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ble intérieur que sentent ceux qui se donnent à Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint.

Mais cette parole est étonnante: « Quand vous verrez l'abomination dans le lieu où elle ne doit pas être, alors, que chacun s'enfuie sans rentrer dans sa maison pour reprendre quoi que ce soit. » Il me semble que cela prédit parfaitement le temps où nous sommes, où la corruption de la morale est aux maisons de sainteté, et dans les livres des théologiens et des religieux où elle ne devrait pas être. Il faut sortir après un tel désordre, et malheur à celles qui sont enceintes ou nourrices en ce temps-là, c'est-à-dire, à ceux qui ont des attachements au monde qui les y retiennent! La parole d'une sainte est à propos sur ce sujet 2: Qu'il ne faut pas examiner si on a vocation pour sortir du monde, mais seulement si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appelé à sortir d'une maison pestiférée ou embrasée.

Ce chapitre de l'Évangile, que je voudrais lire avec vous tout entier, finit par une exhortation à veiller et à prier pour éviter tous ces malheurs, et en effet il est bien juste que la prière soit continuelle quand le péril est continuel.

J'envoie à ce dessein des prières qu'on m'a demandées; c'est à trois heures après midi. Il s'est fait un miracle depuis votre départ à une religieuse de Pontoise, qui, sans sortir de son couvent, a été guérie d'un mal de tête extraordinaire par une dévotion à la Sainte-Épine. Je vous en manderai un jour davantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personnes; c'est qu'il dit que ceux-là voient véritablement les miracles auxquels les miracles profitent; car on ne les voit pas si on n'en profite pas 3.

1. Væ autem prægnantibus et nutrientibus in illis diebus. Tout ce texte, ainsi présenté à Mile de Roannez, dut lui paraître, comme dit Pascal, étonnant, et lui porter les der. niers coups.

2. Je ne puis dire quelle est cette sainte.

3. Je ne puis indiquer précisément l'endroit d'Augustin que Pascal a dans l'esprit Mais je trouve à peu près la méme idée dans le Sermon CXLIII, et dans le XXIVe Traité sur l'Evangile de saint Jean, chap. 6. M. Frédéric Chavannes, dans le même article sur Pascal que j'ai cité ailleurs (t. 1, p. 101), a trouvé d'après ce passage le moyen de déter miner la date de cette lettre. Il renvoie à un opuscule intitulé, Réponse à un écrit blié sur le sujet des miracles qu'il a plu à Dieu de faire à Port-Royal, etc., qui se trouve au teme II des Euvres de Pascal (édition de 1819). On y voit ce qui suit, à la page 462. < Une des religieuses ursulines de Pontoise, nommée sœur Marie de l'Assomption, avait

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Je vous ai une obligation que je ne puis assez vous dire du présent que vous m'avez fait; je ne savais ce que ce pouvait être, car je l'ai déployé avant que de lire votre lettre, et je me suis repenti ensuite de ne lui avoir pas rendu d'abord le respect que je lui devais. C'est une vérité que le Saint-Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu, jusqu'à ce qu'il y paraisse visiblement en la résurrection, et c'est ce qui rend les reliques des saints si dignes de vénération. Car Dieu n'abandonne jamais les siens, non pas même dans le sépulcre, où leurs corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivants devant Dieu, à cause que le péché n'y est plus, au lieu qu'il y réside toujours durant cette vie, au moins quant à sa racine, car les fruits du péché n'y sont pas toujours; et cette malheureuse racine, qui en est inséparable pendant la vie, fait qu'il n'est pas permis de les honorer alors, puisqu'ils sont plutôt dignes d'être haïs. C'est pour cela que la mort est nécessaire pour mortifier entièrement cette malheureuse racine, et c'est ce qui la rend souhaitable. Mais il ne sert de rien de vous dire ce que vous savez si bien; il vaudrait mieux le dire à ces autres personnes dont vous parlez : mais elles ne l'écouteraient pas.

REMARQUES SUR LES EXTRAITS DES LETTRES A Mlle DE ROANNEZ.

Nous avons pour l'histoire de Mile de Roannez trois sources principales: 1o Une notice qui se trouve dans les manuscrits de Marguerite été tourmentée durant huit mois d'un si horrible mal de tête, etc... Enfin, ayant ouï parler des merveilles que Dieu fisait à Port-Royal par la Sainte-Épine, y envoya des linges qui la touchèrent, et qu'elle appliqua à son mal le 17 août dernier, et depuis ce jour elle sentit une si notable diminution de son mal, que,... le vendredi 25, toute la communauté en rendit grâces à Dieu avec elle;... ce qui a porté les religieuses à envoyer à la mère abbesse de Port-Royal une attestation de cette guérison miraculeuse, signée des officières de la maison, et accompagnée de l'attestation des deux médecins et du chirurgien, qui déclarent, etc... Ces actes sont datés du 14 du présent mois de septembre. Il résulte clairement de cette dernière phrase que la Réponse à un écrii, etc. a paru pendant le mois de septembre. Et, comme évidemment Pascal n'a pas attendu, pour donner cette nouvelle à Mlle de Roannez, que la chose fût imprimée et publique, la lettre est donc antérieure à cette Réponse. Il est probable même qu'elle a été écrite presque immédiatement après le prétendu miracle, c'est-à-dire à la fin d'août, ou dans les premiers jours de septembre. Mais comme le huitième Extrait porte en lui-même, ainsi que je l'ai constaté, la date de l'Avent de cette année, et même la date plus préise de la veille de Noël, il résulte du fait reconnu par M. Chavannes une preuve nouvelle de ce qui a déjà été indiqué plus haut (page 344, note 2), que ces Extraits ne nous ont pas été conservés dans l'ordre où ils avaient été écrits.

Perier, notice publiée pour la première fois par M. Cousin dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes (septembre et octobre 1843); 2° Son article, sous le nom de madame la duchesse de La Feuillade, dans le Nécrologe de Port-Royal, au 13 février; 3° Une note du Recueil d'Utrecht, page 301. Tous ces documents ne sont encore ni assez complets, ni assez exacts. M. Faugère, dans l'Introduction de son édition des Pensées, p. LXV, a donné la date précise de la naissance de Mlle de Roannez d'après son acte de baptême. Elle avait, à l'époque de ces Lettres, vingttrois ans, dix ans de moins que Pascal.

Elle subit son influence aussi bien que son frère; mais femme, et d'une âme faible, ce fut pour le malheur et le déchirement de toute sa vie qu'elle fut exposée à l'influence de ce terrible génie et au zèle farouche de Port-Royal. Plusieurs endroits de ces Lettres témoignent assez de ce que lui coûta la résolution violente à laquelle on la poussait (voir particulièrement les Extraits 4, 7 et 8). A peine l'avait-elle accomplie et était-elle entrée au monastère, que sa mère obtint une lettre de cachet pour l'en faire sortir. Elle obéit avec douleur, mais sa ferveur ne faisant que s'irriter par ces obstacles, elle fit avant de sortir des vœux simples de virginité. Rentrée chez sa mère, elle y vécut dans la retraite, soutenue dans sa dévotion par celui qui l'y avait attirée. Plus d'un an après la mort de Pascal, il se présenta une circonstance qui la troubla. Une rencontre préparée lui fit revoir l'homme qui la recherchait en mariage à l'époque où elle s'était jelée à Port-Royal. « Cet homme lui marqua les mêmes empressements qu'il avait fait il y a six ou sept ans. Mile de Roannez fut touchée. » Mais, à défaut de Pascal, Mme Perier, et M. Singlin avec elle, ressaisirent cette âme qui se laissait aller à la douceur d'être aimée, et la firent rentrer dans la voie étroite qu'on lui avait faite. Puis M. Singlin mourut, Mme Perier quitta Paris, et Mile de Roannez fut livrée à d'autres conseils. Son frère, renonçant au monde, avait vendu son gouvernement, et s'était retiré à la maison des Pères de l'Oratoire. Ses deux sœurs étaient religieuses. Me de Roannez devenait un grand parti, et, avec l'agrément de la cour, pouvait porter avec elle dans une autre maison le duché de son frère. Un conseil de conscience l'autorisa à se faire relever de son vou, et elle devint, en 1667, duchesse de La Feuillade (les relations ne parlent plus de celui qui avait pensé à elle en d'autres temps). Dès que Port-Royal avait senti sa conquête lui échapper et retourner au monde, il avait été indigné. Le Recueil d'Utrecht (p. 309) a transcrit une lettre d'Arnauld à Mme Perier, de mars 1666, où se lisent ces dures paroles : « Ce n'est pas que les exemples dont vous me parlez ne soient de terribles leçons... Celui que vous laissez entendre sans le marquer expressément est le plus

effroyable, n'y ayant rien de plus touchant que ce qu'a écrit autrefois de ses dispositions cette personne, lorsqu'elle s'engageait à Dieu par tant de vœux, et n'y ayant rien au contraire de plus scandaleux que l'oubli où elle paraît être aujourd'hui de toutes ces grâces de Dieu. Mais la frayeur salutaire que ces exemples causent nous est un puissant moyen pour éviter de semblables chutes. Il y a deux choses principalement qui ont pu contribuer à la perte de cette personne, etc. » Mais elle était à peine mariée, qu'elle reconnut sa faute, dit le Recueil d'Utrecht, et commença à en faire pénitence. Dieu lui offrit dans la suite divers moyens de la faire, qu'elle accepta avec joie. En effet, cruellement frappée dans ses enfants, atteinte elle-même profondément dans sa santé, elle mourut d'un cancer au sein, en 1683, après quinze ans d'une vie qui ne fut pas seulement cousumée par tous ces maux, mais par les scrupules et les tourments d'une conscience troublée. Elle disait, suivant le Nécrologe, qu'elle eût été plus heureuse de vivre paralytique à Port-Royal, que comme elle vivait dans l'éclat de sa fortune. Elle laissa trois mille livres à l'abbaye, en demandant qu'on y reçût une religieuse converse (c'est-à-dire de celles qui font l'office de servantes), qui remplirait la place qu'elle devait tenir elle-même, tâchant de perpétuer ainsi son expiation. Et cependant Port-Royal, dans son impitoyable zèle, n'a pas eu pour elle une parole d'attendrissement.

Les fragments que MM. de Port-Royal ont détachés de ces Lettres pour les donner au public ont été placés dans les titres XXVII et XXVIII de leur édition, Pensées sur les miracles et Pensées chrétiennes. Ils n'en indiquent pas l'origine, et surtout ils en ont effacé ce qui en fait aujourd'hui pour nous tout l'intérêt. Nous sommes effrayés, en lisant ces Extraits, des ravages qu'ont dû faire dans un cœur faible l'éloquence fougueuse de Pascal, sa charité avide et jalouse, son imagination qui tour à tour éblouit et épouvante. Une pareille influence dévore autant qu'une passion. Tantôt il l'exalte par l'orgueil. « Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude. Rendons-lui des grâces infinies de ce que, s'étant caché en toutes choses pour les autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.» Le Dieu caché invite les âmes qu'il aime à se cacher comme lui. Mais quel éclat sera le prix de cette obscurité! « J'entre en une vénėra

1. « Le premier enfant qu'elle eut ne reçut point le baptême. Le second vint au monde tout contrefait. Le troisième fut une fille naine qui mourut à l'âge de dix-neuf ans. Recueil d'Utrecht.

tion qui me transit de respect envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses élus. Je vous avoue qu'il me semble que je les vois déjà dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quitté jugeront le monde avec JÉSUS-CHRIST. » Je les vois, c'est-à-dire, je vous vois; mais le détour qu'a pris Pascal lui permet seul d'adresser à celle à qui il écrit de tels hommages. Pourrait-il lui dire en face: Je vous vois déjà couronnée radieuse au haut du ciel?

Et puis tout à coup il la terrasse en ajoutant :

« Mais, quand je viens à penser que ces mêmes personnes peuvent tomber, et être au contraire au nombre malheureux des jugés, et qu'il y en aura tant qui tomberont de la gloire, et qui laisseront prendre à d'autres par leur négligence la couronne que Dieu leur avait offerte, je ne puis souffrir cette pensée; et l'effroi que j'aurais de les voir en cet état éternel de misère, après les avoir imaginées avec tant de raison dans l'autre état, me fait détourner l'esprit de cette idée, et revenir à Dieu pour le prier de ne pas abandonner les faibles créatures qu'il s'est acquises. »

Quelle péripétie! quelle secousse! Mlle de Roannez avait-elle la tête assez forte pour supporter de tels ébranlements? Pouvait-elle résister longtemps, ainsi suspendue et ballottée entre la gloire de l'apothéose et l'abîme de la damnation?

« Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes... je plains la personne que vous savez, etc. » Ces désignations couvertes sont dans les habitudes de Port-Royal, réduit à s'envelopper de mystère en toutes choses. Voici ce qu'on lit dans une Lettre de M. de Rebours à M. de Pontchâteau, de 1651, conservée dans le Recueil d'Utrecht, page 413 : « Vous me permettrez encore, monsieur, de vous dire qu'il est à propos que, dans les lettres que vous nous écrirez, vous ne nommiez personne, comme vous pouvez voir que j'ai fait en celle-ci; afin que si, par quelque mauvaise rencontre, les lettres venaient à se perdre, ou à tomber en des mains ennemies, on ne pût pas avoir pleine lumière de ce qui s'y pourra traiter. »

Il y a dans le premier Extrait un passage fort remarquable :

« Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape. Le corps n'est non plus vivant sans le chef que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps, et n'appartient plus à JÉSUS-CHRIST. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'Église plus attachées à cette unité du corps que ceux que vous appelez nôtres. Nous savons que toutes les vertus,

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