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Laisse la joie au myrte et la gloire au laurier:
Tu n'es point l'arbre heureux de l'amant, du guerrier,
Je le sais ; mais ton deuil compatit à nos peines.

Dans tous ces monumens, point de recherches vaines.
Pouvez-vous allier, dans ces objets touchans,
L'art avec la douleur, le luxe avec les champs;
Surtout ne feignez rien. Loin ce cercueil factice,
Ces urnes sans douleur, que plaça le caprice;

Loin ces vains monumens d'un chien et d'un oiseau :
C'est profaner le deuil, insulter au tombeau.

Ah! si d'aucun ami vous n'honorez la cendre,
Voyez sous ces vieux ifs la tombe où vont descendre
Ceux qui, courbés pour vous sur des sillons ingrats,
Au sein de la misère espèrent le trépas.
Rougiriez-vous d'orner leurs simples sépultures?
Vous n'y pouvez graver d'illustres aventures,
Sans doute. Depuis l'aube où le coq matinal
Des rustiques travaux leur donne le signal,
Jusques à la veillée où leur jeune famille
Environne avec eux le sarment qui pétille,

Dans les mêmes travaux roulent en paix leurs jours.
Des guerres, des traités, n'en marquent point le cours:
Naître, souffrir, mourir, c'est toute leur histoire ;
Mais leur cœur n'est point sourd au bruit de leur mémoire;
Quel homme vers la vie, au moment du départ,
Ne se tourne, et ne jette un triste et long regard,
A l'espoir d'un regret ne sent pas quelque charme,
Et des yeux d'un ami n'attend pas une larme?

Pour consoler leur vie, honorez donc leur mort.
Celui qui, de son sang faisant rougír le sort,
Servit son Dieu, son Roi, son pays, sa famille,
Qui grava la pudeur sur le front de sa fille,
D'une pierre moins brute honorez son tombeau;
Tracez-y ses vertus et les pleurs du hameau;
Qu'on y lise : Ci-gît le bon fils, le bon père,
Le bon époux. Souvent un charme involontaire

Vers ces enclos sacrés appellera vos yeux.
Et toi, qui vins chanter sous ces arbres pieux,
Avant de les quitter, Muse, que ta guirlande
Demeure à leurs rameaux suspendue en offrande.
Que d'autres dans leurs vers célèbrent la beauté ;
Que leur Muse, toujours ivre de volupté,
Ne se montre jamais qu'un myrte sur la tête,
Qu'avec ses chants de joie et ses habits de fête ;
Toi, tu dis au tombeau des chants consolateurs;
Et ta main, la première, y jeta quelques fleurs.

DELILLE. Les Jardins, ch. V.

Le Cimetière de Campagne.

Où suis-je ? à mes regards un humble cimetière
Offre de l'homme éteint la demeure dernière.
Un cimetière aux champs! quel tableau ! quel tréșor!
Là ne se montre point l'airain, le marbre,

Là ne s'élèvent point ces tombes fastueuses,

l'or;

Où dorment à grands frais les ombres orgueilleuses
De ces usurpateurs par la mort dévorés,

Et, jusque dans la mort, du peuple séparés.
On y trouve, fermés par des remparts agrestes,
Quelques pierres sans nom, quelques tombes modestes,
Le reste dans la poudre au hasard confondu.

Salut, cendre du pauvre! Ah! ce respect t'est dû.
Souvent ceux dont le marbre immense et solitaire
D'un vain poids après eux fatigue encor la terre,
Ne firent que changer de mort dans le tombeau;
Toi, chacun de tes jours fut un bienfait nouveau.
Courbé sur les sillons, de leurs trésors serviles
Ta sueur enrichit l'oisiveté des villes;
Et, quand Mars des combats fit retentir le cri,
Tu défendis l'Etat après l'avoir nourri.
Enfin, chaque tombeau de cet enclos tranquille

2.- 28.

28

Renferme un citoyen qui fut toujours utile.
Salut, cendre du pauvre ! accepte tous mes pleurs.
Mais quelle autre pensée éveille mes douleurs?
Tel est donc de la mort l'inévitable empire,
Vertueux ou méchant, il faut que l'homme expire.
La foule des humains est un faible troupeau
Qu'effroyable pasteur, le Temps mène au tombeau.
Notre sol n'est formé que de poussière humaine;
Et, lorsque dans les champs l'automne nous promène,
Nos pieds inattentifs foulent à chaque pas

Un informe débris, monument du trépas.

Voilà de quels pensers les cercueils m'environnent.
Mais, loin que mes esprits à leur aspect s'étonnent,
De l'immortalité je sens mieux le besoin,

Quand j'ai pour siége une urne, et la mort pour témoin.

LEGOUVÉ. La Mélancolie.

Le Jour des Morts.

ENTENDEZ-VOUS ces sons mornes et répétés,
Retentissant autour de nos toits attristés ?
De cent cloches dans l'air le timbre monotone,
Qui si lugubrement sur nos têtes résonne,
Avertit les mortels, rappelés à leur fin,
D'implorer pour les morts un tranquille destin,
D'apprécier la vie ouverte à tant de peines,
De ne point consumer en mutuelles haines
Ce fragile tissu de momens limités,

Qu'aux humains fugitifs la nature a comptés..

Quels enclos sont ouverts! quelles étroites places Occupe entre ces murs la poussière des races! C'est dans ces lieux d'oubli, c'est parmi ces tombeaux Que le Temps et la Mort viennent croiser leurs faux. Que de morts entassés et pressés sous la terre! Le nombre ici n'est rien, la foule est solitaire.

Qui peut voir sans effroi ces couches d'ossemens,
Tous ces débris de l'homme abandonnés aux vents!
Ah! si du sort commun que ce lieu nous retrace,
Le spectacle fatal nous saisit et nous glace,
Qu'un retour plus cruel sur les pertes du cœur
Eveille en nous de peine et répand de douleur!
L'époux pleure à genoux un objet plein de charmes ;
Sur un frère chéri la sœur verse des larmes ;
La mère pleure un fils frappé dans son printemps,
Et sur qui reposait l'espoir de ses vieux ans.
Pour vous qui les versez, ces pleurs sont chers encore,
De vos gémissemens l'humanité s'honore ;
Mais ceux que vous pleurez ont subi leur arrêt,
Leur sort fut de mourir, et le jour n'est qu'un prêt.

Qu'est-ce que chaque race? une ombre après une ombre. Nous vivons un moment sur des siècles sans nombre', Nos tristes souvenirs vont s'éteindre avec nous: Une autre vie, 8 Temps, se dérobe à tes coups. Mortel, jusques aux cieux élève ta prière ; Demande au Tout-Puissant, non pas que la poussière Qu'on jette sur ces morts soit légère à leurs os ; Ce n'est point là que l'homme a besoin de repos; Et l'âme, qui du corps a dépouillé l'argile, Cherche au sein de Dieu même un éternel asile.

LEMIERE. Les Fastes, ch. XIV.

Le Jour des Morts à la Campagne.

MALHEUR aux temps, aux nations profanes,
Chez qui, dans tous les coeurs, affaibli par degré,
Le culte des tombeaux cessa d'être sacré !

Les morts ici du moins n'ont pas reçu d'outrage ;
Ils conservent en paix leur antique héritage.
Leurs noms ne chargent point des marbres fastueux ;
Un pâtre, un laboureur, un fermier vertueux,

Sous ces pierres sans art tranquillement sommeille.
Elles couvrent peut-être un Turenne, un Corneille,
Qui dans l'ombre a vécu, de lui-même ignoré.
Eh bien! si de la foule autrefois séparé,
Illustre dans les camps, ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l'univers idolâtre,
Aujourd'hui son sommeil en serait-il plus doux?
De ce nom, de ce bruit dont l'homme est si jaloux,
Combien auprès des morts j'oubliais les chimères !
Ils réveillaient en moi des pensers plus austères.

Quel spectacle ! d'abord un sourd gémissement
Sur le fatal enclos erre confusément :

Bientôt les vœux, les cris, les sanglots retentissent;
Tous les yeux sont en pleurs, toutes les voix gémissent;
Seulement j'aperçois une jeune beauté

Dont la douleur se tait, et veut fuir la clarté.
Ses larmes cependant coulent en dépit d'elle,
Son œil est égaré, son pied tremble et chancelle.
Hélas! elle a perdu l'amant qu'elle adorait,
Que son cœur pour époux se choisit en secret;
Son cœur promet encor de n'être point parjure.

Une veuve, non loin de ce tronc sans verdure,
Regrettait un époux, tandis qu'à ses côtés
Un enfant qui n'a vu qu'à peine trois étés,
Ignorant son malheur, pleurait aussi comme elle.
Là, d'un fils qui mourut en suçant la mamelle
Une mère au destin reprochait le trépas,
Et sur la pierre étroite elle attachait ses bras.
Ici, des laboureurs, au front chargé de rides,
Tremblans, agenouillés sur des feuilles arides,
Venaient encor prier, s'attendrir dans ces lieux
Où les redemandait la voix de leurs aïeux.

Quelques vieillards surtout, d'une main languissante,
Embrassaient tour à tour une tombe récente.
C'était celle d'Hombert, d'un mortel respecté,
Qui depuis neuf soleils en ces lieux fut porté.

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