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re lui donna , n'a pas été inferieur à celui de ces deux Auteurs, & lui a fait produire des Ouvrages d'un agrément incomparable. Il s'y rencontre une fimplicité ingenieufe, une naïveté fpirituelle, & une plaifanterie originale, qui n'ayant jamais rien de froid, cause une furprife toujours nouvelle. Ces qualitez fi délicates, fi faciles à dégenerer en mal, & à faire un effet tout contraire à celui que l'Auteur en attend, ont plû à tout le monde, aux férieux, aux enjouez, aux cavaliers, aux Dames, & aux vieillards, de même qu'aux enfans.

Jamais perfonne n'a mieux mérité d'être regardé comme Original, & comme le premier en fon efpece. Non feulement il a inventé ce genre de Poëfie, où il s'eft appliqué, mais il l'a porté à fa derniere perfection: de forte qu'il eft le premier, & pour l'avoir inventé, & pour y avoir tellement excellé, que perfonne ne pourra jamais avoir que la feconde place dans ce genre d'écrire. Les bonnes chofes qu'il faifoit lui coutoient peu, parce qu'elles couloient de fource, & qu'il ne faifoit prefque autre chofe que d'exprimer naturellement fes propres pensées, & fe peindre lui-même. S'il y a beaucoup de fimplicité & de naïveté dans fes Ouvrages, il n'y en a pas eu moins dans fa vie & dans fes manieres. Il n'a jamais dit que ce qu'il penfoit, & il n'a jamais fait que ce qu'il a voulu faire. Il joignoit à cela une humilité naturelle, dont on n'a guére vû d'exemple; car il étoit fort humble fans être devot, ni même régulier dans fes mœurs, fi ce n'est à la fin de fa vie 2 qui a été toute chrétienne. Il s'eftimoit peu, il fouffroit aisément la mauvaise humeur de fes

amis,

amis, il ne leur difoit rien que d'obligeant, & ne fe fâchoit jamais, quoiqu'on lui dît des chofes capables d'exciter la colere & l'indignation des plus moderez. Monfieur Fouquet alors Surintendant des finances lui donna une pension, & lui fit beaucoup d'accueil, ainsi qu'à fes Ouvrages, dont il y en a plufieurs où il l'a loué très-ingenieufement, & où les beautez de fa maifon de Vaux-le-Vicomte font dépeintes avec une grace admirable. Le peu de foin qu'il eut de fes affaires domeftiques, l'ayant mis en état d'avoir befoin du fecours de fes amis, Madame de la Sabliere, Dame d'un merite fingulier & de beaucoup d'efprit, le reçut chez elle, où il a demeuré près de vingt ans. Après la mort de cette Dame, M. d'Hervart, qui aimoit beaucoup M. de la Fontaine, le pria de venir loger chez lui, ce qu'il fit; & il y eft mort au bout de quelques années.

Il a compofé de petits Poëmes épiques, où les beautez de la plus grande Poëfie fe rencontrent, & qui auroient pû fuffire à le rendre celebre; mais il doit fon principal mérite & fa grande réputation à fes Poëfies fimples & naturelles. Son plus bel Ouvrage, & qui vivra éternellement, c'eft fon Recueil des Fables d'Efope qu'il a traduites ou paraphrafées. Il y a joint au bon fens d'Efope des ornemens de fon invention fi convenables, fi judicieux, & fi réjouïffans en même temps, qu'il est mal-aisé de faire une lecture plus utile & plus agréable tout enfemble. Il n'inventoit pas les Fables; mais il les choififfoit bien, & les rendoit prefque toujours meilleures qu'elles n'étoient. Ses Contes qui font la plûpart de petites Nouvelles en vers, ་5

font

font de la même force, & l'on ne pourroit en faire trop d'estime s'il n'y entroit point preque par tout trop de licence contre la pureté. Les images de l'Amour y font fi vives, qu'il y a peu de lecture plus dangereufe pour la jeuneffe, quoique perfonne n'ait jamais parlé plus honnêtement des chofes deshonnêtes. J'aurois voulu pouvoir diffimuler cette circonftance, mais cette faute a été trop publique, & le repentir qu'il en a fait paroître pendant les deux ou trois dernieres années de fa vie, a été trop fincere pour n'en rien dire. Il étoit de l'Academie Françoife, & lorsqu'il témoigna fouhaiter d'en être, il écrivit une Lettre à un Prélat de la compagnie, où il marquoit & le déplaifir de s'être laiffé aller à une telle licence, & la réíolution où il étoit de ne plus compofer rien de femblable. Il mourut à Paris, le 13. Avril 1695. âgé de 74 ans, avec une conftance admirable, & toute chrétienne.

LET.

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LETTRE

du R. P. POUJET, Prêtre de l'Oratoire, à M. l'Abbé D'OLIVET, de l'Académie Françoife;

OU

Rélation de la converfion de Monfieur DE LA FONTAINE, de l'Académie Françoise.

1

L eft jufte, Monfieur, de répondre au louable empreffement avec lequel vous m'avez fait l'honneur de me demander un récit circonftancié de ce qui s'eft paffé au fujet de la converfion du celebre feu Monfieur de la Fontaine, qui me fit fa confeffion generale, & regut de ma main le faint Viatique en 1693. Je vais, Monfieur, vous en faire une relation exacte: les faits font auffi prétens à ma mémoire, que fi l'hiftoire étoit arrivée depuis peu de jours; & je ne fuis pas fâché qu'il le prefente naturellement une occafion de rendre publique la circonitance de la vie de feu M. de la Fontaine, qui lui a fait le plus d'honneur. On y lira en même temps avec joye une des plus belles actions que feu Monfeigneur le Dauphin, qu'on nommoit alors Monfeigneur le Duc de Bourgogne, ait faites dans fon enfance; action au refte dont peu de gens font inftruits, & que l'Auteur de la Vie de ce Prince n'auroit pas * 6

man

manqué d'inferer dans fon Livre, s'il l'eût fûë.

› pour

Vers le milieu du mois de Decembre 1692. M. de la Fontaine, qui demeuroit alors fur la Paroiffe de faint Roch à Paris, tomba dangereufement malade, en la foixante-quinziéme * année de fon âge. Il y avoit alors fix femaines que j'étois Vicaire de la Paroiffe de faint Roch, n'étant âgé que de vingt-fix ans : & j'étois Docteur de Sorbonne depuis fix mois. Je n'avois encore affifté ni confeffé aucun malade. M. le Curé de faint Roch ayant fû cette maladie, me pria d'aller voir M. de la Fontaine lui donner les fecours qui dépendroient de mon miniftere. Je fis ce que je pus pour m'en défendre, repréfentant que j'étois trop jeune pour un homme de cet age-là, qui d'ailleurs ayant vécu d'une maniere peu conforme aux regles du Chriftianifme, & étant fort connu par des ouvrages fcandaleux & infiniment pernicieux à la jeuneffe, avoit befoin d'un guide plus éclairé & plus experimenté que je n'étois. M. le Cué de faint Roch voulut abfolument que j'y alFafle. J'obéis. Je pris avec moi un ami commun, homme de beaucoup d'efprit, qui étoit intime de M. de la Fontaine, ne voulant pas me préfenter d'abord en qualité de Pasteur, mais comme ami, qui venois m'informer de l'état de fa fanté de la part de mon pere, qui vivoit alors, & chez qui M. de la Fontaine venoit quelquefois. Je chargeai l'ami qui m'accompagnoit, de lui dire que j'étois Vicaire de

la

Le P. Poujet fe trompe ici: car M. de la Fontaine étant ne m 1621. il n'avoit que 71. ans en 1692.

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