Page images
PDF
EPUB

Tout d'un coup tourne à gauche, et, d'un bras fortuné,
Bénit subitement le guerrier consterné.

Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
Se dresse, et lève en vain une tête rebelle:
Sur ses genoux tremblans il tombe à cet aspect,
Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.
Dans le temple aussitôt le Prélat plein de gloire
Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire,
Et de leurs vains projets les chanoines punis,
S'en retournent chez eux éperdus et bénis.

BOILEAU. Lutrin, chant V.

Famine de Paris.

MAIS lorsque enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la Faim pâle et cruelle,
Montrant déjà la Mort qui marchait après elle,
Alors on entendit des hurlemens affreux :
Ce superbe Paris fut plein de malheureux,
De qui la main tremblante et la voix affaiblie
Demandaient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.

Ce n'étaient plus ces jeux, ces festins et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes,
Où, parmi les plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu'habite la mollesse,
De leur goût dédaigneux irritaient la paresse.
On vit avec effroi tous ces voluptueux,
Pâles, défigurés, et la mort dans les yeux,
Périssant de misère au sein de l'opulence,
Détester de leurs biens l'inutile abondance.
Le vieillard, dont la faim va terminer les jours,

Voit son fils au berceau, qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière.

Plus loin des malheureux, couchés sur la poussière,
Se disputaient encore, à leurs derniers momens,
Les restes odieux des plus vils alimens.

Ces spectres affamés, outrageant la nature,
Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossemens poudreux,
Ainsi qu'un pur froment, sont préparés par eux.
Que n'osent point tenter les extrêmes misères!
On les voit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets avança leur trépas,
Et ce repas pour eux fut le dernier repas.
Trop heureux, en effet, d'abandonner la vie!
D'un ramas d'étrangers la ville était remplie ;
Tigres que nos aïeux nourrissaient dans leur sein,
Plus cruels que la mort, et la guerre et la faim.
Les uns étaient venus des campagnes Belgiques;
Les autres, des rochers et des monts Helvétiques;
Barbares dont la guerre est l'unique métier,
Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.
De ces nouveaux tyrans les avides cohortes
Assiégent les maisons, en enfoncent les portes,
Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non pour leur arracher d'inutiles trésors;
Non pour aller ravir d'une main adultère
Une fille éplorée à sa tremblante mère :
De la cruelle faim le besoin consumant
Fait expirer en eux tout autre sentiment;
Et d'un peu d'aliment la découverte heureuse
Etait l'unique but de leur recherche affreuse.
Il n'est point de tourment, de supplice et d'horreur,
Que, pour en découvrir, n'inventât leur fureur.

Une femme (grand Dieu ! fant-il à la mémoire
Conserver le récit de cette horrible histoire?),
Une femme avait vu par ces cœurs inhumains

Un reste d'aliment arraché de ses mains.
Des biens que lui ravit la fortune cruelle,
Un enfant lui restait, près de périr comme elle:
Furieuse, elle approche, avec un coutelas,
De ce fils innocent qui lui tendait les bras ;
Son enfance, sa voix, sa misère et ses charmes,
A sa mère en fureur arrachent mille larmes ;
Elle tourne sur lui son visage effrayé,

Plein d'amour, de regret, de rage, de pitié;
Trois fois le fer échappe à sa main défaillante :
La rage enfin l'emporte, et, d'une voix tremblante,
Détestant son hymen et sa fécondité :-

« Cher et malheureux fils que mes flancs ont porté, « Dit-elle, c'est en vain que tu reçus la vie;

[ocr errors]

« Les tyrans ou la faim l'auraient bientôt ravie..
« Et pourquoi vivrais-tu ? pour aller dans Paris,
. Errant et malheureux, pleurer sur ses débris?
« Meurs avant de sentir mes maux et ta misère;
Rends-moi le jour, le sang que t'a donné ta mère :
Que mon sein malheureux te serve de tombeau,
« Et que Paris du moins voie un crime nouveau !
En achevant ces mots, furieuse, égarée,
Dans les flancs de son fils sa main désespérée
Enfonce, en frémissant, le parricide acier ;
Porte le corps sanglant auprès de son foyer,
Et d'un bras que poussait sa faim impitoyable,
Prépare avidement ce repas effroyable.

Attirés par la faim, les farouches soldats
Dans ces coupables lienx reviennent sur leurs pas :
Leur transport est semblable à la cruelle joie
Des ours et des lions qui fondent sur leur proie:
A l'envi l'un de l'autre ils courent en fureur;

Ils enfoncent la porte. O surprise! ô terreur!
Près d'un corps tout sanglant à leurs yeux se présente
Une femme égarée, et de sang dégouttante.

« Oui, c'est mon propre fils; oui, monstres inhumains,

α

« C'est vous qui dans son sang avez trempé mes mains; Que la mère et le fils vous servent de pâture:

[ocr errors]

α

[ocr errors]

«

Craignez-vous-plus que moi d'outrager la nature? Quelle horreur, à mes yeux, semble vous glacer tous? Tigres, de tels festins sont préparés pour vous. »

Ce discours insensé, que sa rage prononce,

Est suivi d'un poignard qu'en son cœur elle enfonce.
De crainte, à ce spectacle, et d'horreur agités,
Ces monstres confondus courent épouvantés.
Ils n'osent regarder cette maison funeste:
Ils pensent voir tomber sur eux le feu céleste;
Et le peuple, effrayé de l'horreur de son sort,
Levait les mains au ciel, et demandait la mort (1).

VOLTAIRE. Henriade, ch. X.

La Vaccine, ou les Regrets et le Désespoir d'une Mère.

C'ÉTAIT l'heure où, lassé des longs travaux du jour, Le laboureur revoit son rustique séjour.

Je visitai des morts la couche triste et sainte ;
Une femme apparut vers la funèbre enceinte,
Et, d'un enfant suivie, avec l'ombre du soir,
Sous un jeune cyprès lentement vint s'asseoir.
Parmi les hauts gazons s'élevaient sans culture
Quelques sombres pavots, fleur de la sépulture;
Son fils, pour les cueillir, un moment s'éloigna :
A toute sa douleur elle s'abandonna ;

Mes pleurs interrogeaient sa tristesse mortelle.
"Mon époux n'était plus, j'avais deux fils, dit-elle;
« L'un d'eux, mon jeune Edgard, était le plus chéri;
« C'était mon premier-né, mon lait l'avait nourri;
• Plus souvent que son frère il cherchait mes caresses;
« Mais Dieu punit toujours d'inégales tendresses;

(1) Voyez les Leçons Latines anciennes, t. I, Descriptions.

« Le fléau destructeur, aux mères si fatal,

«

S'étendit par degrés sur le hameau natal;

Chaque mère employa le secours salutaire

« D'un art encor nouveau, présent de l'Angleterre ;
« Le second de mes fils lui-même y fut soumis ;
« Prête à livrer Edgard, j'hésitai, je frémis;
« Contre un fer douloureux, sa frayeur indocile
« Dans les bras de sa mère implorait un asile :
« J'osai le recevoir; j'oubliai ma raison;
« Je l'offris sans défense au funeste poison.
Edgard en respira la vapeur meurtrière ;'

[ocr errors]
[ocr errors]

Chaque élan de mon cœur était une prière; « Je le voyais souffrir, languir sur mes genoux, « Et mon plus jeune fils jouait auprès de nous.

«

Chaque jour, chaque instant redoublait mes alarmes,

« Je pleurais... Mon Edgard ne voyait point mes larmes;

α

Déjà le mal impur, sur ses yeux arrêté,

<< Cachait à ses regards sa mère et la clarté ;

« Il mourut... et voilà sa pierre funéraire.

Ce cyprès est le sien, cet enfant est son frère.

« Nous venons tous les soirs lui porter nos douleurs ; « Nous regardons le ciel, et nous versons des pleurs. « Toi, mon dernier enfant, souffre ma plainte amère; « Le ciel n'enferme pas tout l'amour de ta mère : « A vivre loin d'Edgard je puis m'accoutumer; « Près du cercueil d'Edgard je puis encore aimer. >> Elle se tait... L'enfant la suit dans les ténèbres; Mais on dit que bientôt, sur les gazons funèbres, Il revint pleurer seul, hélas! et que ses pas Vers le tombeau d'Edgard ne se dirigeaient pas. Prévenez le malheur que ma muse déplore, Votre jeune famille avec moi vous implore; Vous, simples villageois, d'éternels préjugés, De fantômes, d'erreurs, d'ignorance assiégés, Hâtez-vous, le temps fuit, et l'enfance succombe; De vos fils au berceau ne creusez pas la tombe;

« PreviousContinue »