Page images
PDF
EPUB

mauvaise reputation, parce que c'eftoit un meschant homme, & de plus fon ennemi particu lier. Lyfandre s'eftant donc infinué dans les bonnes graces du Roy par cette démarche, & par les agrements de fa conversation, & ayant fur-tout pris ce jeune Prince par ces manieres Lyfandre courti de courtifan fouple & adroit, qu'il avoit au fouverain degré, il le fortifia facilement dans le deffein de continuer la guerre.

fan jouple & adroit s'infinu dans les bonnes graces de Cyrus.

La seule grace

mande a Cyrus.

[ocr errors]

dans

Quand il fut fur fon defpart Cyrus lui donnant à fouper, le pria d'ufer de la bienveillance qu'il avoit pour lui, & de demander franchement tout ce qu'il voudroit l'affeurance qu'il ne lui feroit rien refufé. Lyfandre, pour refpondre à cette honnefteté lui dit, Seigneur, puifque vous eftes porté d'une fi bonne que Lylandre di volonté pour moy, je vous demande je vous conjure d'adjoufter une obole à la paye des matelots, afin qu'au lieu de trois oboles qu'ils ont par jour, ils en ayent deformais quatre. Cyrus ravi de cette generofité, lui fit compter dix mille dariques. Lyfandre les employa à fournir cette obole d'augmentation aux Matelots, & par cette largeffe il eut bientoft rendu prefque vuides toutes les Galeres des ennemis, car la plufpart des matelots accouroient où la paye eftoit la plus forte. Et ceux qui reftoient, tefmoignoient en toute occafion leur mauvaise volonté, eftoient tousjours prests à exciter des revoltes, & faifoient tous les jours de nouveaux chagrins à leurs Officiers. Cepen

Lyfandre vend

vuides les Galeres des ennemis en

hauffant la paye

des matelots.

[ocr errors]

dant

dant quoyque Lyfandre euft fort affoibli fes ennemis par ce moyen, & fort incommodé leur marine, il n'ofoit hazarder contre eux une bataille navale redoutant fur tout Alcibia- Alcibiade n'ade, qui estoit homme d'execution, qui avoit battu nisur terreni un plus grand nombre de vaiffeaux, & qui juf- Sur mer. qu'à ce jour n'avoit jamais efté vaincu dans aucun combat qu'il cult donné sur terre ou fur

mer.

voit jamais efté

Infolence du Pi. lote Antiochus, à

laré le con mandement de fa Flotte.

Mais après qu'Alcibiade fut parti de Samos pour aller à Phocée, & qu'il eut laisse le commandement de sa Flotte à fon Pilote Antiochus, ce Pilote, pour infulter Lyfandre, & pour tefmoigner fa fierté, entra dans le port d'Ephefe qui cibiade avoit avec deux Galeres, coftoya avec un grand bruit & de grandes rifées le rivage où toute la Flotte estoit a sec, & passa ainsi avec insolence. Lysandre,indigné de cet affront, deftacha promptement quelques Galeres, & se mit à le pourfuivre. Mais comme les Atheniens venoient au fecours d'Antiochus, il fit venir aufli de fon cofté d'autres Galeres, & peu à peu tous leurs vaiffeaux accourant pour les fouftenir, enfin ils combattirent avec toutes leurs forces. Lyfandre remporta la victoire, & ayant pris quin- Lyfandre bat la ze Galeres des Atheniens, il dreffa un trophée. niens, leur prend Le Peuple d'Athenes ayant appris cette def- quinze Galeres, faite, fut fort irrité contre Alcibiade, & le déposa; toute l'armée de Samos le mesprisa fort auffi, & se mit à parler fort mal de lui, de forte

[blocks in formation]

Flotte des Athe

Alcibiade mes qu'accablé de tous coftés, il quitta le Camp, prifé à cause de la & fe retira dans la Cherfonnefe de Thrace. thus ferestre dans Cette bataille ne fut pas confiderable par elle

desfaite d'Antio

la Cherfonnefe.

Lafandre tra

vaille à establir

L'oligarchie dans

les villes.

mefme, mais la Fortune lui donna beaucoup de reputation à cause du grand nom d'Alcibiade.

Après cette heureufe avanture, Lyfandre fit venir à Ephese de toutes les villes tous ceux qu'il connoiffoit plus hardis, d'un courage plus élevé, & plus ambitieux que les autres, & commença dès ce moment à jetter les femences des changements & des nouveautés qu'il fit dans le gouvernement des villes, excitant & exhortant ces Particuliers à faire des affemblées & des ligues, à penser tout de bon à se rendre maistres des affaires, & les affeurant que dès qu'il feroit venu à bout des Atheniens, il les affranchiroit du joug de leurs peuples, & qu'il leur donneroit dans leur patrie la principale autorité. Et ces grandes promesses, il les confirmoit par des effects; car ceux qui eftoient de longue main fes hoftes & fes amis, il les mettoit à la teste des affaires, les poussoit aux grands honneurs, & les eflevoit aux grandes dignités, & aux premieres charges de l'armée, fe rendant par-Îà le

Et commença
dès ce moment à
jetter les femences des changements
&des nouveautés qu'il fit dans le
gouvernement des villes. ] Lyfan-
dre travailla à eftablir dans toutes
les villes le gouvernement des No-
bles, pour avoir tousjours en fa
difpofition ces Gouverneurs qu'il

auroit eftablis, & qu'il auroit affranchis du joug de leurs Peuples. Se rendant par-là le complice de toutes leurs injuftices & de toutes leurs fautes. ] Celui qui avance des mefchants & qui les met à la tefte des affaires n'eft pas feulement complice de toutes

Injustice de Ly

complice de toutes leurs injuftices & de toutes leurs fautes, pour les avancer & pour les enri- Sandro. chir, de forte que tous ces gens-là estoient attachés à lui, ne cherchoient qu'à lui plaire, & ne defiroient que lui, tres-perfuadés qu'il n'y avoit rien de fi grand à quoy ils ne puffent parvenir pendant qu'il commanderoit & feroit le maiftre. C'est pourquoy ils ne virent pas d'abord de fort bon il Callicratidas, qui venoit pour lui fucceder, & pour prendre le commandement de la Flotte; & ils le virent encore de plus mauvais œil dans la fuite, quand ils eurent connu par les effects que c'eftoit le plus homme de bien & le plus jufte de tous les hommes, car ils furent tres-mal fatisfaits de cette maniere de Maniere de comgouverner, qui eftoit fimple, droite, fans aucun fard, & telle l'harmonie Doriene. que Il eft vray qu'ils admiroient fa vertu, mais rienne. ils l'admiroient comme on admire la beauté

leurs mauvaises actions, il en peut eftre regardé comme l'au

teur.

Et telle que l'harmonie Doriene.] L'harmonie Doriene, ou le mode Dorien, eftoit mafle, il n'y avoit rien de diffolu ou d'effeminé, ni rien non plus de trop vehement. C'est pourquoy Socrate le preferoit aux autres tons, & il dit dans fon Laches, qu'il eftoit le feul qui meritaft le nom d'harmonie Grecque. Et Ariftote dans le dernier chap. de fes Politiques, dit que tout le monde con

venoit que le ton Dorien eftoit
plus tranquille, & plus viril, &
qu'il tenoit une espece de milieu
entre les autres, c'eft pourquoy
il
eftoit plus convenable aux en-
fants.Ċ'est donc avec raison que
Plutarque compare la maniere de
gouverner de Callicratidas à
l'harmonie Doriene, pour faire
entendre qu'elle eftoit pleine de
gravité & de dignité, & qu'il
n'y avoit rien de trop relasché ni
de trop tendu.

Mais ils l'admiroient comme on
admire la beauté d'une Statuë de

Callicratidas ve

vant pour fucceder à Lylandre, eft rea

gardé de mauvais

œil.

mander de Calli

cratidas comparée à l'harmonie Do

Melchante action de Lysandre.

d'une Statuë de Heros fort antique, au lieu
qu'ils aimoient, regrettoient, & recherchoient
la chaleur & l'empreffement que Lyfandre avoit
pour les amis, l'affection qu'il leur tefmoignoit,
& la grande utilité qu'ils retiroient de fa pro-
tection & de fa bienveillance, de forte que
quand il s'embarqua, ils fentirent tous leur
cœur défaillir, & fondirent en larmes. Il n'ou-
blia rien de fon cofté pour les rendre encore
plus mal difpofés envers Callicratidas, car des
dix mille dariques, que Cyrus lui avoit données
pour l'augmentation de la paye des matelots, il
envoya à Sardis ce qui lui en reftoit, difant
Callicratidas l'envoyaft demander au Roy,
que
& qu'il avifast aux moyens de faire fubfifter fon

armée.

Enfin en partant il protesta devant Callicratidas mesme, & devant tous les Officiers, qu'il lui remettoit une Flotte victorieufe & maistreffe de la mer. Et Callicratidas, pour rabattre cet orgueil, & pour faire voir que c'eftoit une ambition pleine de vanité & de menfonge, qui le faifoit Refponfe de Cal- parler, lui dit, cela eftant, prenés donc à gauche par bastre l'orgueil de Samos, venés au port de Milet me remettre là voftre Flotte. Car nous n'avons pas à craindre que les ennemis, qui font à Samos, nous inquietent dans noftre paffage, puifque nous avons une Flotte victorieuse &

licratidas pour raLysandre.

Heros fort antique. ] Car cette
admiration, qui remplit l'efprit
n'excite rien dans le cœur, au-

cune affection, aucun defir. On admire l'art & voilà tout.

« PreviousContinue »