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La Providence.

« COMBIEN l'homme est infortuné!
Le sort maîtrise sa faiblesse,
Et, de l'enfance à la vieillesse,
D'écueils il marche environné;
Le temps l'entraîne avec vitesse;
Il est mécontent du passé;
Le présent l'afflige et le presse;
Dans l'avenir toujours placé,
Son bonheur recule sans cesse ;
Il meurt en rêvant le repos.
Si quelque douceur passagère
Un moment console ses maux,
C'est une rose solitaire
Qui fleurit parmi des tombeaux.
Toi, dont la puissance ennemie
Sans choix nous condamne à la vie,
Et proscrit l'homme en le créant,
Jupiter, rends-moi le néant! »
Aux bords lointains de la Tauride,
Et seul sur des rochers déserts
Qui repoussent les flots amers,
Ainsi parlait Ephimécide.
Absorbé dans ce noir penser,
Il contemple l'onde orageuse;
Puis, d'une course impétueuse,
Dans l'abîme il veut s'élancer.
Tout à coup une voix divine

Lui dit : « Quel transport te domine?
L'homme est le favori des Cieux;
Mais du bonheur la source est pure.
Va, par un injuste murmure,
Ingrat, n'offense plus les Dieux.»

Surpris et long-temps immobile,
Il baisse un œil respectueux.
Soumis enfin et plus tranquille,
A pas lents il quitte ces lieux.
Deux mois sont écoulés à peine,
Il retourne sur le rocher.

« Grands Dieux! votre voix souveraine Au trépas daigna m'arracher;

Bientôt votre main secourable
A mon cœur offrit un ami.
J'abjure un murmure coupable;
Sur mon destin j'ai trop gémi.
Vous ouvrez un port dans l'orage;
Souvent votre bras protecteur
S'étend sur l'homme, et le malheur
N'est pas son unique héritage.
Il se tait. Par les vents ployé,
Faible, sur son frère appuyé,
Un jeune pin frappe sa vue:
Auprès il place une statue,
Et la consacre à l'Amitié.

Il revient après une année;
Le plaisir brille dans ses yeux;
La guirlande de l'hyménée
Couronne son front radieux :

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« J'osai, dans ma sombre folie,
Blâmer les décrets éternels,
Dit-il; mais j'ai vu Glycérie,
J'aime, et du bienfait de la vie

Je rends grâce aux Dieux immortels, »
Son âme doucement émue

Soupire; et, dès le même jour,

Sa main non loin de la statue

Elève un autel à l'Amour.

Deux ans après la fraîche aurore

Sur le rocher le voit encore:

Ses regards sont doux et sereins;
Vers le ciel il lève ses mains:
«Je t'adore, ô bonté suprême!
L'amitié, l'amour enchanteur
Avaient commencé mon bonheur,
Mais j'ai trouvé le bonheur même.
Périssent les mots odieux

Que prononça ma bouche impie!
Oui, l'homme, dans sa courte vie,
Peut encore égaler les Dieux. »
Il dit; sa piété s'empresse

De construire un temple en ces lieux;
Il en bannit avec sagesse

L'or et le marbre ambitieux,

Et les arts, enfans de la Grèce ;
Le bois, le chaume et le gazon
Remplacent leur vaine opulence;
Et sur le modeste fronton

Il écrit: A la Bienfaisance (1).

PARNY. Mélanges.

La Bienfaisance, les Vertus, seuls biens impérissables.

COMME, aux jours de l'automne, en des sillons fertiles

Le sage laboureur répand les grains utiles

Dont le germe fécond, dans la terre humecté,
Forme durant l'hiver les trésors de l'été :
Ainsi des biens mortels l'économe fidèle,
Qui sur les malheureux les épanche avec zèle,
Sème des fruits de vie en des champs précieux,
Dont la moisson s'élève et mûrit dans les cieux.
Vous
voyez ces torrens qui tombent des nuages,
Soudains tributs de l'air, nés du sein des orages;

(1) Voyez t. I.

Mais tout n'en ressent pas les humides faveurs.
Là, vous n'apercevrez que verdure et que fleurs,
Ici l'herbe languit, ou meurt à peine éclose,
Dans le terroir ingrat qu'en vain le ciel arrose.
Qu'importe que vos dons souvent soient mal places?
Dieu qui veille sur nous, les voit, et c'est assez.
L'abus au bienfaiteur n'en est jamais funeste;
Et, si l'emploi se perd, du moins le bienfait reste.
Ce sont là les vertus, les trésors assurés
Qui ne périssent point, et par qui vous vivrez:
Elles sont au tombeau nos compagnes fidèles,
Et la mort et l'enfer se tairont devant elles.
Ne fondez point ailleurs vos vœux ni votre espoir.
Quand vous auriez du trône exercé le pouvoir,
Quand de siècles sans nombre, au gré de votre envie,
Le Ciel aurait tissu le cours de votre vie ;

Quand pour vous chaque jour eût créé des plaisirs
Et que chaque instant même eût comblé vos désirs,
Ce sont des jours perdus, des instans inutiles,
Si vous n'avez prévu ces repentirs stériles,
Et ces derniers momens d'ennui, d'obscurité,
Qui vous diront trop tard que tout fut vanité.

Tout le fut, le plaisir, la jeunesse et la joie :
Vous crûtes en jouir, le Temps en fit sa proie ;
Il vous en laissait l'ombre, elle fuit à son tour.
Bientôt vos yeux éteints ne verront plus le jour.
Sur vos fronts sillonnés la pesante vieillesse
Imprimera l'effroi, gravera la tristesse ;

Ses frimas détruiront vos cheveux blanchissans,
Vous perdrez le sommeil, ce charme de nos sens;
Les mets n'auront pour vous que des amorces vaines,
Vous serez sourds au chant de vos jeunes Sirènes;
Vos corps appesantis, sans force et sans ressort,
Feront pour se traîner d'inutiles efforts.

La mort, d'un cri lugubre,

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annoncera votre heure,

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On verse quelques pleurs suivis d'un prompt oubli.

Le

corps né de la fange y rentre enseveli,

Et l'esprit, remonté vers sa source divine,

Va chercher son arrêt où fut son origine (1).

LE FRANC DE POMPIGNAN.

Les Dix Francs d'Alfred.

CECI n'est point un conte, enfans, c'est une histoire,
Comme la vérité, simple et facile à croire,

Et rien que d'y songer, qui fait battre le cœur.
Oh! je ne serai pas moraliste sévère :

Car parfois, comme vous, j'ai besoin qu'on m'éclaire;
Et pour être plus grand, je ne suis pas meilleur.
Parlons donc en amis.

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Alfred était, je pense,

Un enfant, tel que vous, ayant huit à neuf ans.
Bien, bien riche ! il avait dans sa bourse dix francs,
Dix francs beaux et tout neufs. C'était la récompense
Donnée à sa sagesse, à ses petits travaux :
Ce qui faisait encore ces dix francs-là plus beaux.
Mais l'idée arriva d'en chercher la dépense,

Car c'eût été vilain de les garder toujours:
L'argent qui ne sert pas est sans valeur aucune;
Le point est de savoir lui donner un bon cours.
On avait fait Alfred maître de sa fortune :

Tantôt il la voyait en beau cheval de bois,
Tantôt c'était un livre.... Un livre.... Alors sa mère
Souriait de plaisir, sans l'aider toutefois,

Lui laissant tout l'honneur de ce qu'il allait faire.
Sur le livre son choix à la fin se fixa.

Charmant enfant! combien sa mère l'embrassa!

C'est qu'aussi c'était beau, savez-vous? C'est qu'un livre
C'est tout; c'est là-dedans que l'on apprend à vivre,

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes, tom. II.

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