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Et, par l'expérience instruit à les connaitre,
Jé reste sans désirs sur tout ce qui doit être.
Dans le brillant fracas où j'ai long-temps vécu,
J'ai tout vu, tout goûté, tout revu, tout connu;
J'ai rempli pour ma part ce théâtre frivole :
Si chacun n'y restait que le temps de son rôle,
Tout serait à sa place, et l'on ne verrait pas
Tant de gens éternels dont le public est las.

Le monde usé pour moi n'a plus rien qui me touche,
Et c'est pour lui sauver un rêveur si farouche,
Qu'étranger désormais à la société,

Je viens de mes déserts chercher l'obscurité.

GRESSET. Sidney, act. II, sc. II.

Réponse, ou l'Emploi de la Vie.

Si vous avez goûté tous les biens des humains,
Si vous les connaissez, le choix est dans vos mains :
Bornez-vous aux plus vrais; et laissez les chimères
Dont le repentir suit les lueurs passagères.

Quel fut votre bonheur? A présent sans désirs,
Vous avez, dites-vous, connu tous les plaisirs.
Hé quoi! n'en est-il point au-dessus de l'ivresse
Où le monde a plongé notre aveugle jeunesse?
Ce tourbillon brillant de folles passions,
Cette scène d'erreurs, d'excès, d'illusions,
Du bonheur des mortels bornent-ils donc la sphère?
La raison à nos vœux ouvre une autre carrière.
Croyez-moi, cher ami, nous n'avons pas vécu:
Employer ses talens, son temps et sa vertu,
Servir au bien public, illustrer sa patrie,
Penser enfin, c'est là que commence la vie.
Voilà les vrais plaisirs dignes de tous nos vœux,
La volupté par qui l'honnête homme est heureux:
Notre âme pour ces biens est toute neuve encore.
LE MÊME, Ibid.

La Jeunesse du Jour.

Mor! je me garde bien de dire un mot ; j'admire.
Je sens que pour
s'instruire il n'était pas besoin
De tant se fatiguer, de prendre tant de soin.
Oh! non, je reconnais que ces longues études
N'étaient que sot ennui, que tristes habitudes;
Je vois qu'à moins de frais il est de beaux esprits,
Et même des savans, qui, n'ayant rien appris,
N'ignorent nulle chose, et, des heures entières,
Vont parler, discuter sur toutes les matières,
Sur des points de science, en affaires de goût,
Dans le monde, au spectacle, en famille, et partout,
S'érigent en censeurs, en arbitres suprêmes,

Et toujours, en un mot, sont très-contens d'eux-mêmes.
On est tout confondu d'un ton si décidé.

Tu sais tout,

à t'entendre; et monsieur de Naudé
Me disait même hier: Que de choses j'ignore!
Mon ami, je vieillis en m'instruisant encore.
. J'admire, ajoutait-il,
Et l'air de confiance, et l'éternel babil
De ces messieurs à peine échappés de l'enfance;
Car ils ont, d'un seul pas, franchi l'adolescence.
Ils semblent tout savoir, à leur ton, leur maintien;
Mais ils ne savent rien, n'apprendront jamais rien;
Parlent avec mépris de tout ce qu'ils ignorent,
Et de leur nullité publiquement s'honorent;
Êtres inconséquens, neufs et blasés, flétris,

Tels que des fruits sans goût, avant le temps mûris:
A quinze ans, les voilà déjà de petits hommes,

Plus forts, même plus vieux que tous tant que nous sommes. COLLIN-D'HARLEVILLE. Le Vieillard et les Jeunes Gens, act. II, sc. IV.

L'Érudit (1).

Si l'entretien languit, ne soyez point en peine;

De la maison voisine arrive un Erudit

Qui, dans les murs de Rome et de Sparte et d'Athène, Sait tout ce qu'on a fait, et tout ce qu'on a dit;

Son érudition profonde

Vous dit d'où sont partis tous les peuples du monde.
Il sait par cœur les noms des Princes du Sénat,
Tous les Romains promus au Grand-Pontificat,
Au rang d'Edile, au Tribunat;

Qui, sur la scène, a pris le premier masque ;
Qui, chez les Grecs, porta le premier casque.
Du casque il passe au bâton augural,

Au lituus pontifical;

Puis viennent les extraits des poudreux antiquaires;
Les temples, les tombeaux, les urnes cinéraires;
Puis il vous mène au mont Capitolin,

Au Quirinal, à l'Esquilin,

Au temple de la Paix, au vaste Colisée;
Compte les chapiteaux de sa masse brisée,
Vous dit par quels heureux hasards

Il vient de découvrir un vieux camp des Césars.
Las des antiquités et romaines et grecques,
Des Latins, des Gaulois, des Volsques et des Eques;
J'arrive enfin, quoiqu'un peu tard,

A nos aïeux les Francs, à leurs premiers évêques.
Menacé de subir les annales d'un czar,

D'un soudan ou d'un hospodar,

Je maudis les bibliothèques,

Et suis près d'excuser l'incendiaire Omar.

DELILLE. La Conversation.

(1) Voyez tom. I, Caractères ou Portraits.

FIN.

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