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le citer (1), il n'est plus un écrivain sérieux. M. Du Camp oublie, à son tour, la valeur de ce terme en le lui appliquant.

A ces trois noms, les seuls qu'il daigne compter, il en faut ajouter encore un qui obtient l'honneur d'être distingué par M. Du Camp, c'est celui d'Alfred de Musset. << Ah! celuilà, nous l'avons bien aimé!» s'écrie-t-il; mais il le considère comme perdu dès le jour où il est entré à l'Académie.

Entrer à l'Académie, c'est apostasier, selon M. Du Camp, c'est renier tout son passé et ce qu'on a adoré. Il s'attache à quelques phrases polies des discours de réception, crime chez les uns, faiblesse chez les autres ou lâcheté encore; car il a tous ces gros mots. Il ne voit pas que si les poëtes qui entrent à l'Académie font un pas vers elle, elle en fait un aussi vers eux en les accueillant, et que, s'il y a une demi-conversion, elle a lieu également des deux côtés.

Je voudrais, en vérité, qu'un des amis particuliers de M. Du Camp, Théophile Gautier, par exemple, fût un jour et dans quelque temps de l'Académie, pour lui apprendre comment les choses se passent dans cette abominable maison qu'il se figure comme une caverne et un repaire de Burgraves.

« M. de Vigny, dit-il, et M. de Musset étaient deux poëtes; .on voulut tuer l'un, on étouffa l'autre...

« J'ai dit que l'Académie n'était plus de nos jours un corps littéraire. J'ai eu tort. J'aurais dû dire.qu'elle est un corps essentiellement anti-littéraire; elle corrompt ou elle tue, ».

Toute la diatribe contre l'Académie est de ce ton-là:

<< Aussi nous l'avouons sans pâlir, dit l'auteur en parlant de quelques académiciens qu'il désigne sans les nommer, nous les haïssons de toute la force de notre amour pour les lettres et de notre respect pour les grandeurs de l'esprit humain. »

Non, tout cela n'est pas juste, et M. Du Camp, qui, malgré ses violences de parole, a de la générosité dans le talent et dans le cœur, ne saurait nourrir de ces haines contre des gens qu'il ne connaît pas. L'Académie, qui a sans doute ses défauts, n'a pas du moins ceux qu'il lui impute. Elle n'est pas, elle n'est plus du tout ennemie du progrès ni des tentatives

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(4) Voir la lettre publiée dans le Journal des Débats dų 2 juillet 1855.

nouvelles en littérature. Dans les discussions des bons jours, dans ces conversations toutes littéraires et habituellement si mâries qui animent les séances intérieures, combien de fois n'ai-je pas eu à m'instruire là où je me croyais sur mon terrain et le mieux préparé! J'ai souvent admiré, pendant la lecture des pièces de poésie, avec quelle attention, avec quel désir de trouver le bien, sans acception de genre ni d'école, on écoutait jusqu'au bout des choses qui, à nous autres critiques de profession, eussent paru dès l'abord impossibles à admettre et dignes d'un prompt rejet. Dans ces tours d'opinion où chaque académicien développe son avis, j'ai vu leš hommes politiques qui y prenaient part motiver excellemment, et avec ce bon sens libre qui est la critique des honnêtes gens du monde, leur jugement détaillé sur des ouvrages dramatiques ou autres dont on avait à mesurer le mérite et à graduer le rang. Que de bons et charmants feuilletons dans la bouche d'anciens ministres, et qui n'ont jamais été écrits! Encore une fois, je puis le certifier à M. Du Camp avec toute l'impartialité d'un homme qui a très-peu l'esprit de corps, - à cet endroit où il parle de l'Académie, il frappe fort, mais il frappe à côté.

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Et la preuve, je ne la demanderai qu'à lui-même. En proposant tout net << la dissolution de cette fade compagnie de bavards» (car c'est ainsi qu'il parłe), il a son projet d'une Académie nouvelle : il y veut faire entrer « des lexicographes, des poëtes, des étymologistes, des romanciers, des historiens, des philosophes et des savants, qui recevraient la mission de faire un vrai dictionnaire, d'écrire les origines de la langue française (mais c'est ce qu'on fait aujourd'hui à l'Académie!), d'encourager toute tentative nouvelle et sérieuse (mais c'est là un souhait bien vague!), de veiller à la liberté du théâtre (mais cela regarde l'administration publique et non l'Académie!), de faire l'Encyclopédie moderne (mais c'est à l'Institut en corps qu'il faudrait demander un tel travail!)..., d'envoyer des missionnaires à la recherche de toutes les belles choses encore inconnues dans le monde ( mais c'est là encore une direction bien incertaine !), de rééditer nos grands poëtes et nos grands prosateurs (à la bonne heure! et c'est ce que plus d'un académicien a déjà provoqué), enfin de chercher le beau, le vrai et le bien par tous les moyens possibles. »

On le voit, de tout ce que demande là M. Du Camp dans son projet de réorganisation académique, une moitié est vraiment bien difficile à fixer et à saisir, l'autre moitié est tout admise et en voie de se réaliser.

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Après cette charge à fond contre l'Académie, et après une autre sortie contre le dogme catholique et le Diable, qui est très-malmené (un peu moins pourtant que l'Académie), M. Du Camp arrive à la partie positive de son dessein et de son programme. Ici nous retrouvons des paroles connues et qui ont été proclamées il y a plus de vingt-cinq ans. —L'Age d'or, qu'on place toujours en arrière, est devant nous.— Aimons, travaillons, fécondons l'imprescriptible progrès.— La littérature, dans l'avenir, aura à formuler définitivement le dogme nouveau. — Tout cela encore est bien vague, bien peu défini. Déroulant devant nous le mouvement scientifique et le mouvement industriel de notre temps, l'auteur essaie de préciser ce rôle qu'il assigne au littérateur, au poëte, et qui est, selon lui, d'expliquer la science, de la revêtir de charme et de lumière: « Il se passe parfois, dit-il, de planète à planète, de fer à aimant, de mercure à mercure, de chlore à hydrogène, des romans extraordinaires qu'on dissimule pudiquement derrière des chiffres et des A+ B. » L'auteur voudrait que le poëte expliquât et rendît sensibles à chacun de nous ces mystères. Il imagine un Cosmos plus clair et plus à la fran-çaise que celui de M. de Humboldt: « Donnez ce livre à un poëte, dit-il, à un homme familiarisé avec les ressources du langage, avec la valeur des mots, avec la science des effets, et il vous fera trois volumes plus amusants que tous les romans, plus intéressants que toutes les chroniques, plus instructifs que toutes les encyclopédies. » Cet agréable idéal que M. Du Camp réclame, je crois voir qu'un de nos savants des plus lettrés, M. Babinet, est en train de nous le donner petit à petit dans ses articles de la Revue des Deux Mondes (1). Fontenelle en son temps, et en sacrifiant au goût d'alentour, faisait de même. Mais ce n'est pas là, pour l'art, une veine aussi neuve et aussi profonde que M. Du Camp le suppose, et de tout temps, surtout chez nous au xvIIIe siècle, il y a eu

(1) Les articles de M. Babinet sont agréables sans doute; ils le seraient encore plus s'ils affectaient moins de l'être.

des poètes descriptifs jaloux de prendre à la science ou même à l'industrie ce qui prête au tableau, aux couleurs, et de renouveler ainsi leur matière. Ce renouvellement, qui n'est que de surface, est bientôt usé.

Au reste, en discutant cette portion de la Préface de M. Du Camp, et en trouvant sa recette insuffisante, sa conclusion trop directe et trop roide, je suis loin de méconnaître le besoin vrai dont il est tourmenté. Je suis d'accord avec lui sur un point essentiel, c'est que l'artiste doit être de son temps, doit porter dans son œuvre le cachet de son temps: à ce prix est la vie durable, comme le succès. Vouloir aujourd'hui refaire de l'antiquité pure, c'est être le disciple des disciples. Étudions l'antiquité comme tous les âges antérieurs au nôtre, pénétrons-nous de son esprit pour la comprendre et l'admirer dans le vrai sens; mais tâchons dans nos œuvres d'exprimer, ne serait-ce que par un coin, l'esprit de notre siècle, de dire à notre heure ce qui n'a pas été dit encore, ou de redire, s'il le faut, les mêmes choses d'une manière et d'un accent qui ne soit qu'à nous.

L'originalité! l'invention! nous l'implorons tous. A défaut de la manne céleste, une goutte, une seule goutte de rosée! Depuis quelques années les cieux semblent devenus d'airain. Nous comprenons toutes choses de mieux en mieux, nous n'imaginons plus rien. On se répète, on tourne dans le même cercle, on épuise les combinaisons trouvées. Cette stérilité tient moins aux sujets extérieurs qu'aux talents mêmes et aux génies on les dirait à sec. La critique a beau gourmander, frapper comme ici du pied et du poing, le dieu souffle où il lui plaît.

Les vers de M. Du Camp ne répondent qu'en partie aux conditions qu'il a posées dans sa Préface. Des trois divisions du volume, chants divers, chants de la matière, chants d'amour, il n'y a que ceux du milieu, ceux de la matière, qui rentrent dans la voie réputée moderne. Dans les autres chants le poëte a fait comme nous tous en notre saison, il a exhalé ses sentiments, ses regrets d'enfance, ses blessures secrètes, ses tourments de jeunesse. Il y a de beaux vers, surtout des poussées éloquentes. La plus remarquable pièce du recueil est incontestablement la pièce intitulée Malédiction, et dont le dernier cri est: Qu'il soit maudit! qu'il

soit maudit! De qui s'agit-il en cette formidable invective?" Peu nous importe. On ne demande pas à la poésie d'être équitable, mais d'être ardente et passionnée. Dans ses vers à Aimée sa vieille servante, dans la pièce sur la Maison démolie, M. Du Camp exprime avec cœur des sentiments affectueux; il y porte toutefois la marque de l'imitation. Ce sont ses souvenirs des Feuillantines à lui, c'est sa tristesse d'Olimpio. Les mêmes mouvements s'y retrouvent. Jusque dans l'expression de ces sentiments tendres, M: Du Camp a parfois une sorte de rudesse, de crudité. Je ne voudrais point, par exemple, qu'en célébrant avec reconnaissance cette bonne servante qui l'a soigné enfant, en rappelant les promenades où elle l'emmenait, il allât jusqu'à dire :

Et le froid Luxembourg où le long des parterres
J'arrachais, malgré toi, les fleurs à pleine main,
Pendant que tu causais avec des militaires

Vers qui tu te penchais en disant : « A demain ! »

Si la bonne Aimée causait avec des militaires, j'aimerais autant qu'on ne le dît pas dans une élégie en son honneur. Cela s'appelle, je crois, 'du réalisme. Soyons vrai; mais pourquoi être réaliste, pourquoi être vulgaire? On doit choisir, quand on veut les peindre, entre ses souvenirs et même entre ceux d'autrui.

Pour la diction poétique, j'aurais plus d'une remarque à faire en ce sens. M. Du Camp, dans le détail, est souvent trop prosaïque. Il n'a pas cet éclat, ce charme continu qui naît de la finesse de l'expression; il dit trop rondement des choses trop ordinaires :

Ah! c'était le bon temps! point de sottes études,
D'ennuyeuses leçons, point de maître pédant! etc.

Les choses communes, pour qu'elles plaisent, il faut les relever par quelque endroit, par l'accent, la marche du vers, le tour, quelquefois un concours heureux de syllabes. Les anciens, d'Homère à Théocrite, de Catulle à Ovide, savaient cela. Dans ses rimes M. Du Camp se donne trop de facilités, et de celles dont la monotonie ne se dérobe point au lecteur; il fera rimer, par exemple, accroissements et affaissements, éducateurs et régénérateurs, rumeurs et clameurs, splen

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