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çonnait la présence des mineurs. Il se livra même, dans ces chemins creusés sous terre, plusieurs combats dont quelques-uns cachèrent d'admirables actes de courage tous ces actes cependant ne restèrent pas enfouis au fond des souterrains où ils s'accomplirent. L'histoire a conservé le trait du brave caporal Donneuf, qui, dans l'attaque d'un chemin couvert, se défendit seul contre de nombreux assaillants. Son arme s'étant brisée dans la lutte, il saisit vigoureusement deux de ses adversaires et s'en fit un bouclier contre les autres. En cet état, l'intrépide caporal reçut plusieurs blessures à la tête et sur les bras; mais il ne cessa de résister avec un courage opiniâtre, et il tint ferme jusqu'au moment où des camarades vinrent le dégager. Ils le rapportèrent à la ville. La gravité des blessures rendit impuissant l'art des chirurgiens: Donneuf mourut quelques jours après.

Les mineurs n'avançaient que lentement dans leur besogne; ils étaient obligés, pour pouvoir travailler, de se mettre à couvert sous des galeries que l'ingénieur français avait fait établir: précaution devenue indispensable, dit Boyvin, « car les bourgeois étoient tout le long de la journée aux aguets sur les bastions, affustés avec leurs mousquets et longues arquebuses de chasse et de cible, dont plusieurs tenoient deux ou trois prêtes pour changer; et ne voyoient paroître une seule tête, sans qu'ils ne la salüassent à l'instant de cinq ou six balles. Entre ceux qu'on y rencontroit presque à toutes les heures de la journée, étoit l'advocat Michoutey il étoit ordinairement en quelque coin du boulevard, la tête couverte d'un pot à l'hongroise et à l'épreuve, qu'il avoit gaigné sur l'ennemy en une sortie, et, l'arquebuse en jouë, il ne perdoit aucune commodité de lâcher son coup si à propos, que l'on tient pour assuré qu'il en a fait mourir plus de soixante. » Enfin, le 10 de juillet, deux mines se trouvèrent achevées, serrées et amenées sous la contrescarpe devant le boulevard du Vieux-Château la première manqua; la seconde fit sauter en l'air, avec un épouvantable fracas, une partie du chemin couvert et des ouvrages voisins, et une vingtaine d'hommes, au nombre desquels était le brave capitaine de Grammont. Le chemin couvert fut attaqué à l'instant; mais les bourgeois le défendirent avec tant d'opiniâtreté, que les assiégeants ne purent s'y loger. Le combat dura jusqu'à la nuit. Le capitaine de Grammont, que l'on avait retiré, tout meurtri et brisé, des décombres de la mine, mourut après dix-neuf jours de cruelles souffrances. Cet intrépide et brillant officier fut profondément regretté.

Pendant les jours qui suivirent, les assiégés eurent à soutenir de fréquents assauts: l'armée royale venait d'être renforcée par les milices bourgeoises de la Bresse, lesquelles toutefois n'étaient pas arrivées au camp français sans avoir été vivement inquiétées par le capitaine Lacuzon. Le prince de Condé ne laissait aux Dolois ni trève ni répit : les lettres du cardinal de Richelieu le pressaient de terminer ce maudit siége, et le prince multipliait les attaques; mais il le faisait sans grand succès. Il avait tant d'impatience d'en finir, que lorsque les siens remportaient le moindre avantage, il hasardait aussitôt les sommations. Sa conduite devint si ridicule, que les Dolois le sommèrent lui-même par raillerie de lever le siége. On lui fit dire que s'il voulait se retirer, il lui serait accordé six jours francs, afin qu'il pût s'en aller en sûreté avec son armée; que s'il rejetait cette offre, il pourrait bien s'en trouver mal.--Et moi, s'écria le prince en colère, je ne recevrai point ceux

de Dôle à composition, à moins qu'ils ne me le viennent demander la corde au cou.» Les assiégés poussèrent la raillerie plus loin: ils allèrent jusqu'à faire jeter dans le camp français des lettres où ils menaçaient le prince de l'arrêter devant les murs de Dôle aussi longtemps qu'il était resté dans le ventre de sa mère, et de le forcer ensuite à lever le siége.

Condé ne suspendait plus les attaques; de leur côté, les assiégés faisaient tous les jours des sorties, et leur hardiesse s'était accrue à tel point, « qu'on a vu, dit Boyvin, des garçonnets de treize à quatorze ans, sortis de la ville pour couper de l'herbe, rapporter des dépouilles ennemies, et, se joignant deux ou trois contre un, amener prisonniers des soldats robustes et hommes faits, qu'ils avoient désarinés. Le 29 juillet, une nouvelle mine partit, mais sans effet; le 2 août suivant, une seconde mine, placée sous le bastion du Vieux-Château, fut éventée. Puis, dans la nuit du 7 au 8 août, survint un orage épouvantable, qui fit crouler la partie supérieure du clocher de Notre-Dame, déjà fortement endommagé par les boulets et les bombes. Le vent soufilait si terrible, qu'il renversa les tentes, baraques et pavillons des Français, et ceux-ci couraient de tous côtés pour chercher un abri : ils ne pouvaient plus rester au camp, dont les ouvrages s'étaient remplis d'eau. Les Dolois eurent à souffrir aussi de cet orage, mais du moins il leur donna quelques jours de répit ces braves gens en avaient grandement besoin, épuisés comme ils devaient l'être, et par les fatigues d'un siége qui durait depuis plus de deux mois, et par la peste qui régnait dans la ville, et par les privations qui commençaient à se faire sentir. En cette position, les magistrats s'adressèrent au marquis de Conflans, pour le presser de venir au secours de la place. La cavalerie du marquis de Conflans se réunit aux troupes du duc Charles IV de Lorraine; et les deux corps, formant ensemble une armée de seize mille hommes, marchèrent sur Dôle. Le prince de Condé avait été prévenu, depuis plusieurs jours, de l'arrivée de ces renforts; aussi faisait-il déployer la plus grande activité pour accélérer la besogne des mineurs mais les Français étaient encore peu expérimentés dans cet art de la sape et de la mine, et les Dolois empêchaient, par tous les moyens en leur pouvoir, l'avancement des travaux. Cependant, le 13 août, sur les six heures du soir, on mit le feu à une nouvelle mine: elle éclata d'une telle violence, que des morceaux de rocher et de maçonnerie furent lancés à plus de cinquante pas au delà du Doubs; mais elle ne put faire sauter les pans de la muraille, laquelle avait cent cinquante pieds de hauteur et plus de dix pieds d'épaisseur, avec de puissants contre-forts. La muraille, soulevée, coula le long du terrain sans se désunir et forma comme une espèce de nouveau mur dans le fossé. Pendant ce temps, les troupes du duc de Lorraine s'établissaient à peu de distance du camp français; dans la matinée du 14 août, elles parurent en bataille sur les hauteurs entre Authume et Rochefort. Le duc de Lorraine voulait attaquer immédiatement; mais il consentit à différer jusqu'au lendemain, sur les représentations qu'on lui fit que son infanterie n'était pas encore arrivée, et que l'armée royale se disposait à la retraite. En effet, le prince de Condé, pressé par Richelieu de lever le siége de Dôle et d'envoyer à Paris l'élite de ses régiments, se décidait, non sans regret et sans dépit, à obéir: il fit d'abord partir son artillerie et ses bagages; puis, dans la soirée même du 14 août, le gros

de l'armée se mit en route à dix heures. Le quartier général suivit de près; et le lendemain, jour de l'Assomption, le duc de Lorraine entrait à Dôle, au milieu des cris de joie de la population.

Ainsi finit ce siége immortel; il avait duré douze semaines, pendant lesquelles l'héroïque constance des Dolois ne s'était pas démentie un instant : ils avaient reçu dans leurs murs dix mille boulets et cinq cents bombes; ils avaient résisté à sept mines; ils avaient perdu sept cents hommes mais les Français laissaient au pied des remparts cinq mille cadavres, et parmi ces morts on comptait un grand nombre d'officiers de distinction.

L'échec du prince de Condé contraria vivement Richelieu et réagit d'une manière fâcheuse sur ses projets militaires de l'année 1636. Le roi d'Espagne, émerveillé de la conduite des Dolois, leur témoigna son admiration en les félicitant lui-même de leur magnifique résistance, en mêlant ses éloges aux acclamations qui s'élevaient de toutes parts en leur honneur; et le parlement atteignit dès lors l'apogée de son éclat et de sa fortune il fut proclamé le sauveur du pays. Ce titre, le seul qui manquât à sa gloire, lui conquit avec l'ascendant moral la suprématie du pouvoir. Nous avons dit que l'un des membres les plus illustres de ce parlement, Jean Boyvin, avait écrit pour la postérité l'histoire du siége de Dôle : c'est dans ce livre qu'il faut admirer le courage, l'héroïsme, le dévouement avec lesquels se défendit cette glorieuse cité; mais, en lisant les pages patriotiques de Boyvin, on éprouve un regret, celui de savoir qu'au moment où la Franche-Comté tout entière applaudissait au triomphe des Dolois, la voix d'un célèbre enfant du pays manquàt à ces acclamations unanimes. C'était la voix du poëte Mairet, l'auteur de Sophonisbe, le prédécesseur de Corneille dans la carrière dramatique, et l'un des hommes à qui revient l'immortel honneur d'avoir un des premiers révélé le caractère de la véritable tragédie. Mais, à l'époque où la Franche-Comté résistait aux armes de Richelieu, l'auteur de Sophonisbe se dévouait en courtisan à la fortune du cardinal; et cependant, combien ne serait-il pas plus glorieux aujourd'hui pour le poëte Mairet, d'avoir écrit des strophes en l'honneur de ses compatriotes luttant pour leur indépendance, que d'avoir fait des sonnets à la louange de l'homme qui voulait les asservir!

Campagne de 1637.

Chapuis.

CHAPITRE SIXIÈME.

Siége et sac de Lons-le-Saulnier.

Siége de Saint-Amour. La comtesse de Saint-Amour. - Le docteur Siége et capitulation de Bletterans. Bernard de Saxe-Weymar; sa conduite dans le bailliage d'Amont. — Campagne de 1658. — Destruction de Poligny. Prise de divers châteaux. Charles Dusillet. Le marquis de Villeroi devant Dôle. Destruction de Jonvelle et de Champlitte. — Famine en Comté. nard de Weymar dans le Jura. - Résistance de Morteau.

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Campagne de 1639. — BerSiége de Pontarlier. Belle défense des habitants. Violation de la capitulation. — Prise de Nozeroy et du fort de Joux. Invasion des Suédois dans la montagne. Les corps-francs. Terreur et haine du nom suédois. — Vaste incendie. Mort de Weymar. Don Sarmiento, gouverneur de la Franche-Comté. D'Arnans et Lacuzon avec leurs corps-francs. — Villeroi sur les bords de l'Ain. - Reprise de Nozeroy. — Campagne de 1640. Mesures rigoureuses de Richelieu. Tentative sur le fort de Sainte-Anne; trahison du baron d'Andelot. — Villeroi et les gåtadours devant Dôle. - Épisode de la tour SaintYlie. Guerre dans la montagne. - Campagne de 1641. Succès du capitaine Lacuzon. - Négociations pour la paix. Siége de Vesoul, de Luxeuil et de Melisey, par Turenne. -Traité avec le cardinal de Mazarin. État de la Franche-Comté. Phrase du marquis de Montglat.

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En cette année 1636 la bravoure des Franc-Comtois se montra partout admirable, mais elle ne fut pas partout heureuse. A l'exception de la petite ville de Champlitte, que le cardinal de Lavalette vint assiéger, et qui résistait déjà depuis trois jours lorsque Galas, général des Impériaux, accourut à sa délivrance, les autres places eurent beaucoup à souffrir des armes françaises. Ainsi, le marquis de Grancey se rendit maître de Lure, dont il abandonna le pillage à ses soldats; et le marquis de Villeroi emporta d'assaut Quingey, qu'il réduisit en cendres. Le sort de ces villes émut la pitié des Franc-Comtois, mais elle n'ébranla pas leur résolution de combattre jusqu'à la dernière extrémité plutôt que de plier sous la main détestée de la France l'année 1637 le prouva. Au mois de mars, le duc de Longueville ouvrit la campagne par le siége de Saint-Amour ce fut un siége où la résistance s'éleva jusqu'aux proportions de l'héroïsme. Saint-Amour, petite place sans garnison, n'avait à opposer aux soldats aguerris de la France que quelques centaines de bourgeois étrangers au métier des armes; mais la ville renfermait, pour exalter les passions et grandir moralement les forces, une femme à l'intelligence virile, au cœur intrépide, et qui se fit l'âme de la défense. La jeune et belle comtesse de Saint-Amour ne s'était pas inquiétée de l'insuffisance de ses moyens d'action; elle n'avait écouté que la voix de l'honneur, qui lui commandait de combattre les envahisseurs de la Franche-Comté, et, donnant elle-même l'exemple du courage, elle se montra prête à braver tous les périls. Les habitants de Saint-Amour, électrisés par la conduite de leur jeune comtesse, sc firent un devoir d'élever leur patriotisme à la hauteur de son dévouement; ils jurèrent de mourir pour la défense de leurs foyers, et durant plusieurs jours ils repoussèrent toutes les attaques des Français. La ville cependant ne pouvait pas espérer de sortir victorieuse de la lutte. Le conseil de guerre, voyant l'impossibilité d'une longue résistance, s'était assemblé pour dé

libérer, et, dans le but d'épargner aux assiégés les malheurs d'une place prise d'assaut, il se prononça pour la capitulation. Mais tel n'était pas l'avis de la comtesse et du peuple de Saint-Amour leur espoir d'être secourus à temps par le duc de Lorraine ou par les milices comtoises les excitait à se défendre jusqu'à l'arrivée des

secours.

Il se passa sur ces entrefaites un trait de dévouement trop chevaleresque pour n'être pas rappelé l'historien est toujours heureux quand il trouve l'occasion de mentionner quelqu'un de ces actes qui conquièrent à leurs auteurs l'éternité de l'admiration, en même temps qu'ils font honneur à l'humanité. Le docteur Chapuis, chirurgien de l'hôpital de Saint-Amour, revenait de Lyon à sa ville natale, au moment où les Français la bloquaient. Chapuis n'avait aucun doute sur l'issue du siége: il voyait bien que Saint-Amour ne résisterait pas longtemps aux troupes aguerries et nombreuses qui l'entouraient; mais il ne voulut pas séparer son sort de celui de ses compatriotes. Du reste, son devoir de chirurgien ne l'appelait-il pas au milieu d'eux? dans aucune circonstance de sa vie il ne pourrait leur être plus utile. Chapuis va donc trouver le duc de Longueville à son quartier; il lui fait connaître son nom et sa profession, et le supplie de vouloir bien lui permettre de rentrer dans ses foyers, afin de porter à ses compatriotes les secours de son art. Le duc de Longueville y consent: «< Allez, dit-il au docteur, et transmettez à vos concitoyens le salutaire avis de se rendre sur-le-champ s'ils veulent s'épargner de grands malheurs.Je ne saurais vous le promettre, répond Chapuis; je ne puis que soigner mes compatriotes et mourir fidèle avec eux. » Le noble docteur tint parole.

La ville continuait à repousser bravement les assauts des Français toute la population s'était armée; les femmes elles-mêmes se montraient animées des sentiments les plus virils: elles apportaient jusqu'au milieu de la mêlée des munitions aux combattants, et plusieurs d'entre elles reçurent, dans l'accomplissement de ces périlleux devoirs, de glorieuses blessures. Elles étaient entraînées par l'exemple de l'héroïque comtesse de Saint-Amour, qui ne cessait de prodiguer à tous et partout son courage et ses soins; qui tantôt courait dans les rangs, avec de l'eau-de-vic, de la poudre et du plomb pour les défenseurs, avec des bandages et des secours pour les blessés; et tantôt se mettait à la tête des bourgeois pour repousser les assauts. Cependant, malgré l'admirable dévouement de cette femme et les courageux efforts de la population, il fallait succomber. Le siége durait déjà depuis une semaine, lorsque les Français pénétrèrent de vive force dans la place; mais ils furent étrangement surpris de n'y trouver, au lieu de garnison, que des bourgeois qui leur disputèrent chaque rue pied à pied, et chaque maison l'une après l'autre. Tant d'héroïsme avait touché le duc de Longueville : il épargna Saint-Amour.

La ville de Lons-le-Saulnier fut moins heureuse. Vers les premiers jours de juin, Longueville se présenta devant ses murs, et l'ayant vainement sommée d'ouvrir ses portes, il en commença le siége. De la part des Lédoniens, un essai de résistance était un acte de courage d'autant plus grand, qu'ils n'avaient pour se défendre que des ressources insuffisantes, quelques soldats et quelques compagnies bourgeoises; mais le sentiment de l'honneur national et la haine du nom français parlaient plus haut, chez eux, que l'intérêt de leurs vies et de leurs biens: ils se dévouèrent donc

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