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chise de ses expositions, pour la spirituelle et frappante énergie de ses tableaux, a dû se former un avis au point de vue particulier où elle était placée, et en vue de la fonction dont votre confiance, monsieur le Ministre, l'avait investie.

« Le demi-monde, cette chose longtemps douteuse, équivoque, mal définie, et qui a maintenant un nom, cette province aux frontières vagues et dont la géographie est comme fixée pour le moment, est-ce là un sujet qui prête à une leçon morale vivement donnée? Assurément oui. Si dans quelques pièces précédentes qui roulaient à peu près sur les mêmes personnages, et dont les situations étaient empruntées à un monde au moins très-voisin de celui-là, la nature même des scènes et des tableaux nuisait à la leçon qui en pouvait résulter; si l'exemple avait sa contagion à première vue, et son rapide attrait avant que le dégoût eût opéré, il n'en est pas ainsi de la nouvelle pièce, où l'auteur a su très-bien observer et saisir, pour le lui mieux enlever, le faux vernis d'honnêteté dont se couvre précisément ce monde limitrophe, qui voudrait bien par moments s'incorporer à l'autre et s'en faire reconnaître. Ici l'attrait des sens ne s'étalait pas, et l'auteur s'attaquait surtout à la corruption du cœur et de l'esprit. Il a été dit, au sein de la Commission, beaucoup de choses très-fines et très-ingénieuses sur les mérites de l'ouvrage en ce sens; ample justice a été rendue à ces quatre premiers actes surtout, qui sont presque en entier excellents, si nets d'allure et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés, et d'une comédie toute prise dans l'observation directe et dans une réalité flagrante. On a insisté sur le peu d'intérêt qui s'attache ici aux caractères vicieux et sur la répulsion qu'ils inspirent, même sous la forme élégante et habile dont ils sont revêtus, et que fait si bien valoir la principale et ingénieuse interprète. A propos du second acle et de cette scène parfaite entre Raymond et Olivier chez Mme de Vernières, il a été remarqué, et par les juges les moins soupçonnés d'être complaisants, qu'il y avait là une leçon en même temps qu'une définition, une leçon donnée sur place, au cœur du camp ennemi, de la façon Ja plus insultante, la plus neuve et qui se retient le mieux. Ce panier de péchés a fait fortune dès le premier jour, il a fait le tour de la société. Et le mérite de cette scène n'est pas seulement dans un où deux jolis traits que l'on en peut détacher, il consiste aussi dans un jet qui recommence et redouble à plusieurs reprises, toujours avec un nouveau bonheur et une fertilité d'images, une verve d'expressions comme il s'en rencontre chez les bons còmiques. C'est une de ces scènes enfin qui méritent de rester dans la mémoire et qui justifient cette définition de la bonne comédie, qu'elle est l'œuvre du démon, c'est-à-dire du génie de la raillerie et du rire. Ces jugements, tout favorables à l'ouvrage, et dans lesquels on s'appuyait de l'aversion non douteuse que devaient produire sur les cœurs droits et les esprits bien faits ces odieux personnages et leurs manéges honteux si fidèlement représentés, venaient se résumer dans un seul mot : « C'est une pièce où l'on ne mènera «< certes pas sa fille, mais on pourra y conduire son fils. »

A cela il a été répondu, moins comme contradiction directe à ce

que ces éloges avaient, littérairement, de mérité, que comme correctif et au point de vue où la Commission avait à juger l'ouvrage, qu'il ne paraissait point du tout certain que la peinture fidèle de ce vilain monde fût d'un effet moral aussi ássuré; que le personnage même le plus odieux de la pièce avait encore bien du charme; que le personnage même le plus honnête, et qui fait le rôle de réparateur, était bien mêlé aux autres et en tenait encore pour la conduite et pour le ton; que le goût du spectateur n'est pas toujours sain, que la curiosité est parfoissingulière dans ses caprices, qu'on aime quelquefois à vérifier le mal qu'on vient de voir si spirituellement retracé et si vivant; que, dans les ouvrages déjà anciens, ces sortes de peintures refroidies n'ont sans doute aucun inconvénient, et que ce n'est plus qu'un tableau de mœurs, mais que l'image très-vive et très à nu, et en même temps si amusante, des vices contemporains, court risque de toucher autrement qu'il ne faudrait, et qu'il en peut sortir une contagion subtile, si un large courant de verve purifiante et saine ne circule à côté.

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Il a été répondu encore, et d'une manière plus directe (toujours au point de vue dont la Commission n'avait point à s'écarter), que, toute part faite et toute justice rendue au talent de l'auteur, sur lequel il n'y avait qu'une voix, on ne pouvait découvrir réellement dans sa pièce d'autre intention dominante que celle de peindre; qu'il avait porté son miroir où il avait voulu, qu'il avait fait une exhibition fidèle, inexorable, de ce qu'il avait observé, et avait montré les gens vicieux tels qu'il les avait saisis; que ce n'était pas un reproche qu'on lui faisait, mais que c'était le caractère de sa comédie qu'on se bornait à relever, et que ce serait lui prêter gratuitement que de voir autre chose dans son Demi-Monde qu'une peinture attachante, ressemblante et vraie, digne d'être applaudie sans doute, mais non pas d'être récompensée comme ayant atteint un but auquel l'auteur n'avait point songé.

Reprenant alors le texte même de l'arrêté du 12 octobre 1851, on n'a eu qu'à relire l'article 4, ainsi conçu: « Une prime de cinq mille francs pourra être accordée chaque année à l'auteur d'un ouvrage en cinq ou en quatre actes, en vers ou en prose, représenté avec succès à Paris, pendant le cours de l'année, sur tout autre théâtre que le Théâtre-Français..., et qui serait de nature à servir à l'enseignement des classes laborieuses par la propagation d'idées saines et le spectacle de bons exemples. » La seule lecture de ce paragraphe si précis a mis fin à la discussion, et la Commission, à l'unanimité, n'a eu qu'à passer outre.

«Il restait quelques ouvrages encore qui avaient appelé son atten ́tion au premier choix: l'un (1), une agréable pièce du jour de l'an, qu'animait une inspiration sensible, une jolie idée née du cœur ; l'autre (2), un grand drame touchant, construit de bonne main et avec habileté, plein de larmes, de repentirs, de fautes intéressantes cruellement expiées, et de naïves vertus ignorées de ceux qui les pratiquent. Mais ce dernier ouvrage, fondé, comme presque tous ceux du même

(1) Je dine chez ma mère, par MM. Decourcelles et Thiboust.

(2) Le Médecin des enfants, par MM. Anicet-Bourgeois et Adolphe Dennery.

genre, sur ce qu'on peut appeler l'adultère fondamental et antérieur à l'action, n'a point paru d'ailleurs différer notablement en mérite d'autres drames de la même famille, déjà couronnés les années précédentes; et quant à l'agréable petite comédie donnée à la veille du nouvel an, c'eût été l'exagérer que de l'élever isolément jusqu'à l'importance d'un enseignement utile.

« Monsieur le Ministre, la Commission ne s'est point résignée, sans prendre beaucoup sur elle, à ces conclusions négatives sur tous les points. Quand des récompenses publiques sont proposées par l'État, il est de bon exemple qu'elles trouvent leur objet ; il est pénible de venir déclarer après examen qu'il n'y a pas lieu à les décerner. Dans le cas présent du moins, ce ne sont pas les talents qui ont fait faute; il n'y a que la direction de ces talents qui ne s'est point rencontrée avec le sens de l'arrêté; et cette direction elle-même, bien qu'on n'ait pu la comprendre dans l'encouragement proposé, ne mérite point pour cela le blâme. En considérant de plus près les termes de l'arrêté du 42 octobre 1851, il a semblé par moments à la Commission que les circonstances sociales, très-différentes d'alors, dans lesquelles nous vivons, permettraient peut-être aujourd'hui d'exprimer un conseil autre et de parler un langage différent. Le ministre, homme de bien, qui a laissé une mémoire si honorée (1), en recommandant expressément aux auteurs dramatiques, à la date de 1851, une direction morale formelle et un enseignement d'une utilité presque directe, portait secours là où il y avait encore danger; il cherchait à proportionner le contre-poids à la force de l'entraînement qui avait précipité les esprits en sens contraire. Quand la société était en péril continuel de verser, il était tout naturel que l'autorité mîl fortement la main du côté opposé. Aujourd'hui que, selon une expression mémorable, la pyramide a été retournée et replacée dans son vrai sens, quand la société est remise sur sa large base et dans son stable équilibre, ne serait-il pas plus simple, dans cet ordre aussi de récompenses dramatiques, de, rendre aux choses leur vrai nom, d'encourager ce qui a toujours été la gloire de l'esprit aux grandes époques, ce qui est à la fois la morale et l'art, c'est-à-dire l'Art même dans sa plus haute expression, l'Art élevé, sous ses diverses formes, la tragédie ou le drame en vers, là haute comédie dans toute sa mâle vigueur et sa franchise? La Commission, en terminant un travail qui, cette année comme la précédente, est resté sans fruit, ne se hasarderait pas toutefois à exprimer ce vœu, monsieur le Ministre, si elle ne sentait qu'elle va en cela au-devant de vos désirs, et si elle ne confiait l'idée à votre goût.

« J'ai l'honneur d'être avec respect, monsieur le Ministre, etc., ele. »

(1) M. Léon Faucher.

FIN DU TOME DOUZIÈME.

BIBLI

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Histoire du Consulat et de l'Empire, par M. Thiers. Tome XII...

132

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avec le PRINCE HENRI......

et les Ouvrages de BOSSUET...

SENECE, ou un Poële agréable..

LR DUC DE ROHAN. II..

OEuvres de Frédéric-le-GraAND. Correspondance (I.

LA MARGRAVE de BareitH.

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A la page 214, ligne 2 (article BOSSUET), au lieu de « il était incapable de
monotonie, d'uniformité, » lisez : « il était incapable de monotonie, d'unifor-
mité, même en parlant de ce qui ne varie pas; etc., etc. »

A la page 215, ligne première (même article), au lieu de; « M. l'abbé de
Fleury présent, » lisez : « M. l'abbé Flenry présent.

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Paris,- Imprimerie de J. Claye, rue Saint-Benoît, 7.

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