroît) pour me faire parfaitement concevoir de quelle manière il les entend lui-même.

« Je dis donc qu'une chose peut être considérée de deux manières: 1o en tant qu'elle est ce qu'elle est ; 2o en tant qu'elle est l'objet de notre pensée. Ces deux manières de considérer une chose nous donnent lieu de reconnoître deux sortes de véritez, l'une qu'on peut appeler vérité intrinsèque, l'autre qu'on peut appeler vérité extrinsèque.

La vérité intrinsèque est définie par saint Anselme, Dialog. de Verit., c. 8 et 22, qui dit qu'elle est une certaine droiture qui consiste en ce que chaque chose est ce que Dieu a voulu qu'elle soit en la produisant'. Ce qui apparemment est tiré de ces belles paroles de saint Augustin: La nature de chaque chose est la volonté de Dieu, c'està-dire que la vérité en ce sens est ce qu'on appelle la nature propre de chaque chose, et c'est ce qui a donné lieu aux philosophes d'avouer d'un commun consentement, que, quand une chose a une nature, elle est toujours vraie, parce que sa vérité est sa conformité avec l'idée de Dieu, et sa nature est d'être ce que Dieu a voulu qu'elle soit. Ainsi, quand elle est, il ne se peut pas qu'elle ne soit pas vraye, parce que nature et vérité est la même chose réellement.

« La vérité extrinsèque est une certaine droiture de notre pensée qui la rend conforme à l'objet qu'elle considère, et qui fait qu'elle le voit tel qu'il est en soi. C'està-dire que comme la vérité intrinsèque consiste en ce que la nature des choses est conforme à l'idée que Dieu en a, ainsi la vérité extrinsèque consiste en ce que nos idées sont conformes à la nature des choses, c'est-à-dire à l'idée de Dieu.

« D'où s'ensuit que, quand nous avons une connoissance claire de la nature des choses, nos connoissances sont vrayes, et que nous avons cette connoissance claire

Il ne faut pas s'étonner de voir le cardinal de Retz citer saint Anselme et saint Augustin, et faire preuve d'un certain savoir en théologie. Outre qu'il lisait beaucoup dans sa solitude, il avait fait de premières études fort solides sous saint Vincent de Paul, passé des thèses brillantes en Sorbonne. et tenu tête à Mestrezat, chez Me d'Harambure. Voyez les Mémoires.

de leur nature quand nous sçavons ce que Dieu a voulu qu'elles soient. Or, quoique la nature d'une chose et l'idéc ou la volonté de Dieu soient le même (comme on vient de le dire), on peut néanmoins les considérer en deux façons : 1o comme venant de Dieu; 2° comme étant la chose même.

<«< De là, il s'ensuit clairement que si Dieu a une connoissance claire des choses en formant le décret de les produire, parce qu'elles ont une nature réelle et véritable par la vertu de ce décret, comme il a fait l'ange et l'homme raisonnables en leur communiquant son intelligence, il peut aussi leur faire connoître la nature des choses qu'il a résolu de produire, en leur communiquant l'idée qu'il en a, c'est-à-dire son intelligence terminée aux natures auxquelles il a donné l'être au moins objectif par son décret.

« De tout ce que dessus, j'infère que l'être objectif seul est incapable de faire connoître aux hommes la nature des choses que Dieu a résolu de produire, en leur communiquant l'idée qu'il en a. Si c'est ce que dom Robert a prétendu de combattre de la doctrine de Descartes, comme il me le semble par les propositions dont il s'agit, c'est à lui à les prouver. »

Dom Robert adresse au cardinal une réponse ingénieuse, mais un peu longue. Elle commence ainsi : « La doctrine de dom Robert touchant ces articles ne contient rien de mystérieux, et se réduit uniquement à cette vérité première et fondamentale qu'on ne sauroit penser à rien, et que nos conceptions simples, c'est-à-dire la première opération de l'esprit, sont toujours vraies et conformes à leur objet.... On peut apporter pour première preuve de cette

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