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velle philosophie dans l'intérêt de cette dernière, était génovéfin1. Enfin l'ordre de Saint-Benoît, dans ses deux branches principales, la congrégation de Saint-Maur et la congrégation de Saint-Vannes, intervint dans cette grande querelle, ici par dom Lamy, l'auteur de l'estimable traité de la Connaissance de soi-même, là par dom Robert Desgabets, qui défendit Malebranche contre Foucher, l'académicien, et introduisit dans la congrégation de Saint-Vannes le cartésianisme, du moins en ce qui regarde la méthode et la liberté de penser.

Dom Robert Desgabets est le plus obscur des personnages que je viens de rappeler. C'est de lui pourtant et de ses manuscrits que je vais entretenir le lecteur, parce que ces manuscrits contiennent des documents importants pour l'histoire de notre grande philosophie nationale du XVIIe siècle.

Robert Desgabets, né dans le diocèse de Verdun, entré en 1636 dans la congrégation de Saint-Vannes et de SaintHidulphe, y remplit successivement les emplois de professeur, de définiteur, de prieur et de procureur-général. Il se distingua par le zèle qu'il mit à ranimer dans son ordre le goût des fortes études. Il adopta de bonne heure le cartésianisme, mais beaucoup plus en physique qu'en métaphysique. Il a revendiqué la première expérience de la transfusion du sang, qui paraît en effet lui appartenir. Envoyé à Paris en qualité de procureur-général de sa con

René le Bossu n'a publié qu'un seul écrit philosophique: Parallèle des principes de la physique d'Aristote et de celle de Descartes, 1674, in-12. La bibliothèque de Chartres possède un bon nombre d'écrits philosophiques de ce savant génovéfin. Peut-être contiennent-ils quelque chose qui mériterait de voir le jour.

grégation, il profita du séjour qu'il y fit pour se lier avec les principaux cartésiens, Clerselier, Régis, Rohault, le père Poisson et Malebranche. Lorsque celui-ci fut attaqué par Foucher, dom Desgabets prit sa défense dans un écrit imprimé en 1676, et qui a pour titre Critique de la critique de la Recherche de la Vérité, où l'on découvre le chemin qui conduit aux connaissances solides, pour servir de réponse à la lettre d'un académicien. C'est le seul ouvrage de dom Desgabets qui ait vu le jour. Mais il en avait écrit un très-grand nombre d'autres sur les points les plus délicats de la philosophie et de la théologie. Les explications qu'il tenta du mystère de l'Eucharistie excitèrent des ombrages qu'il dissipa par une prompte et entière soumission aux décisions de l'Église. Il passa la fin de sa vie dans le monastère du Breuil à Commercy, et il y mourut le 13 mars 1678, laissant une mémoire très-honorée dans son ordre, et dans le monde la réputation d'un homme d'un esprit peu ordinaire, disciple à la fois et adversaire de Descartes, hasardeux en philosophie, un peu novateur en théologie, et par-dessus tout ardent ami de la vérité, des libres discussions et des sérieuses études.

Les papiers laissés par dom Desgabets étaient dispersés dans les cinq monastères de sa congrégation qu'il avait habités ou avec lesquels il avait été en rapport intime : ceux de Hautvillers, près de Reims, de Breuil à Com mercy, de Moyenmoutier, de Saint-Mihiel et de Sénones. Vers le milieu du dernier siècle, dom Ildephonse Catelinot, bibliothécaire de l'abbaye de Saint-Mihiel, avait songé à les donner au public. Pour rendre sa collection

complète, il s'adressa à ces différents monastères; et des pièces qu'il parvint à réunir il composa deux volumes in-folio, qui, des abbayes de Saint-Mihiel ou de Sénones, sont passés, à la révolution, dans la bibliothèque publique de la ville d'Epinal.

Ces deux volumes in-folio, fort lisiblement écrits par des mains différentes, mais toutes du XVIIIe siècle, renferment, l'un les ouvrages philosophiques, l'autre les ouvrages théologiques de dom Robert Desgabets. Dans de petits cahiers, joints au Ier volume, on trouve des lettres de différents bénédictins de Moyenmoutier, d'Hautvillers, de Saint-Mihiel, etc., adressées à dom Catelinot, avec les listes des écrits de dom Desgabets que possédait chacun de ces monastères. Ces listes donnent les titres de plusieurs écrits qui ne sont pas dans nos deux in-folio.

Au premier coup-d'œil jeté sur les différents ouvrages qu'ils contiennent, ce qui nous a frappé tout d'abord c'est le caractère des opinions philosophiques de dom Desgabets. Ce professeur bénédictin, ce prieur du monastère de Breuil, ce procureur - général d'une congrégation aussi pieuse que savante, ce partisan de la philosophie nouvelle, est en réalité plus près d'Aristote que de Platon, de Gassendi que de Descartes. I reproche à Descartes d'avoir trop fait abstraction de la matière et de la dépendance où l'âme est du corps dans tous ses actes et dans toutes ses pensées; et, sans jamais citer Gassendi, il en reproduit, sous une autre forme, toute la polémique. Il s'efforce de tourner la méthode psychologique de Descartes contre ses principes; il soutient, par exemple, qu'il n'y a pas de pensée, si primitive

et si pure qu'elle soit, qui ne contienne quelque élément empirique et sensible, et qui, par conséquent, ne suppose implicitement ou explicitement la notion du corps. Descartes avait établi que la pensée en elle-même, ne contenant rien d'étendu et supposant un sujet d'inhérence, une substance du même caractère qu'elle, il s'ensuivait nécessairement que l'âme, c'est-à-dire le sujet de la pensée, est, comme elle, inétendue, simple, spirituelle; et qu'ainsi la notion de l'esprit nous est donnée d'abord dans la conscience même de la pensée, tandis que la notion du corps vient plus tard à la suite de celle de l'étendue, lorsque l'esprit sort de lui-même pour entrer dans le monde extérieur. Cette démonstration de la spiritualité de l'âme par la conscience de la pensée était à la fois le point de départ et le fondement du cartésianisme. Toutes les attaques de Gassendi étaient venues se briser contre ce fondement inébranlable. Dom Robert renouvela les mêmes attaques, avec moins de force, plus de subtilité peut-être, mais sans plus de succès.

Étant à Paris, il adressa à une société cartésienne qui s'y tenait alors divers écrits contre la doctrine de Descartes; un de ses amis fut même admis à y présenter et à y soutenir ses objections; et notre manuscrit contient le procès-verbal de la séance où ces objections furent discutées. Ce procès-verbal nous introduit, pour ainsi dire, dans l'intérieur d'une petite académie qui s'était formée à Paris, pour la défense et la propagation du cartésianisme, contre lequel s'élevait alors une persécution de jour en jour plus violente.

Quelle était cette académie cartésienne? de qui était

elle composée? chez qui s'assemblait-elle ? quand commença-t-elle, et jusqu'où dura-t-elle ? voilà des questions auxquelles il n'est pas aisé de répondre.

Nous savons par Baillet qu'avant l'établissement de l'Académie des sciences, les savants de Paris s'assemblaient, pour conférer ensemble, tantôt aux Minimes, place Royale, chez le père Mersenne, qui était tout cartésien; tantôt chez l'abbé Picot, prieur du Rouvre, qui logeait ordinairement Descartes, quand il était à Paris; tantôt enfin chez M. de Montmort, maître des requêtes, qu'il faut bien se garder de confondre avec Rémond de Montmort de la même famille, ami et élève de Malebranche, membre de l'Académie des sciences, et dont Fontenelle a fait l'éloge. Le premier de ces Montmort (Henri-Louis-Habert) était un cartésien déclaré, qui, au rapport de Baillet, avait offert à Descartes, avec beaucoup d'instance, l'usage entier d'une maison de campagne de trois à quatre mille livres de rente, appelée le Menil-Saint-Denis 2. Ces diverses sociétés s'assemblaient déjà du vivant de Descartes; il y assista souvent pendant son dernier séjour à Paris, en 1648. La société de M. de Montmort survécut aux deux autres, et subsista sans interruption pendant assez longtemps, puisque le 13 juillet 1658, Clerselier y lut une défense de Descartes, contre Roberval, sous la forme d'une lettre que Descartes lui aurait autrefois adressée3. On voit encore, par une lettre de

Vie de Descartes, IIe partie, chap. XIV.

2 Ibid. IIe partie, liv. vIII, chap. II.

1 Ibid. IIe partie, liv. Iv, chap. XIV; et le t. III des lettres de Descartes, où Clerselier a imprimé cette défense.

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