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Et rien ne plaira plus à tous les goûts divers,
Qu'un organe flatteur déclamant de beaux vers.
Jadis on les chantait : les annales antiques
De Moïse et d'Orphée exaltent les cantiques.
Te faut-il rappeler ces prodiges connus ?
Ces rochers attentifs à la voix de Linus?
Et Sparte qui s'éveille aux accens de Tyrtée?
Et Terpandre apaisant la foule révoltée?
Les poëtes divins, maîtres des nations,
Savaient noter alors l'accent des passions.
L'âme était adoucie et l'oreille charmée,
Et même des tyrans la rage désarmée.
Ce fut l'attrait des vers qui fit aimer les lois.
L'art de les déclamer fut le talent des Rois.

Les Dieux même, les Dieux, par la voix des oracles,
De cet art enchanteur consacraient les miracles.

Chez les fils de Cadmus, peuples ingénieux,
Que les sons de la lyre étaient harmonieux !
Que, dans ces beaux climats, l'exacte prosodie
Aux chansons des Neuf-Sœurs prêtait de mélodie!
On voyait, à côté des dactyles volans,
Le spondée allongé se traîner à pas lents.
Chaque mot, chez les Grecs, amans de la mesure,
Se pliait de lui-même aux lois de la césure.
Chaque genre eut son rhythme. En vers majestueux,
L'épopée entonna ses récits fastueux.

La modeste élégie eut recours au distique;
Archiloque s'arma de l'iambe caustique.
A des mètres divers, Alcée, Anacréon,
Prêtèrent leur génie, et leur gloire, et leur nom.
Pour nous, enfans des Goths, Apollon, plus avare,

A dédaigné long-temps notre jargon barbare.
Ce jargon s'est poli : les Muses, sur nos bords,
Ont d'une mine ingrate arraché des trésors.
O Racine! ô Boileau! votre savante audace
Fait parler notre langue aux échos du Parnasse;

Ce rebelle instrument rend des accens flatteurs,
Vous peignez la nature en sons imitateurs,
Tantôt doux et légers, tantôt pesans et graves;
Votre Apollon est libre au milieu des entraves;
Et l'oreille, attentive au charme de vos vers,
Croit de Virgile même entendre les concerts.

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU.

NARRATIONS.

Soyez vif et pressé dans vos narrations.
BOILEAU. Art poét.

Narration poétique.

PRECEPTES Du genre.

LA narration est l'exposé des faits, comme la description est l'exposé des choses; et celle-ci est comprise dans celle-là, toutes les fois que la description des choses contribue à rendre les faits plus vraisemblables, plus intéressans, plus sensibles.

Il n'est point de genre de poésie où la narration ne puisse avoir lieu; mais, dans le dramatique, elle est accidentelle et passagère; au lieu que, dans l'épique, elle domine et remplit le fond.

Toutes les règles de la narration sont relatives aux convenances et à l'intention du poëte.

Quel que soit le sujet, le devoir de celui qui raconte, pour remplir l'attente de celui qui l'écoute, est d'instruire et de persuader; ainsi les premières règles de la narration sont la clarté et la vraisemblance.

La clarté consiste à exposer les faits d'un style qui ne laisse aucun nuage dans les idées, aucun embarras dans l'esprit. Il y a dans les faits des circonstances qui se supposent, et qu'il serait superflu d'expliquer. Il peut arriver aussi que celui qui raconte ne soit pas instruit de tout, ou qu'il ne veuille pas tout dire; mais ce qu'il ignore ou

veut dissimuler ne le dispense pas d'être clair dans ce qu'il expose. Le spectateur ou le lecteur veut tout savoir; et, si l'acteur est dispensé de tout éclaircir, le poëte ne l'est pas. S'il jette un voile sur l'avenir, il le laisse du moins entrevoir dans un lointain confus et vague:

Sublustrique aliquid dant cernere noctis in umbrá.

VIDA.

C'est un nouvel attrait pour le lecteur. A l'égard du présent et du passé, tout doit être à ses yeux sans nuage et sans équivoque.

Les éclaircissemens sont faciles dans l'épopée, où le poëte cède et reprend la parole quand bon lui semble. Dans le dramatique, il faut un peu plus d'art pour mettre l'auditeur dans la confidence; mais comme, dans les momens passionnés, il est permis de penser tout haut, le spectateur entend la pensée. C'est donc une négligence inexcusable que de laisser, dans l'exposition des faits, une obscurité qui nous inquiète et qui nuise à l'illusion.

Si les faits sont trop compliqués, la méthode la plus sage, en travaillant, c'est de les réduire d'abord à leur plus grande simplicité; et, à mesure qu'on aperçoit dans leur exposé quelque embarras à prévenir, quelque nuage à dissiper, on y répand quelques traits de lumière. Le comble de l'art est de faire en sorte que ce qui éclaircit la narration soit aussi ce qui la décore.

Le poëte est en droit de suspendre la curiosité, mais il faut qu'il la satisfasse; cette suspension n'est même permise qu'autant qu'elle est motivée.

L'art de ménager l'attention sans l'épuiser consiste à rendre intéressant et comme inévitable l'obstacle qui s'oppose à l'eclaircissement, et à paraître soi-même partager l'impatience que l'on cause. On emploie quelquefois un incident nouveau pour suspendre et différer l'éclaircissement; mais qu'on prenne garde à ne pas laisser voir

qu'il est amené tout exprès, et surtout à ne pas employer plus d'une fois le même artifice. Le spectateur veut bien qu'on le trompe, mais il ne veut pas s'en apercevoir.

Il n'y a que les faits surnaturels dont le poëte soit dispensé de rendre raison en les racontant.

Les poëtes anciens n'ont pas toujours dédaigné de motiver la volonté des Dieux ; et le merveilleux est bien plus satisfaisant lorsqu'il est fondé, comme dans l'Eneide le ressentiment de Junon contre les Troyens, et la colère d'Apollon contre les Grecs dans l'Iliade, Mais, pour motiver la conduite des Dieux, il faut une raison plausible; il vaut mieux n'en donner aucune, que d'en alléguer de mauvaises.

Ce que je viens de dire de la clarté contribue aussi à la vraisemblance. Un fait n'est incroyable que parce qu'on

y voit de l'incompatibilité dans les circonstances, ou de l'impossibilité dans l'exécution. Or, en l'expliquant, tout se concilie, tout s'arrange, tout se rapproche de la vérité. Etiam incredibile solertia efficit sæpè credibile esse. (Scaliger.) C'est une idée lumineuse d'Aristote, que la croyance que l'on donne à un fait se réfléchit sur l'autre, quand ils sont liés avec art. « Par une espèce de paralogisme qui nous est naturel, nous concluons, dit-il, de ce qu'une chose est véritable, que celle qui la suit doit l'être.» Cette remarque importante prouve combien, dans le récit du merveilleux, il est essentiel de mêler des cir

constances communes.

Pour me persuader que les héros qu'on me présente ont fait réellement des prodiges dont je n'ai jamais vu d'exemples, il faut qu'ils fassent des choses qui, tous les jours, se passent sous mes yeux. Il est vrai que parmi les détails de la vie commune, l'on doit choisir avec goût ceux qui ont le plus de noblesse dans leur naïveté, ceux dont la peinture a le plus de charmes ; et en cela les mœurs anciennes étaient plus favorables à la poésie que les nôtres. Les devoirs de l'hospitalité, les cérémonies

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