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vaincus:

On voit errer partout ces ombres redoutables
Qu'arrêtèrent jadis ces bords impénétrables :
Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé,
Que, pour joindre l'Yssel au Rhin, il a tracé;,
Varus le suit tout pâle, et semble, dans ces plaines,
Chercher le reste affreux des légions romaines;
Son vengeur après lui, le grand Germanicus,
Vient voir comme on vaincra ceux qu'il n'a pas
Le fameux Jean d'Autriche, et le cruel Tolède,
Sous qui des 'maux si grands crûrent par leur remède;
L'invincible Farnèse et les vaillans Nassaus,
Fiers d'avoir tant livré, tant soutenu d'assauts,
Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire,
Pour voir faire à mon roi ce qu'eux tous n'ont pu faire,
Eux-mêmes s'en convaincre, et d'un regard jaloux
Admirer un héros qui les efface tous.

Il range cependant ses troupes au rivage,
Mesure de ses yeux Tholus et le passage,
Et voit de ces héros Ibères et Romains
Voltiger tout autour les simulacres vains :
Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle
D'emporter une gloire et si haute et si belle,
Que, devant ces témoins à le voir empressés,
Elle ait de quoi ternir tous les siècles passés (1).

CORNEILLE. Les victoires du Roi en 1672,
imité du latin du P. La Rue.

Louis IX explique à Joinville les causes et les effets de son expédition de Terre-Sainte.

QU'ENTENDS-JE? il est donc vrai, Joinville aussi me blâme ? Mais sais-tu quels desseins je renferme en mon âme? Sais-tu si les combats où je vous ai guidés

(1) Voyez les Leçons Latines modernes, t. II, même sujet.

Par de grands intérêts n'étaient pas commandés?
Tu ne vois que tes maux, ton désespoir m'accuse:
Eh bien! lis dans mon cœur, et connais mon excuse.
Vainement, tu le sais, au sein de nos remparts,
Je voulus appeler le commerce et les arts.

Ces Comtes qui du haut de leurs châteaux antiques
Font gémir mes sujets sous leurs lois despotiques,
Tyrans dans mon royaume, et vassaux turbulens,
Sans relâche occupés de leurs débats sanglans,
Détruisaient mes travaux, déchiraient la patrie,
Dans son premier essor arrêtaient l'industrie.
Divisés d'intérêts, unis contre leur Roi,

Je les trouvais sans cesse entre mon peuple et moi.
Signalant tour à tour leurs fureurs inhumaines,
Ils promenaient la mort dans leurs vastes domaines,
Et des soldats français, l'un par l'autre immolés,
Le sang coulait sans gloire en nos champs désolés.
Je voulus, des combats leur ouvrant la carrière,
Offrir un but plus noble à cette ardeur guerrière :
Tu te souviens qu'alors de pieux voyageurs,
Pour nos frères captifs implorant des vengeurs,
D'un zèle saint en nous ranimèrent la flamme;
Aux regards des Français déployant l'oriflamme,
Je leur montre la gloire aux rives du Jourdain;
Ils entendent ma voix, s'arrêtent, et soudain,
Oubliant leurs discords et déposant leurs haines,
Ils marchent réunis vers ces plages lointaines.
Quels plus nobles dangers leur pouvaient être offerts?
Délivrer les Chrétiens gémissant dans les fers,
Rendre Jérusalem à sa splendeur première,
En chasser l'Infidèle, et rompre la barrière
Qui du tombeau sacré nous défendait l'accès,
Tel devait être, ami, le fruit de nos succès.
Là s'arrêtaient vos vœux, et non mon espérance.
Jette avec moi, Joinville, un regard sur la France;
Avant de condamner les sermens que j'ai faits,

De ces combats lointains contemple les effets:
Libre de ses tyrans, mon peuple enfin respire;
La paix renaît en France, et la discorde expire;

Le commerce, avec nous transporté sur ces bords,
Aux peuples rapprochés prodigue ses trésors;
L'aspect de ces climats, depuis long-temps célèbres,
Déjà de l'ignorance éclaircit les ténèbres,

Et sur nos pas les arts, allumant leur flambeau,
Vont remplir l'Occident de leur éclat nouveau.
Déjà des grands vassaux l'autorité chancelle:
Je sais ce qu'entreprend leur audace rebelle,
Joinville; et, m'instruisant aux leçons du passé,
Je suivrai le chemin que Philippe a tracé.
Aux tyrans de mon peuple arrachant leur puissance,
Éveillant la justice, enchaînant la licence,

Au secours de mes lois j'appellerai les mœurs,
Je contiendrai les Grands, et, malgré leurs clameurs,
Père de mes sujets, détruisant l'anarchie,

Je veux sur ses débris asseoir la monarchie.
Si Dieu, marquant ici le terme de mes jours,
Veut de tous mes travaux interrompre le cours,
Aux Rois qui me suivront j'aurai frayé la route :
Vers ce but glorieux ils marcheront sans doute;
Et quelque jour, mon peuple, éclairé sur ses droits,
Chérira ma mémoire, et bénira mes lois.

ANCELOT. Louis IX, act. I, sc. III.

L'Horreur des Guerres civiles.

D'AILLY portait partout la crainte et le trépas, D'Ailly tout orgueilleux de trente ans de combats, Et qui, dans les horreurs de la guerre cruelle, Reprend, malgré son âge, une force nouvelle. Un seul guerrier s'oppose à ses coups menaçans : C'est un jeune Héros à la fleur de ses ans,

Qui, dans cette journée illustre et meurtrière,
Commençait des combats la fatale carrière;
D'un tendre hymen à peine il goûtait les appas;

Favori des Amours, il sortait de leurs bras.
Honteux de n'être encor fameux que par ses charmes,
Avide de la gloire, il volait aux alarmes.

Ce jour sa jeune épouse, en accusant le Ciel,
En détestant la Ligue, et ce combat mortel,
Arma son tendre amant, et d'une main tremblante
Attacha tristement sa cuirasse pesante,

Et couvrit, en pleurant, d'un casque précieux
Ce front si plein de grâce, et si cher à ses yeux.
Il marche vers d'Ailly, dans sa fureur guerrière;
Parmi des tourbillons de flammes, de poussière,
A travers les blessés, les morts et les mourans,
De leurs coursiers fougueux tous deux pressent les flancs;
Tous deux sur l'herbe unie et de sang colorée,
S'élancent loin des rangs, d'une course assurée :
Sanglans, couverts de fer, et la lance à la main,
D'un choc épouvantable ils se frappent soudain.
La terre en retentit, leurs lances sont rompues :
Comme en un ciel brûlant, deux effroyables nues
Qui, portant le tonnerre et la mort dans leurs flancs,
Se heurtent dans les airs, et volent sur les vents:
De leur mélange affreux les éclairs rejaillissent :
La foudre en est formée, et les mortels frémissent.
Mais loin de leurs coursiers, par un subit effort,
Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort.
Déjà brille en leurs mains le fatal cimeterre.
La Discorde accourut; le Démon de la guerre,
La Mort pâle et sanglante, étaient à ses côtés.
Malheureux! suspendez vos coups précipités.
Mais un destin funeste enflamme leur courage;
Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un passage,
Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connaissent pas.
Le fer qui les couvrait brille et vole en éclats;

Sous les coups redoublés leur cuirasse étincelle;
Leur sang qui rejaillit rougit leur main cruelle;
Leur bouclier, leur casque, arrêtant leur effort,
Pare encor quelques coups, et repousse la mort.
Chacun d'eux, étonné de tant de résistance,
Respectait son rival, admirait sa vaillance.
Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux,
Fit tomber à ses pieds ce guerrier généreux.
Ses yeux sont pour jamais fermés à la lumière,
Son casque auprès de lui roule sur la poussière.
D'Ailly voit son visage; ô désespoir! ô cris!
Il le voit, il l'embrasse : hélas! c'était son fils.
Le père infortuné, les yeux baignés de larmes,
Tournait contre son sein ses parricides armes.
On l'arrête, on s'oppose à sa juste fureur;

Il s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur;
Il déteste à jamais sa coupable victoire;

Il renonce à la Cour, aux humains, à la gloire,
Et, se fuyant lui-même, au milieu des déserts
Il va cacher sa peine au bout de l'univers.
Là, soit que le soleil rendît le jour au monde,
Soit qu'il finît sa course au vaste sein de l'onde,
Sa voix faisait redire aux échos attendris
Le nom, le triste nom de son malheureux fils.

Du héros expirant la jeune et tendre amante,
Par la terreur conduite, incertaine, tremblante,
Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords.
Elle cherche, elle voit dans la foule des morts,
Elle voit son époux ; elle tombe éperdue;
Le voile de la mort se répand sur sa vue.

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« Est-ce toi, cher amant?» Ces mots interrompus, Ces cris demi-formés ne sont point entendus.

Elle rouvre les yeux, sa bouche

presse encorc

Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore:
Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant;
Le regarde, soupire, et meurt en l'embrassant.

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