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saurait se créer lui-même; mais la nature, en déposant dans le cerveau de cet enfant le germe des plus riches facultés, lui préparait ainsi le chemin qui conduit au sommet des grandeurs : la bienveillance d'un noble seigneur et l'amitié d'un haut dignitaire firent le reste. Lorsque le jeune Perrenot atteignit l'âge où l'intelligence se développe, il montra des dispositions si remarquables, que le sire Claude de Vergy, maréchal de Bourgogne, le prit sous sa protection et lui facilita les moyens de venir étudier le droit à l'université de Dôle. La savante école comptait alors au nombre de ses professeurs cet illustre Mercurin d'Arbois dont nous avons précédemment raconté la vie : c'est de lui que Perrenot reçut les premières leçons. Sous un tel maître, le nouvel étudiant, servi par une mémoire prodigieuse, un jugement lumineux, et par une virile aptitude au travail, était bientôt devenu le premier élève de l'université; ce qui lui gagna les sympathies de son professeur, en attendant que le futur duc de Guatinare lui donnât sa protection avec son amitié. En effet, Mercurin d'Arbois, que ses talents supérieurs avaient élevé successivement à la présidence du parlement de Dôle, au titre de duc de Guatinare, à la dignité de grand-chancelier de Flandre, n'oublia pas son ancien disciple: il le fit d'abord nommer conseiller au parlement, puis maître des requêtes, puis il le poussa dans la carrière diplomatique. Une fois le chemin ouvert, le protégé devait à son tour s'y pousser rapidement; car il se connaissait, il savait que du jour où les circonstances lui fourniraient l'occasion de mettre ses talents en relief, sa fortune ne serait plus qu'une question de temps. Ce fut aux conférences de Calais, en 1524, que Perrenot commença de se révéler. Chargé des négociations qui s'ouvrirent dans cette ville avec les commissaires des rois de France et d'Angleterre, le diplomate franc-comtois y montra cette intelligence des affaires, cette habileté, ce tact qui dénotent l'homme supérieur, et les conférences tournèrent à l'avantage du souverain qu'il représentait. Par une coïncidence heureuse, Perrenot servait un prince qui savait découvrir le mérite et l'apprécier Charles Quint avait deviné dans le protégé de Guatinare un esprit de premier ordre, et, remarquant surtout en lui les qualités qui font l'homme d'État, il n'hésita pas à lui confier les négociations les plus délicates. Le talent qu'y déploya Perrenot trouva sa récompense : l'empereur lui donna d'abord le titre de garde des sceaux; puis, après la démission du duc de Guatinare, il en fit son premier conseiller d'État. Dès lors tout était dit: Nicolas Perrenot nommé conseiller d'État et garde des sceaux ne pouvait guère monter plus haut. Dans cette éminente position, qui le plaçait au rang des premiers dignitaires de la couronne, les richesses et les honneurs vinrent au-devant de lui; mais ce qu'il y eut de plus flatteur pour ce fils de plébéiens, c'est que, de son vivant, nul ne jouit auprès de Charles-Quint d'une aussi grande familiarité. Il devint le confident intime des pensées de l'empereur et l'âme de ses conseils ; il présida les diètes, il ouvrit le fameux concile de Trente, il remplit en personne les ambassades extraordinaires, il fit les traités et les arrangements de la vaste monarchie espagnole; enfin, mêlé à tous les mouvements, initié à tous les secrets d'une politique qui avait des ramifications partout, il fut, vingt années durant, l'instrument suprême des affaires de l'Europe. Nicolas Perrenot mourut à la diète d'Augsbourg, le 15 août 1550, regretté, plein de gloire et rassasié d'honneurs. « Je suis extrêmement touché de sa mort, écrivait Charles-Quint à

Philippe II son héritier; car nous avons perdu, vous et moi, un bon lit de repos. » Parole d'autant plus flatteuse, qu'elle venait de Charles-Quint, de ce prince qui savait si bien apprécier les hommes.

Entré sans éclat, sans naissance, dans la vie, le fils du maréchal ferrant d'Ornans en sortait seigneur de Granvelle, de Chantonnay, d'Apremont, Mazière, Rosey, Maîche, Cromary, Scey, Champagney, Cantecroix, premier conseiller d'État, garde des sceaux de l'Empire, commandeur de l'ordre d'Alcantara, chevalier de l'Éperon d'Or, maréchal héréditaire de l'archevêché de Besançon ; il en sortait avec l'orgueil d'avoir vu se personnifier en lui la plus haute fortune plébéienne de la FrancheComté au seizième siècle. Ses biographes lui reprochent de s'être un peu trop occupé d'élever et d'enrichir sa famille; mais il racheta cette faiblesse par ses éminentes qualités et ses rares talents, et par la bienveillance qu'il montra toujours envers ses compatriotes: il ouvrit à plusieurs d'entre eux, à Simon Renard entre autres, la carrière des fonctions publiques. Tenons-lui compte aussi des services qu'il rendit à son pays natal: il y seconda, pour sa part, le mouvement des lettres, en fondant à Besançon un collége où l'on enseignait la théologie, la grammaire, la poésie et l'éloquence; en même temps il s'occupait d'y faire pénétrer le goût des arts, en réunissant dans son palais Granvelle une collection de tableaux, la première qu'ait possédée la province.

Nicolas Perrenot ne mourut pas tout entier. Parmi les enfants que laissait ce glorieux père, il s'en trouvait un qui devait, sinon l'effacer, du moins le surpasser encore en éclat et réputation: c'est nommer le plus illustre des Franc-Comtois du seizième siècle, cet Antoine Perrenot de Granvelle, qui fut tour à tour évêque d'Arras, archevêque de Malines et de Besançon, garde des sceaux, cardinal, viceroi de Naples, président du conseil suprême d'Italie et de Castille, et qui resta trente ans ministre.

Antoine Perrenot de Granvelle naquit à Besançon le 20 du mois d'août 1517. Il étudia d'abord à l'université de Padoue, et ses succès y furent remarquables. C'était un de ces élèves à qui l'on ne dispute pas la première place. Il faut dire qu'il joignait aux plus brillantes facultés une ardeur infatigable pour le travail; il la poussa même si loin, que sa santé ne tarda pas à s'en ressentir, et que son père, alarmé, se hâta de le rappeler auprès de lui. Dès ce moment il ne voulut plus se séparer de son fils. Il le mit au collége de Louvain, pour lui faire suivre un cours de théologie; mais il l'initia de bonne heure au secret de la politique, parce qu'un jeune homme élevé dans la pratique des affaires, et garanti par l'habitude contre les entraînements du pouvoir, lui semblait beaucoup plus propre aux fonctions de la vie d'homme d'État. A vingt ans, l'éducation de Granvelle était complète : il connaissait jusqu'à sept langues, qu'il parlait avec une heureuse facilité. A vingttrois ans on le nommait évêque d'Arras, et bientôt après il accompagnait son père aux diètes de Worms et de Ratisbonne. A vingt-cinq ans il assistait, en qualité d'ambassadeur de Charles-Quint, à l'ouverture du concile de Trente et y prononçait

1 C'est lui, le chancelier de Granvelle, qui a fait construire ce palais. M. Alex. Guenard en donne la description (pages 194 à 199) dans l'intéressant petit livre qu'il a publié en 1844, sous ce titre : BESANÇON, Description historique des monuments et établissements publics de cette ville.

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un discours. A trente-trois ans il recueillait le magnifique héritage de son père, c'est-à-dire qu'il lui succédait dans la place de premier conseiller d'État et de garde des sceaux de l'Empire. Parmi les hommes que les circonstances ou des facultés transcendantes ont élevés à des positions extraordinaires, on compterait ceux dont la fortune fut aussi rapide et brillante que cette fortune du jeune Granvelle. Une fois en possession de la scène politique, le fils de Nicolas Perrenot put à son aise y déployer ses vastes talents. Doué d'une rare pénétration, d'un tact admirable et d'une intelligence qui comprenait tout, il alliait à cette richesse d'organisation le prestige de la parole, la séduction des manières, la noblesse de la physionomie; et si l'on ajoute qu'il avait un esprit juste et ferme, une tête active et travailleuse, un caractère opiniâtre et patient que rien ne rebutait ni ne décourageait, on n'aura plus à douter et des nombreux succès qui l'attendaient dans sa carrière d'homme d'Etat, et des immenses services qu'il devait rendre aux souverains dont il représenterait la politique. Aussi Granvelle allait-il se trouver mêlé à tous les grands événements de son siècle, tels que les rivalités entre la France et l'Autriche, la Réforme religieuse, les agitations de l'Allemagne, le schisme d'Angleterre, les mouvements de la Suisse, l'insurrection des Pays-Bas, la conquête du Portugal, les guerres, les traités, les mariages, les diètes; et s'il fut quelquefois mal inspiré dans sa diplomatie, si le sens politique lui manqua par moments, c'est qu'il n'appartient pas aux intelligences même les plus saines et les plus élevées d'être infaillibles, à la nature humaine d'être parfaite. Granvelle, on doit le reconnaître, eut le tort de se montrer souvent trop absolu, trop fier, trop hautain: il ne comprit pas toujours assez que la hauteur des manières tend à compromettre la meilleure cause; que la fierté ne dépasse pas certaines limites sans devenir blessante, et que l'absolutisme des idées conduit à l'exagération des principes. Disons encore qu'une ambition trop impatiente l'entraina parfois au delà du but, et que l'insatiabilité de ses désirs lui fit pousser trop loin la soif des titres et des honneurs. Il nous est resté de Charles-Quint un billet où l'on voit que ce prince blâmait cette ardeur déraisonnable de Granvelle à solliciter constamment. Voici ce précieux billet; nous le rapportons avec son orthographe du seizième siècle et tel qu'il fut écrit en français par l'empereur :、

« Monsieur d'Arras, dit-il à Grauvelle, j'ay vù votre mémorial, et les raisons y contenues, aucunes desquelles avés autrefois allégué en autres occasions, et, pour ce, me semble y répondre. Quant à la première que allégués de garde des sceaux, vous sçavés bien que votre père n'eut jamais que ceux que avés, et si par ce bout vouliés prétendre ceux de Naples, pourriés prétendre encore ceux de Castille et de tous mes autres royaumes; et si le chancelier de Guatinara eut cet office, ce fut pour mercède (récompense) et non pour prétendre droit aussi étoit-il lors séculier et non ecclésiastique, cet office se donnant toujours à séculiers. Et quant à ce que dites que avés travaillé en ce du conclave, et que les autres ont eu graces et vous non, si selon les négoces que avés en charge faudroit à chacun que je vous récompensasse, il ne seroit en ma puissance de pouvoir y satisfaire. Ainsi, pour ce du conclave il n'y a chose pour à cette heure faire graces ny bien de quoy l'alléguer. Quant à ce que dites de votre père, s'il vous a entretenu ici, ce n'a été sans cause, ny ne s'est perdu le fruit de son espérance, puisque êtes entré en sa place; et s'il

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