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des armes, et d'esclaves gladiateurs que le poids de leur armure de fer empêchait presque de se mouvoir; puis les Séquanais ne furent pas heureux dans leurs efforts. Caius Silius, lieutenant de l'armée du haut Rhin, entra chez eux avec deux légions et des corps auxiliaires, les battit complétement, ravagea leur territoire et marcha sur Autun. Sacrovir attendait Silius à quatre lieues de cette ville; mais Sacrovir avait à combattre des adversaires aguerris et rompus à la tactique des armes romaines, tandis que les siens manquaient de tout ce qui constitue le véritable soldat. Aussi le sort de la bataille était-il décidé d'avance. Sacrovir, après une résistance de quelques heures, vit ses troupes culbutées, dispersées, et lui-même réduit à se sauver dans Autun; mais, en apprenant que Silius arrivait sur ses pas, il sortit de la ville avec quelques amis dévoués, se réfugia dans une maison de campagne et ne reparut jamais, non plus que ses amis. Pour dérober leurs corps aux outrages du vainqueur, ils s'étaient entre-tués, après avoir livré leur retraite aux flammes.

La Séquanie, malheureuse sous Tibère, le fut davantage encore sous Caligula, monstre extravagant qui nommait son cheval consul, se faisait adorer comme Jupiter, et désirait que le genre humain n'eût qu'une tête pour l'abattre d'un seul coup. La Gaule se ressouvint longtemps de l'hiver que Caligula vint passer à Lyon. Il ne se contenta point de piller et de rançonner les populations, de taxer les enfants et les femmes, mais il confisquait les propriétés des uns, obligeait les autres de racheter au prix le plus exorbitant ces biens confisqués, et faisait emprisonner ou mettre à mort ceux dont les plaintes ou les murmures montaient jusqu'à lui. « Le pauvre peuple, dit Gollut, étoit tant travaillé de gabelles et rançonnements, que rien ne luy sembloit rester que le souffle. » Le poignard d'un tribun des cohortes prétoriennes vint délivrer le monde de Caligula pour faire place à Claude, né à Lyon. « La Gaule, dit Suétone, n'eut pas à s'enorgueillir de lui, mais elle eut à s'en louer. » L'impartiale histoire a rempli son devoir en retranchant de cette phrase le trait satirique pour n'y laisser que l'éloge; car cet empereur Claude, à qui les déclamations des écrivains romains ont fait une si triste réputation, mérite d'être regardé comme un ami de l'humanité. Ses droits à ce titre peuvent se résumer en deux lignes il considéra les esclaves comme des hommes, et les affranchit; puis il plaça leur vie sous l'égide de lois bienfaisantes qui les protégeaient contre la cruauté des maitres. Claude ne s'arrêta pas là: après avoir comblé de faveurs les Gaulois ses compatriotes, il octroya le droit de cité à la plupart d'entre eux; plus tard, il fit rendre, malgré l'opposition furieuse de l'aristocratie romaine, un sénatus-consulte qui permettait aux habitants de la Gaule Chevelue de siéger au sénat et d'être nommés à toutes les dignités de l'empire. Les patriciens ne pardonnèrent jamais à Claude d'avoir fait des sujets de la Gaule les égaux des vieux Romains, et voilà le secret de toutes les haines, de toutes les calomnies qui se sont attachées à sa mémoire. En effet, ce sénatus-consulte de l'empereur était pour la Gaule une conquête immense il la constituait l'égale de Rome, en l'appelant à partager avec celle-ci le commandement des armées, la rédaction des lois, l'administration civile, l'enseignement des sciences et des lettres; et les Gaulois allaient pouvoir, comme les Romains, user du droit de faire ou de défaire les empereurs. C'est ce qui arriva pour le successeur même de Claude, pour Néron. Les peuples avaient salué de leurs

acclamations l'avènement du jeune prince qui débutait à l'empire en prononçant cette parole touchante, au moment de signer un arrêt de mort : « Je voudrais ne savoir pas écrire. » Mais l'illusion se dissipa vite: la nature maudite de Néron ne tarda pas à se révéler, et Rome eut alors à s'épouvanter du nouveau maître qu'elle s'était choisi. Néron dépassa bientôt les Tibère et les Caligula dans la sauvagerie du crime. Son règne, auquel les anathèmes de la poésie et de l'histoire ont attaché le stigmate de l'opprobre, ne fut qu'une longue forfaiture, et l'on se hâte d'y chercher la date où la patience des hommes, poussée à bout, se vengea de ce monstre en le forçant de se poignarder lui-même. Mais ce fut de la Gaule que partit le premier coup qui devait le renverser. L'an 68 de l'ère chrétienne, le sénateur séquanais Julius Vindex, propréteur de la Lyonnaise, appela la Gaule à s'insurger contre Néron et proclama empereur le vieux Galba, général des légions d'Espagne. Les Séquanais se levèrent à l'appel de leur compatriote; les autres peuples de l'est de la Gaule, ainsi que ceux du centre et du midi, imitèrent cet exemple, et Julius Vindex eut bientôt cent mille combattants autour de lui. A la nouvelle de cette insurrection, Néron mit à prix la tête de Vindex; le généreux Séquanais répondit en offrant sa propre tête en échange de celle du tyran.

Une seule ville de la Gaule n'avait pas suivi l'impulsion générale : c'était Lyon. Vindex marcha contre cette ville, et bientôt il s'en fût rendu maitre si le lieutenant de l'empereur, Virginius Rufus, qui commandait l'armée du Rhin, n'eût forcé Vindex d'accourir en Séquanie. Virginius Rufus était Romain: mécontent de voir un Gaulois s'immiscer dans les affaires de Rome et se permettre de proclamer un empereur, il entra comme ennemi sur le territoire séquanais, puis marcha rapidement sur Besançon. Cette ville lui ferma ses portes. Vindex était parti en toute hâte de Lyon pour voler au secours des Séquanais, et les deux armées se rencontrèrent sous les murs de Besançon. Avant d'en venir aux mains, Vindex eut une entrevue avec Rufus les deux généraux semblaient tout disposés à se rapprocher, quand un malentendu fatal poussa les combattants des deux armées à se traiter en ennemis. On s'attaqua les Gaulois furent mis en déroute, avec une perte de vingt mille hommes, et Julius Vindex se tua de désespoir. Mais sa mort ne sauva pas Néron. A la nouvelle de l'insurrection gauloise, Rome s'était révoltée. Le sénat, d'une voix unanime, condamna l'empereur à être attaché au poteau d'infamie, puis battu de verges jusqu'à ce que mort s'ensuivit, selon l'ancienne coutume; et Néron se poignarda pour échapper à cet ignominieux châtiment. Galba fut proclamé empereur. Il donna les droits de citoyens romains à tous les peuples gaulois qui s'étaient prononcés en faveur de Vindex, il les dégreva d'une partie des impôts et détacha du pays des Lingons (Langres) des morceaux de leur territoire pour en gratifier les Séquanais et les Éduens. Le nouvel empereur, reconnaissant envers les habitants de Besançon du dévouement qu'ils avaient montré à Julius Vindex, érigea leur ville en municipe (69 après Jésus-Christ).

Les événements se suivaient de près. L'insurrection de Julius Vindex datait à peine d'un an, que le Batave Civilis, homme d'une haute intelligence, levait à son tour l'étendard de la révolte. Civilis était devenu citoyen romain; mais, tombé dans la disgrace, ainsi que son frère, qu'il vit périr au milieu des supplices, il avait juré

de ne pas couper sa rouge chevelure avant de s'être vengé. Alors il conçut le projet d'arracher la Gaule aux Romains, et d'en former un empire où l'on rétablirait l'ancienne indépendance, les anciennes fédérations, l'ancien culte : « Les provinces, disait-il, n'ont été vaincues que par les provinces; notre pays n'a succombé que sous ses propres forces; qu'il ne fasse aujourd'hui qu'un seul corps, et le triomphe est certain. » Le nord et l'est s'étant soulevés à ces paroles, Civilis attaque les Romains, qu'il bat dans une première rencontre, et, bientôt après, la défection de quelques légions lui procure une seconde victoire. Rome s'inquiète; elle envoie Cérialis avec une armée pour réparer cette double défaite et pour forcer la Gaule à rentrer dans la soumission. Le rôle que joua la Séquanie dans ce grand événement ne doit pas être passé sous silence. La Séquanie, demeurée fidèle à l'empire, n'avait pas répondu à l'appel de Civilis, tandis que les Lingons, jusqu'alors alliés de Rome, s'étaient mêlés au mouvement et avaient pris les armes, sur l'instigation de Julius Sabinus leur compatriote. Mais l'ambitieux Sabinus, qui se croyait par sa naissance des droits au trône des Césars, résolut de faire tourner la révolte à son profit, et il prit le titre d'empereur. Il lui fallait maintenant soutenir ses prétentions: or Sabinus était un homme sans talents, sans prévoyance, manquant de toutes les qualités nécessaires à ceux qui veulent jouer aux révolutions. Il ne tarda pas à prouver que l'insuccès devait l'arrêter dès les premiers pas; car, sans avoir fait de préparatifs, « il mène à la hâte et confusément, dit le grand historien Tacite, il mène une foule de gens de son pays contre les Séquanais, alliés des Romains. Le combat est accepté ; la fortune se déclare pour les plus braves, et les Lingons sont mis en déroute. » Sabinus prit la fuite. On dira tout à l'heure ce qu'il devint. « La victoire des Séquanais, continue Tacite, ralentit la guerre. Les Gaulois commencent à réfléchir de sang-froid, se rappellent leurs engagements et leurs traités. Les Rèmes, donnant l'exemple, indiquent une assemblée des états généraux, afin de délibérer si l'on se décidera pour la paix ou pour la liberté. » L'assemblée de ces états généraux se tint à Reims : la majorité ayant décidé qu'on ne se séparerait pas de l'empire romain, Civilis comprit que sa cause était perdue, et il rentra dans la Batavie (Hollande), son île natale. Cérialis l'y poursuivit. Les passages, rendus impraticables par les pluies et les marais, ne permirent pas à Cérialis d'obtenir des succès décisifs: il y eut même un instant où le général romain se trouvait dans une position critique; lorsque Civilis, craignant d'être abandonné de ses Bataves, qui lui reprochaient de sacrifier à son ambition personnelle le repos, la fortune, la vie des citoyens, prit le parti de conclure la paix. On lui fit des conditions avantageuses, et il rentra dans ses foyers, où il mourut. Quant à Sabinus, on ne l'avait plus revu depuis sa triste campagne contre les Séquanais. Songeant au châtiment terrible que sa rébellion venait d'assumer sur lui, il avait craint d'être livré aux Romains, et, pour leur échapper, il s'était enseveli dans un souterrain secret. L'histoire a rendu célèbre cette retraite, où Sabinus vécut neuf ans, ignoré des dieux et des hommes, mais ayant, pour se consoler, l'affection ingénieuse et touchante d'Éponine son épouse, de cette noble et vertueuse Éponine que l'on vit, par un sentiment d'abnégation sublime, se consacrer sans relâche, durant ces neuf années, à l'infortune de son mari, et devenir sa compagne dans ce tombeau vivant où l'amour la rendit deux fois mère. L'histoire a dit aussi que Sa

binus, se hasardant un jour à quitter sa prison souterraine, fut reconnu, fut conduit à Rome avec sa femme et ses deux enfants, et jugé par l'empereur Vespasien. Eponine s'étant prosternée devant l'empereur avec ses enfants : « Vois, César, lui ditelle, je les ai engendrés et nourris dans les tombeaux pour que nous fussions plus de suppliants à t'implorer. » Vespasien ne se laissa pas toucher; il se sentit le triste courage d'ordonner le supplice de Sabinus. « Fais-moi donc mourir aussi ! s'écria l'héroïque Éponine en se relevant fièrement; car j'aime mieux les ténèbres de mon antre que la lumière du jour en face de Vespasien empereur. » Et elle suivit son époux au supplice. « On ne vit, dit Plutarque, on ne vit jamais rien de si déplorable, ni qui fit tant d'horreur aux dieux et aux hommes, que cet acte de cruauté. » C'était bien lâche en effet.

Vespasien eut pour successeur son fils Domitien. Celui-ci ne serait guère qu'un nom dans la série des empereurs romains s'il ne s'était rendu célèbre par un acte incroyable en l'an 92 de l'ère chrétienne, il ordonna par un édit de faire arracher toutes les vignes de la Gaule Chevelue, et l'ordre fut impitoyablement exécuté. A quelle cause pouvait-on attribuer cette funeste mesure? Une disette l'avait provoquée Domitien s'imaginait apparemment que les vignobles, en prenant trop d'extension, nuisaient aux céréales. L'édit impérial portait un coup sensible aux Séquanais; car, à cette époque, le commerce des vins était, avec le commerce des salaisons de porc, la principale source de leurs richesses. La vigne, transplantée en Séquanie dès les premières années de l'ère chrétienne, y avait bien réussi, grâce à l'heureuse complexion du sol, et Pline nous apprend que certains des vins de cette province étaient renommés dans l'empire. La réputation des vignobles de notre FrancheComté date de loin, comme on le voit.

CHAPITRE QUATRIÈME.

Prospérité de Besançon.

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Aqueduc d'ArSituation matérielle

Les cinq bons empereurs. Élien-Adrien en Séquanie; origine de Pontarlier. cier; autres aquedues romains en Séquanie. et morale de la Séquanie. - Avénement du christianisme. Ses commencements en Gaule. — L'Évangile apporté en Séquanie; saints Ferréol et Ferjeux. Premières invasions des Barbares. Invasions en Séquanie. opérés en Séquanie sous les empereurs Dioclétien et Constantin. bares en Séquanie. - Arrivée de Julien dans la Gaule. - Victoires de Julien.-Julien à Besançon. -La Porte-Noire. — Grande invasion des Barbares en 407. — Leurs ravages en Séquanie. Vandales; saint Antide et saint Vallier.

Décadence de l'empire romain. —
Les Bagaudes. Changements
Nouvelles invasions des Bar-

Prise de Rome par les Goths.

Les

En l'année 96, Domitien périssait assassiné, et le vertueux Nerva, son successeur, était en Séquanie lorsqu'il apprit son élévation à l'empire. Nerva, vieillard vénéré des Romains, adopta Trajan, qui fut le second de ces hommes admirables que l'histoire a nommés les cinq bons empereurs. Trajan, grand capitaine, porta jusqu'à ses dernières limites la puissance territoriale de Rome. Il eut pour héritier cet ÉlienAdrien dont le règne fut l'apogée des lettres et des arts. A l'empereur artiste et poëte succédèrent Pie-Antonin et Marc-Aurèle, princes éminents qui firent asseoir la philosophie sur le trône. « Jamais, dit Henri Martin, jamais on n'avait vu à la tête des nations une succession d'hommes comparables à ceux qui gouvernèrent l'empire romain depuis Nerva jusqu'à Marc-Aurèle : les rêves les plus brillants des écoles philosophiques étaient réalisés; le sceptre appartenait aux plus dignes, qui se le transmettaient de main en main par voie d'adoption. La modération n'ôtait rien à la force d'un gouvernement aimé au dedans, respecté au dehors. La gloire militaire était intacte; la gloire des lettres se soutenait encore; les arts resplendissaient d'un éclat plus vif que jamais; la douceur et l'équité des princes se reflétaient chez leurs officiers, qui craignaient d'abuser d'un pouvoir soumis à une constante surveillance: et le monde antique semblait avoir retrouvé dans sa vieillesse ce fabuleux âge d'or que ses poëtes cherchaient, auprès de son berceau, dans les ténèbres du passé. »

Le nom des cinq bons empereurs fut béni de la Séquanie avec eux elle avait vu fleurir l'agriculture et l'industrie, les lettres et les arts; avec eux elle atteignit un degré de splendeur et de prospérité qu'elle ne retrouva plus sous la domination romaine. L'empereur Élien-Adrien visita la Séquanie vers l'année 120. D'après une tradition constante, ce fut à l'époque de ce voyage qu'il fit construire le pont de pierre de Pontarlier, et si l'on en croit l'historien Gollut, l'empereur Élien-Adrien aurait laissé son nom à cette ville; seulement, au lieu de l'appeler Pontarlier, on devrait l'appeler Pont à Élie. Le savant Dunod de Charnage dit, à ce propos, « que les armoiries de Pontarlier paraissent tirées d'un pont qu'on rapportait avoir été bâti par l'empereur Élien-Adrien, dont on croit que cette ville a aussi tiré son nom. » Bien qu'il faille se méfier de toutes ces origines que l'amour-propre national fait remonter soit à des événements mémorables, soit à des personnages illustres, l'opinion rela

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