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intelligentes innovations. Enfin la province entière, villes et campagnes, hommes et choses, semblait reprendre une vie nouvelle.

En même temps Charles-Quint s'occupait d'organiser militairement la FrancheComté et de la mettre en état de se défendre par ses propres forces, dans l'éventualité d'une invasion. Il faut en convenir, le pays avait grandement besoin d'une réforme militaire, car il était resté jusqu'alors sans armée proprement dite. Lorsque survenait une guerre, ou lorsqu'il s'agissait de repousser une attaque, que faisaiton? Les barons réunissaient sous leur bannière leurs vassaux respectifs dont le nombre variait selon l'importance du fief, et, suivis de cette petite troupe, ils marchaient à l'ennemi. Voilà de quelle manière se recrutait l'armée en FrancheComté. Maximilien avait essayé de changer cet ordre de choses: il avait voulu donner au pays un état militaire assez imposant pour lui permettre de suffire par lui-même à sa défense; mais les guerres de 1477 et 1479 avaient tellement décimé les populations, qu'il dut renoncer à ses projets de réforme : ce prince, à l'époque de sa campagne en Franche-Comté, n'y avait trouvé que trois légions de miliciens et quelques compagnies fournies par les gentilshommes.

Lorsque Charles-Quint entreprit à son tour de donner à la Comté une organisation militaire, l'état des choses se trouvait bien changé. Des jours meilleurs étaient venus quarante années d'une paix presque continuelle avaient comblé les vides laissés par les guerres; et, d'après les documents, la province comptait alors à peu près trois cent cinquante mille habitants. Ce chiffre paraît faible en comparaison de ce qu'il est à présent; mais il ne faut pas oublier que nos pères n'étaient pas, à beaucoup près, dans des conditions aussi heureuses que les nôtres pour la propagation de l'espèce des guerres fréquentes, des maladies contagieuses et des disettes forcées, surtout la mauvaise composition de la vie matérielle, l'ignorance des lois de l'hygiène et de la science économique, une grande partie des terres qui manquaient de culture ou qui étaient mal cultivées, le commerce et l'industrie qui commençaient seulement à se régulariser, mille causes enfin empêchaient aux générations d'alors de suivre dans leur renouvellement la progression des races modernes; et, tout considéré, le chiffre de trois cent cinquante mille âmes, par lequel on représentait la population franc-comtoise sous le règne de Charles-Quint, était normal pour l'époque. L'empereur calcula que sur cette population il pouvait, sans porter atteinte aux intérêts agricoles et commerciaux, prélever une armée active de douze mille hommes qui veilleraient à la garde du sol, et voici ce qu'il ordonna : dix mille cinq cents hommes, pris parmi les artisans, les paysans et les gens sans profession, devaient composer l'infanterie en se répartissant de la manière suivante : 4000 piquiers, 3900 arquebusiers, 2000 mousquetaires, 300 ballebardiers et 300 rondachiers, ainsi nommés parce qu'ils portaient une espèce de grand bouclier appelé rondache. Les quinze cents autres hommes, choisis parmi les nobles, les écuyers et les gens de leur suite, devaient former la cavalerie: les nobles et les écuyers se serviraient de la lance; les gens de leur suite auraient une hallebarde à rouet. En outre, un corps de réserve serait créé pour tenir toujours au complet le cadre de l'armée active, c'est-à-dire pour remplacer au fur et à mesure des besoins les hommes qui, par suite de maladie ou de mort, manqueraient aux drapeaux

Tout en organisant le pays sur ce pied militaire, Charles-Quint songeait aux villes il voulut les mettre en état de se défendre elles-mêmes en cas d'attaque. C'est à cette fin, par exemple, qu'il fit environner Champlitte de bonnes murailles, de plusieurs tours et de larges fossés. A Dôle il envoya l'ingénieur génois François de Précipiano, pour commencer des travaux importants. On entoura la ville d'une forte courtine, à laquelle se reliaient sept bastions très-élevés et placés à des distances à peu près égales les uns des autres; à ces ouvrages vint s'ajouter un fossé profond, avec sa contrescarpe et son chemin couvert. D'importants travaux furent aussi exécutés au château de Joux et à Gray. L'empereur, vivement préoccupé de la position stratégique de cette dernière ville, en fit réparer les fortifications. Il avait chargé de ce soin Ambroise de Précipiano, fils de François.

Voilà par quels moyens Charles-Quint veillait à la sécurité de sa Comté de Bourgogne; et, tandis qu'il lui témoignait ainsi sa sollicitude, il se plaisait à s'entourer des hommes de cette province, à leur donner des preuves non équivoques de sa confiance, à les admettre au partage de son intimité. Parmi les officiers de sa maison on trouve bien des noms franc-comtois : Jean d'Andelot était son premier écuyer; Mathieu Vaulchier, d'Arlay, l'un de ses rois d'armes sous le nom de Franche-Comté; Claude de Vienne, un de ses chambellans; Joachim de Rye, son premier sommelier de corps; et Philibert de Montfalconnet, son maître d'hôtel. Vandenesse, de Gray, devint aussi maître d'hôtel de l'empereur, dont il écrivit les voyages; Claude de la Baume et Laurent de Gorrevod furent, le premier, chambellan de ce prince; le second, grand-maître de sa maison, et tous deux, maréchaux de Bourgogne. Charles Poupet, de la Chaux en Montagne, dont les aïeux étaient de modestes paysans des environs de Salins, eut l'honneur insigne d'être nommé, par Charles-Quint, gouverneur de son frère l'infant Ferdinand, depuis roi des Romains. et empereur d'Allemagne. Ferry Guyon, de Bletterans, soldat sans naissance, mais plein de mérite et d'intrépidité, fut élevé par l'empereur au grade de lieutenant général dans ses armées. Philibert de la Palu, seigneur de la Roche, et Guillaume de Mandre accompagnèrent ce souverain dans presque toutes ses campagnes; et lorsque Charles vint à Bologne recevoir la couronne impériale, Jean de la Palu se trouvait parmi les officiers de sa suite. Charles-Quint anoblit Laurent Chiflet, recteur de l'université de Dôle, et le premier de cette famille illustrée par une merveilleuse succession de savants.

Mais nous sommes loin d'avoir épuisé la liste des Franc-Comtois en qui CharlesQuint mit sa confiance : Gérard Plaine, nommé seigneur de la Roche, eut la présidence du conseil privé des Pays-Bas. Après sa mort, Jean Carondelet, de Poligny, le remplaça dans cette éminente dignité. Jean Lallemand, de Dôle, d'abord secrétaire de la comtesse Marguerite et de Charles-Quint, fut employé par ce souverain à plusieurs négociations importantes, entre autres à celles du traité de Madrid. Jacques Chambrier, conseiller laïque au parlement de Dôle, fut l'un des négociateurs de Charles-Quint auprès des cantons catholiques de la Suisse. Nicolas Gilley, seigneur de Marnoz et capitaine de la ville de Salins, eut l'ambassade de Suède. Simon Renard, de Vesoul, et sur lequel nous reviendrons, remplit à plusieurs reprises des fonctions diplomatiques, soit en France, soit en Angleterre. Jean de

Saint-Mauris, fils d'un maçon et qui devint seigneur de Montbarrey, fut à son tour président du conseil privé des Pays-Bas : Charles-Quint avait en cet honorable Franc-Comtois la plus noble confiance; et lorsque l'âge et les infirmités obligèrent le président de Saint-Mauris à solliciter sa retraite, l'empereur écrivit au sire de Vergy, gouverneur de la Franche-Comté, pour l'engager à consulter monsieur de Montbarrey dans les questions importantes, et pour lui recommander d'entourer ce digne magistrat de toute la considération que lui méritaient ses longs et loyaux services.

Philibert de la Baune, baron de Saint-Amour, fut ambassadeur de Charles-Quint en Angleterre; et le diplomate franc-comtois charma tellement, par son éloquence et son esprit, Sa Majesté Britannique Henri huitième du nom, que ce souverain lui donna de sa confiance une marque bien singulière : il lui permit, dit-on, d'exercer pleinement, pendant tout un jour, la prérogative de la couronne. Philibert de la Baume abusa-t-il de sa royauté de vingt-quatre heures? on peut croire le contraire; car, l'eût-il fait, l'histoire n'aurait pas manqué de nous l'apprendre.

Un autre Franc-Comtois, qui n'avait pas pour lui l'éclat de la naissance, comme Philibert de la Baume, mais qui le surpassait dans l'art de séduire les âmes par l'éloquence de la parole, François Richardot, issu d'une famille mainmortable de Morey, commença sous Charles-Quint l'élévation de så fortune. D'abord suffragant d'Arras, il devint plus tard évêque de cette ville, et c'est lui qui fonda l'université de Douai. Son neveu, Jean Richardot, l'un des plus habiles négociateurs de son temps, présida le conseil privé des Pays-Bas ; et le fils de Jean Richardot, de même nom que son père, occupa successivement le siége de l'évêché d'Arras et celui de l'archevêché de Cambrai.

Il est encore un autre Franc-Comtois dont Charles-Quint sut apprécier le mérite et récompenser noblement les services: François Bonvalot, de Besançon, né de plébéiens qu'avait enrichis le commerce, fut honoré par ce souverain de plusieurs ambassades importantes, notamment de celle de France. Bonvalot avait déjà donné de ses talents d'administrateur une haute idée lorsqu'il était trésorier de l'église de Besançon et qu'il dirigeait les affaires de ce diocèse pendant la minorité de l'archevêque Claude III de la Baume; mais il montra dans ses ambassades le talent d'un diplomate si consommé, que Charles-Quint déclarait ne lui reconnaître « guère moins de capacité, expérience et dignité qu'au chancelier de Granvelle, son beaufrère. »

Granvelle! c'est le nom populaire qui domine tous les autres et résume en lui tout ce que la fortune, la puissance et la gloire purent épuiser de faveurs sur une famille souveraine par le génie; c'est le nom qui fait souvenir à l'orgueil national des Franc-Comtois qu'ils comptèrent parmi leurs compatriotes d'un autre âge deux plébéiens restés pendant un demi-siècle les rois de l'Europe diplomatique. Saluons, en passant, ces deux souverains de l'intelligence; mais ne passons pas devant eux sans redire leur histoire.

A quelques pas d'Ornans, naquit en 1486, dans l'atelier d'un maréchal ferrant, un enfant que l'église enregistra sous ce nom bien obscur alors: Nicolas Perrenot. La position de ses parents ne lui promettait pas d'autre fortune que celle qu'il

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