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dans tout? est-ce qu'il apporte aux sens des émanations qui mettent, comme ici, sous le charme; aux poumons, l'atmosphère qui fortifie; au front, les brises qui rafraîchissent; à l'oreille, le murmure de l'air et le chant de l'oiseau? est-ce qu'il a des paysages qui fascinent le regard, des cascades qui roulent leur fracas de rocher en rocher, des lacs qui scintillent, des prairies qui enivrent de parfums, des reflets prismatiques qui changent à l'infini, des horizons qui se dessinent purs et bleus sur l'azur du ciel? Non, la parole écrite n'a rien de tout cela.

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Et maintenant, disons-le; il en est de certains pays comme de certains hommes ils ont leur mauvaise étoile. Notre Franche-Comté est du nombre de ces pays-là qu'est-ce, en effet, que la Franche-Comté? qui la connaît? qui en parle? A l'exception de quelque touriste qui se la rappellera par hasard, ou de quelque autre étranger qui consignera, en passant, le nom du Jura sur ses tablettes, on ignore si elle existe. Cette indifférence se comprendrait si elle puisait sa source dans la nullité des titres de la Franche-Comté à la curiosité du voyageur, aux observations du philosophe, aux études de l'écrivain; mais il n'en est rien les titres de cette vieille province sont, au contraire, des plus beaux et des plus légitimes; ils ont pour eux la triple consécration du temps, de l'histoire et de cette beauté pittoresque dont la nature empreint certaines de ses créations. D'où provient donc l'indifférence que l'on affecte à l'égard de cette contrée? Eh bien, c'est qu'elle a pour voisine la Suisse. Le poëte tragique allemand Schiller fait dire quelque part à la reine Élisabeth d'Angleterre Chacun de mes tourments s'appelle Marie Stuart. » La Franche-Comté pourrait dire « Chacun de mes désenchantements s'appelle Suisse; › car c'est la Suisse qui lui porte malheur, c'est elle qui l'empêche d'être connue et appréciée comme elle le mérite, c'est elle qui est cause de l'injuste oubli où elle végète. La Suisse est à la mode : depuis longtemps elle vit de la fabuleuse réputation que lui ont faite les livres et les récits, la peinture et la poésie, les chansons et la musique; le vent de popularité qui souffle sur elle lui attire chaque jour sa caravane de pèlerins avides de la voir de près, de respirer son air, de vivre dans ses montagnes. Il en résulte que les touristes, attirés comme ils le sont par la célébrité de cette contrée, se montrent insensibles à tout ce qui n'est pas elle; ils lui dévouent leurs pensées, leurs émotions, les pages de leur album, la faveur de leurs tablettes; ils en font l'idole exclusive de leur culte, et quand ils la quittent, ils n'ont plus d'autre encens à brûler. Oh! certes, personne ne serait assez vandale pour songer un moment à dépoétiser cette belle et magnifique Helvétie; il faut reconnaître que la nature a posé sur le front de cette reine superbe la plus resplendissante couronne qu'on puisse voir ces majestueuses Alpes, qui sont à elles seules toute une épopée; ce gigantesque Mont-Blanc, dont la hauteur impose comme l'infini, et dont les neiges se dessinent comme des caractères célestes sur les plans de l'espace; le Saint-Bernard, le Gothard, l'Underwall, avec le craquement de leurs avalanches qui roulent d'abîme en abime, et leurs pyramides de glaces qui s'en

tassent là depuis des milliers d'hivers; le Valais, avec ses montagnes où ne règne plus qu'un vaste silence, le silence de la mort; le Pont-du-Diable, avec son arcade naturelle suspendue sur un gouffre; Staubach, avec sa cascade qui tombe de neuf cents pieds; Aletsch, l'Aar, le Lauteraar, avec leurs glaciers qui dominent comme des géants; Uri, avec ses hautes cimes et ses vallées profondes; Glaris, avec ses pittoresques vallons qui s'élèvent en amphithéâtre; Genève, avec son lac bordé de charmantes collines, et sa campagne visitée par le Rhône; Neufchâtel, avec ses coteaux et ses prairies d'une verdure ravissante; Appenzell, avec ses frais paysages, ses eaux blondes et limpides, ses sources qui jaillissent sous les pas; Grindelwald, avec son mélange de fleurs et de ronces, de moissons ondoyantes et de landes stériles, de ruisseaux et de torrents, de fontaines et de lacs : tous ces contrastes, tous ces tableaux, tous ces sublimes caprices de la nature, jetés, disséminés par la main de Dieu sur un même sol, suffisent et au delà pour faire de la contrée qui les possède la terre promise du merveilleux, et l'on s'agenouille devant tant de splendeurs. Mais n'y a-t-il pas de l'injustice, de la part des touristes français, à dédaigner des magnificences qui approchent de celles-là et qui se trouvent dans leur pays? Là, sur les confins de la Suisse, il existe, pour parler comme notre compatriote Xavier Marmier, une contrée riante et pittoresque, riche en souvenirs, féconde en grands et beaux tableaux; une contrée qui a son histoire à elle, ses traditions, son caractère poétique, et qui, du haut de ses montagnes sauvages, regarde sans envie les montagnes vantées de la Suisse et les cimes hautaines des Alpes. Cette contrée s'appelle FRANCHE-COMTÉ'. On y retrouve la Suisse avec sa nature qui change à chaque pas, se transfigure sous mille aspects, se joue avec la fantasmagorie des contrastes; avec ses tableaux tour à tour gracieux et sévères, riants et sombres, frais et jolis comme le printemps, désolés et tristes comme l'hiver; avec ses paysages charmants, ses collines luxuriantes, ses vallées ombreuses, ses prairies marquetées de fleurs; avec ses lacs romantiques, ses torrents impétueux, ses cascades écumeuses; on la retrouve avec ses rochers âpres et sauvages qui pendent en ruines au-dessus de la tête,» comme dit Jean-Jacques; avec ses pies géants, qui se perdent dans l'estompe des nuages; ses cimes désertes, où le silence de la nature est si profond, et la marche du temps si lente, que la nature semble y avoir trouvé sa tombe, et le temps y avoir égaré sa faux; avec ses monts sourcilleux, autour desquels les orages s'amoncellent, roulent et grondent; avec ses montagnes couvertes d'un vaste linceul de neige, et qui rappellent combien de générations humaines ces inébranlables colosses ont vu passer et se renouveler à leur pied, tandis qu'au milieu de la destruction de toutes choses, eux seuls restaient toujours debout, toujours les mêmes.

Oui, les Franc-Comtois ont droit de le dire : après la Suisse, il n'est pas de contrée plus belle à visiter que la leur, sans en excepter l'Écosse elle-même, qui elle aussi jouit d'une renommée proverbiale. Elle la mérite sans doute;

▲ Souvenirs de voyages, page 67.

elle la doit au caractère pittoresque de ses montagnes, de ses lacs, de ses vallées, de ses paysages, en un mot à cet ensemble de beautés naturelles qui la poétisent. Mais si l'Écosse n'avait pas eu du bonheur, si la plume n'avait fait pour elle autant et peut-être plus que la nature, elle partagerait le sort de la Franche-Comté on n'en parlerait pas. La meilleure preuve qu'on en puisse donner se trouve dans la ressemblance frappante qui existe entre ces deux contrées. Elles sont l'une et l'autre belles, accidentées, pittoresques; elles ont l'une et l'autre ce que recherchent l'artiste et le voyageur :

Si l'Écosse est fière de ses prairies, de ses vallons, de ses collines, de ses forêts, de la variété de ses aspects, la Franche-Comté ne lui cède rien sous ce rapport.

Si l'Écosse a des cascades que l'on admire, des torrents qui attirent, des lacs aux eaux bleues qui scintillent, des grottes aux pétrifications étranges que l'on vient voir de loin, il y a tout à travers la Franche-Comté, des lacs, des torrents, des cascades et des grottes que la Suisse envierait.

Si l'Écosse étonne par quelqu'une de ces bizarreries familières à la nature, par quelqu'un de ces tableaux étalant d'un côté des fleurs odoriférantes et des fruits vermeils, la richesse et l'animation, de l'autre des fleurs étiolées et des arbustes décrépits, l'allanguissement et la ruine; ces bizarreries-là, ces tableauxlà se retrouvent dans la Franche-Comté.

Si l'Écosse montre avec orgueil ses montagnes majestueuses, cachant leur tête dans la brume des cieux et déroulant à leur pied des prairies éclatantes de verdure, les montagnes de la Franche-Comté offrent le même spectacle.

Jusqu'ici la ressemblance des deux pays est assez parfaite pour leur donner des droits égaux à la curiosité du touriste. En poursuivant le parallèle, on retrouve entre l'Écosse et la Franche-Comté, plus qu'un air de famille, plus que des caractères de similitude, mais de l'identité dans de certains phénomènes, dans quelques noms propres, jusque dans la constitution physique des habitants, jusque dans leurs croyances. Ainsi, le sol de l'Écosse offre en quelques endroits cette particularité, que les plus beaux herbages se trouvent dans les montagnes, et les terrains secs, dans les plaines; en Franche-Comté, ce curieux phénomène se reproduit le même.

En Écosse, aux environs des hautes cimes presque toujours couvertes de glaces, la température est âpre et froide pendant huit mois de l'année; en Franche-Comté, les vents qui soufflent sur les hauteurs sont si impétueux, et l'air si violent, que l'habitant des chalets y peut à peine passer quatre mois et se voit forcé, dès les premiers jours de l'automne, de redescendre avec ses troupeaux dans les régions inférieures.

En Écosse, deux des montagnes les plus connues s'appellent le Lomond et le Jura est-ce la nature, est-ce le hasard qui l'a voulu? mais il y a la FrancheComté du Lomond et du Jura, comme l'Écosse du Jura et du Lomond.

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Que si l'on passe des choses aux hommes, et que l'on compare les deux populations au point de vue physique et moral, l'analogie se continue : Le montagnard franc-comtois présente, comme l'higlander écossais, un angle

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facial bien développé, une taille plutôt élevée que moyenne, plutôt vigoureuse que correcte, des mains larges et puissantes, le bras nerveux des athlètes, le cou musculeux et court, les épaules riches et carrées, et l'une un peu plus haute que l'autre, signe distinctif des races militaires, d'après la remarque de Chateaubriand. Pour la ressemblance morale, elle se retrouve, chez les uns comme chez les autres, dans l'expression d'une physionomie honnête, dans des habitudes invariables et simples, dans des principes d'économie et d'ordre assez communément poussés trop loin; dans une patience que rien ne rebute, un génie persévérant, un courage à toute épreuve, un caractère empruntant quelque chose de l'àpreté de leurs montagnes; dans des convictions fortes, un profond attachement au sol natal, un grand respect pour la religion et la famille, une haute opinion de la dignité humaine. On retrouve encore, chez ceux-ci comme chez ceux-là, des traditions populaires qui semblent puisées aux mêmes sources, des chroniques qui rappellent les mêmes croyances, des faits et gestes de personnages ou fabuleux ou historiques, qui ont souvent une conformité remarquable.

Ainsi, les voilà, cette Écosse et cette Franche-Comté, qui toutes deux paraissent avoir été jetées dans le même moule, ou façonnées par la même main; les voilà possédant au même degré ce genre de richesses et de beautés qui sont la fortune des touristes; toutes deux, les voilà magnifiquement traitées par la nature, et disposant, comme les fiancées de haut parage, d'une de ces dots princières qui attirent la foule des prétendants. Eh bien, puisqu'elles sont également avenantes et riches et belles, pourquoi cet empressement des adorateurs à ne courtiser que l'une, tandis qu'ils ne daignent pas regarder l'autre seulement? pourquoi tout à celle-ci et rien à celle-là? Pourquoi? Charles Nodier l'a dit : « L'immense avantage des Écossais sur les Franc-Comtois, c'est qu'ils ont produit un Macpherson d'abord, et depuis, un Walter-Scott, pour consacrer à la dernière postérité leurs souvenirs nationaux. L'art enchanteur de ces magiciens a su présenter l'heureuse Écosse sous des formes si séduisantes et la revêtir d'habits si féeriques, il a su la rendre si poétique et si merveilleuse, que l'on a fini par s'éprendre d'amour pour elle, et que chacun a voulu lui porter ses hommages. Au lieu que l'autre, la pauvre délaissée, elle est restée sans magicien jusqu'à présent; et c'est ce qui l'a condamnée à vivre ignorée comme une recluse, dédaignée comme une vieille fille.

Mais qu'à son tour elle soit assez heureuse pour avoir quelque jour son magicien, mais qu'il lui vienne un Macpherson ou un Walter-Scott, et alors on la verra prendre une éclatante revanche, alors on la connaîtra tout entière : elle ne se contentera plus de n'être que pittoresque, de n'avoir que des grottes ou des cascades pour le curieux, des vallons et des lacs pour le rêveur, des sites ou des paysages pour l'artiste, de n'émerveiller enfin que par le kaleidoscope de ses prairies et de ses forêts, de ses vallées et de ses montagnes; elle voudra fixer les regards de la science et l'attention de l'histoire, et les forcer, comme la peinture et la poésie, à s'arrêter chez elle pour en emporter une ample provision d'observations et de faits: elle sera jalouse d'offrir au naturaliste l'écrin

de ses richesses indigènes; au botaniste, l'étude de ses fleurs et de ses plantes; au géologue, le mystère de ses révolutions terrestres; à l'amateur des ruines, l'aspect de ses vieux débris; à l'archéologue, le trésor de ses antiquités; à l'historien, le tableau de ses événements et de ses commotions politiques; elle voudra enfin que si l'artiste et le poëte disent, en la regardant : Elle est belle, le savant et l'écrivain ajoutent, en l'interrogeant: Elle est riche.

LE DÉPARTEMENT DE LA HAUTE-SAONE.

Avant la Révolution de 1789, la Franche-Comté géographique se partageait en quatre grands bailliages, lesquels se subdivisaient en quatorze bailliages secondaires, et les quatre principales villes de la province étaient Besançon, Dôle, Salins et Gray. Besançon portait, dans ses armes, un aigle éployé de sable et lampassé de gueules', soutenant en chacune de ses serres une colonne de gueules mise en pal, le tout sur champ d'or; avec cette devise: Deo et Cæsari FIDELIS PERPETUò. Dôle portait, en chef, d'azur billeté d'or, au lion naissant d'or, armé et lampassé de gueules, et en pointe, de gueules au soleil rayonnant d'or; avec la devise: JUSTITIA ET ARMIS, DOLA. Salins portait d'or à la bande de queules; et Gray, d'azur billeté d'or, au lion naissant d'or, armé et lampassé de gueules, en chef; de gueules, chargé de trois flammes d'or posées deux et une, en pointe; avec cette devise: EX TRIPlici cinere novus IGNIS. Quant à la FrancheComté, ses armes étaient le grand lion d'or de Bourgogne, armé et lampassé de gueules, sur champ d'azur parsemé de billettes d'or sans nombre.

Lorsqu'en 1790 la France fut divisée en départements, la Franche-Comté forma les trois départements du Doubs, du Jura et de la Haute-Saône, le premier avec Besançon pour chef-lieu, le second avec Lons-le-Saulnier, et le troisième avec Vesoul. Lons-le-Saulnier portait, coupé en chef et parti à droite, de gueules à la bande d'or, et à gauche, au cornet d'argent lié de gueules; en pointe, d'argent simple. Les armes de Vesoul portaient, en chef, d'azur billeté d'or, au lion naissant d'or, armé et lampassé de gueules; en pointe, de gueules au croissant d'argent. Il semble que, dans la nouvelle organisation territoriale de la France, les villes de Gray et de Dôle eussent dû, par leur importance et par le privilége de leur vieille renommée historique, être désignées pour les chefs-lieux de leur département respectif; mais les considérations topographiques l'emportèrent la position plus centrale de Lons-le-Saulnier pour le Jura et de Vesoul pour la Haute-Saône détermina le choix qu'on fit en leur faveur. Le département de la Haute-Saône, formé de la partie septentrionale de l'ancienne province de Franche-Comté, tire son nom de sa position sur le cours supérieur de la Saône; il est divisé en trois arrondissements qui renferment 581 communes, et l'on évalue sa surface à 515,000 hectares (206 lieues carrées),

↑ Le gueules est la couleur rouge, et le sable la couleur noire.

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