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PORTRAIT

DE MONSIEUR

DE LA FONTAINE

PAR M ***

Ous me demandez le Portrait de Monfieur

Vous

de la Fontaine, & vous me le demandez, Madame, avec autant d'instance que fi je pouvois vous refufer quelque chofe. Cependant les obligations que je vous ai, font d'une nature qu'elles ne me permettent pas de vous defobéir en quoi que ce foit. Tout ce que je fouhaiterois aujourd'hui, ce feroit de vous faire une peinture de mon Ami, fi fidelle & fi animée, que je ne vous laiffaffe plus le regret de n'en avoir pas connu l'original.

Je dois d'abord ôter de votre efprit la mauvaife impreffion que pourroit y avoir laiffée la lecture d'un Portrait que l'on a fait de M. de la Fontaine, & que vous avez trouvé parmi quantité d'autres; & vous dire que quoiqu'il rende juftice aux ouvrages de cet excellent Auteur, il ne la rend pas de même à fa perfonne.

* 2

Dans les Caracteres de la Bruyere.

On

On peut dire que celui qui l'a fait, a plutôt fongé à faire un beau contrafte en oppofant la difference qui fe trouvoit, à ce qu'il pretendoit, entre les ouvrages & la perfonne d'un même homme, qu'à faire un Portrait qui reffemblât. On voit qu'il n'a pas affez étudié fon sujet. Il femble même qu'il s'y foit copié traits pour traits, & qu'il ait trouvé dans lui-même toute la groffierté & toute la ftupidité qu'il donne fi généreusement à la perfonne de M. de la Fontaine. Il faut pourtant avouer que celle de cet Auteur fameux ne prévenoit pas beaucoup en fa faveur. Il étoit femblable à ces vafes fimples & fans ornemens, qui renferment au-dedans des tréfors infinis Il fe négligeoit, étoit toujours habillé très-fimplement, avoit dans le vifage un air groffier; mais cependant dès qu'on le regardoit un peu attentivement, on trouvoit de l'esprit dans fes yeux; & une certaine vivacité que l'âge même n'avoit pû éteindre, faifoit voir qu'il n'étoit rien moins que ce qu'il paroiffoit.

Il eft vrai auffi qu'avec des gens qu'il ne connoiffoit point, ou qui ne lui convenoient pas, il étoit trifte & rêveur, & que même à l'entrée d'une converfation avec des perfonnes qui lui plaifoient, il étoit froid quelquefois: mais dès que la conversation commençoit à l'intereffer, & qu'il prenoit parti dans la difpute, ce n'étoit plus cet homme rêveur, c'étoit un homme qui parloit beaucoup & bien, qui citoit les Anciens, & qui leur donnoit de nouveaux agrémens. C'étoit un Philosophe, mais un Philofophe galant; en un mot c'étoir la Fontaine, & la Fontaine tel qu'il eft dans fes Livres.

Il étoit encore très-aimable parmi les plaifirs

de

de la Table.

par

Il les augmentoit ordinairement fon enjouement & par fes bons mots, & toujours paffé avec raifon pour un trèscharmant Convive.

il

Si celui qui a fait fon Portrait l'avoit vû dans ces occafions, il fe feroit abfolument dédit de tout ce qu'il avance de fa fauffe ftupidité. Il n'auroit point écrit que M. de la Fontaine ne pouvoit pas dire ce qu'il venoit de voir. Il auroit avoué au contraire que le commerce de cet aimable homme faifoit autant de plaifir que la lecture de fes Livres.

Auffi tous ceux qui aiment fes ouvrages (& qui eft-ce qui ne les aime pas ?) aimoient, auffi fa perfonne. Il étoit admis chez tout ce qu'il y a de meilleur en France. Tout le monde le defiroit; & fi je voulois citer toutes les illuftres perfonnes & tous les efprits fuperieurs qui avoient de l'empreffement pour fa converfation, il faudroit que je fiffe la lifte de toute la Cour.

Je ne prétens pas neanmoins fauver fes diftractions, j'avoue qu'il en a eu; mais si c'est le foible d'un grand génie & d'un grand Poëte, à qui les doit-on plutôt pardonner qu'à celuici

Voilà, Madame, tout ce que je puis vous apprendre de la perfonne de mon Ami. Vous voulez encore que je vous dife mon sentiment fur fes Ouvrages. Je devrois m'en exempter, puifque perfonne n'en connoît mieux toutes les beautez que vous; mais encore une fois je ne fais point l'art de vous defobéir. Voici en deux mots ce que j'en pense.

Les Fables de M. de la Fontaine font des chefs-d'œuvres, & je ne fais fi celles de Phédre * 3

qu'on

qu'on cite comme des modeles achevez, ne cedent point à celles de notre Auteur. Il y a plus dans l'un de cette fimplicité que les Anciens aimoient tant; il y a plus dans l'autre de cette naïveté qui fait plaifir. L'un eft plus poli, l'autre plus enjoué; celui-ci a plus d'efprit, & trouve le fecret de le cacher fous la même fimplicité. Sa Morale eft plus étendue & plus diverfifiée. Il eft auffi naturel que Phédre, & beaucoup plus divertissant.

Pour fes Contes, je ne trouve perfonne qui puiffe entrer en parallele avec lui; il eft abfoJument inimitable. Quels récits veritablement charmans! Quelles beautez ! Quelles defcriptions heureuses! Quelle Morale fine & galante! Tout y coule de fource. Leur lecture fait fentir à l'ame un plaifir qu'on ne peut décrire. Mais je ne dois pas tâcher d'en rendre toutes les beautez fenfibles, il ne faut que les lire & avoir du goût.

Dans fes Elegies, fes Rondeaux, ses autres pieces de Vers, & même celles de Profe, n'eft-il pas toujours original par ce caractere naïf & enjoué, qui fait aimer fes Ouvrages? Jamais homme peut-il aller plus loin dans le Lyrique? Et n'eft-il pas un de ces merveilleux génies donnez pour contribuer à la gloire du fiécle de Louis LE GRAND?

ELO

ELOGE

DE MONSIEUR

DE LA FONTAINE.

M

PAR M. PERRAULT.

Onfieur de la Fontaine naquit à ChateauThierry en l'année 1621. Son pere, Maître des Eaux & Forêts de ce Duché, le revêtit de fa charge dès qu'il fut capable de l'exercer: mais il y trouva fi peu de goût, qu'il n'en fit la fonction pendant plus de vingt années, que par complaifance. Il eft vrai que fon pere eut pleine fatisfaction fur une autre chofe qu'il exigea de lui, qui fut qu'il s'apliquât à la Poëfie, car fon fils y réuffit au-delà de ce qu'il pouvoit fouhaiter. Quoique ce bon homme n'y connût presque rien, il ne laiffoit pas de l'aimer paffionnément, & il eut une joye incroyable, lorfqu'il vit les premiers vers que fon fils compofa.

Ces vers se reffentoient comme la plupart de ceux qu'il a fait depuis, de la lecture de Rabelais & de Marot, qu'il aimoit & qu'il eftimoit infiniment. Le talent merveilleux que la natu

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