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CHAPITRE TROISIÈME.

Hugues de Chalon, comte palatin de Bourgogne.

Jean de Chalon l'Antique ou le Sage. — Affranchissement de Salins; origine de cette ville. Affranchissements de Chaussin, d'Orgelet, de Faverney, d'Ornans et d'autres lieux. Fondation des communes. - Commencements de la bour

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geoisie. Vues de Jean de Chalon sur Besançon; état de cette ville; recouvrement de sa commune. - Guerres entre Jean de Chalon et son fils. Besançon, ville impériale. - Nouveaux défrichements dans les montagnes du Jura. Jean de Chalon et l'Inquisition. — Mort de Jean de Chalon et de son fils. Luxeuil et Gray. - Alix de Méranie, Hugues de Bourgogne et Philippe de Savoie. Guerre en Comté. Affanchissements de Dôle, de Saint-Amour, de Faucogney et d'Arlay. Othon IV, comte palatin; son caractère. — L'empereur Rodolphe de Hapsbourg; son fils Hartmann. Renaud de Bourgogne, comte de Montbéliard; affranchissement de cette ville. État de la Comté au treizième siècle. — Affranchissements d'Arbois, de Nozeroy, de Bletterans, de Montmorot, de Poligny, de Lons-le-Saulnier, de Quingey, et d'autres localités. — Les Vêpres siciliennes. Jean de Chalon, sire d'Arlay Ier. — Parti français et parti impérial en Comté. — Siége de Besançon. Reconnaissance des libertés de cette ville par l'empereur Rodolphe. -- Les Bisontins et l'archevêque Eudes de Rougemont. Traité de Vincennes. Confédération des hauts barons comtois. Philippe le Bel, roi de France, et le baron d'Arlay. — Mort d'Othon IV. — Jeanne de Bourgogne et Philippe de France. Le baron d'Arlay et les Bisontins. — Défaite de ceux-ci; perte de leur indépendance. Arrestation des Templiers. — Jacques de Molay; sa conduite; sa mort.

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Hugues de Chalon avait à peu près trente-trois ans lorsqu'il prit le titre de comte palatin de Bourgogne : c'était un seigneur né avec d'heureuses qualités privées, mais d'une intelligence secondaire, et il se laissa gouverner plutôt qu'il ne gouyerna. Son père, le célèbre Jean de Chalon, fut le véritable souverain du pays. Arrêtonsnous un moment sur cet homme remarquable, dont le nom est encore populaire dans les montagnes du Jura. Jean de Chalon l'Antique, le premier d'une race illustre qui commença par un sage et finit par un héros, est la plus grande renommée historique de la Comté de Bourgogne au treizième siècle. Génie à vues élevées, volonté énergique et persévérante, caractère martial et vigoureusement trempé, il joignait à l'autorité morale qui donne le pouvoir, la puissance matérielle qui le fortifie il possédait presque tout le midi de la Comté et de vastes domaines le long de la Saône. Jean de Chalon ne méprisait pas les lettres, mais il les cultivait peu : son faste à lui, comme dit M. Édouard Clerc, c'étaient les milices nombreuses de ses vassaux et la hauteur de ses forteresses; et s'il ne brillait pas par les connaissances littéraires, il excellait dans l'art de lier ensemble ses seigneuries, les fortifiant ainsi l'une par l'autre. Le fameux arrangement qu'il fit avec le duc de Bourgogne fut, sous ce rapport, l'acte capital de sa vie : il échangea le comté d'Auxonne et les terres qui lui appartenaient le long de la Saône, contre le Bourg-Dessus de Salins, avec les châteaux, seigneuries et fiefs en dépendants. L'autre bourg de Salins était à son fils Hugues. La maison de Chalon se trouvait ainsi propriétaire de Salins, c'est-à-dire de la ville la plus riche en revenus qui existât dans la Comté de Bourgogne. En faisant cet échange, Jean de Chalon se montrait calculateur pro

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fond: il voulait avoir la baronnie de Salins, parce qu'il y voyait un moyen de consolider et d'étendre sa puissance. Vivant à une époque où la terre seule donnait de la valeur à l'homme, il savait que le levier de la domination était aux mains de celui qui possédait le plus grand nombre de domaines et de vassaux, et, déjà maître des plus vastes tiefs, il se créait, par l'acquisition des salines, une source de revenus intarissable où il pourrait sans cesse puiser pour s'attacher de nouveaux vassaux, pour acheter de nouveaux domaines. Riche et puissant, il voulait être plus riche et plus puissant encore. Mais ce ne sont pas ces calculs d'ambition personnelle qui recommandent, aux yeux de la postérité, la mémoire de Jean de Chalon; ce prince doit à des pensées plus hautes la glorieuse place qu'il occupe dans l'histoire de son siècle il fut le premier, après le comte Raymond de Bourgogne, qui reprit la grande idée des affranchissements, et voilà son titre principal à la reconnaissance des Franc-Comtois. En ceci, Jean de Chalon n'agit pas, il est vrai, dans un but complétement désintéressé; il savait que sa générosité tournerait au profit de sa puissance. Avec son intelligence supérieure il avait compris que la liberté, en appelant les populations, en leur élargissant la voie des progrès matériels, deviendrait une source de gain pour celui qui la donnait, et Jean de Chalon fit ce qu'il croyait être son intérêt. Mais laissons de côté le vulgaire mobile auquel il obéit, pour ne voir que le bien réalisé par la politique féconde dont il prit l'initiative: imitons nos pères; comme eux, montrons-nous reconnaissants envers l'homme qui accéléra par son exemple l'émancipation des communes comtoises.

Au mois de janvier 1249, Jean de Chalon affranchit le Bourg-Dessus de Salins et lui octroya une charte municipale, voulant par là, comme il le disait lui-même, faire prospérer de plus en plus ses sujets. Déjà, en 1229, il avait érigé en commune la ville d'Auxonne, qui alors lui appartenait, et en novembre 1246 il avait fait reconnaître, par un traité avec Amaury de Joux, gardien et protecteur de Pontarlier, les franchises et priviléges dont jouissait cette ville. La charte octroyée aux habitants du Bourg-Dessus leur conférait le droit d'élire quatre échevins, qui, de concert avec un prévôt à la nomination du seigneur, administreraient les affaires et rendraient la justice. Ce fut là pour Salins le point de départ de sa grande prospérité.

L'époque de la fondation de Salins nous est inconnue, mais l'origine de son nom, Salinum, n'a pas besoin d'être expliquée: elle se tire, comme chacun sait, des riches sources d'eaux salées que cette ville possède. On ignore la date à laquelle se rapporte la découverte des salines; toutefois il est certain que les Romains les connurent et les exploitèrent: Strabon nous apprend que l'eau de ces sources, convertie par l'évaporation en un sel plus blanc que la neige, se transportait en Italie. Ce même Strabon parle avec éloge des salaisons de porc qu'on tirait de la Séquanie, et qui s'expédiaient jusqu'à Rome. Un assez grand nombre de médailles antiques, des débris de colonnes, des statues, des tombeaux, les restes d'une voie militaire et d'autres vestiges de l'époque romaine, font penser à juste titre que Salins est l'ancien Pons Ariarica, dont le nom se retrouve dans celui de Pont-d'Héry, hameau tout proche de la ville actuelle; du reste, la position du Salins de nos jours correspond à la position d'Ariarica, que l'auteur de l'Itinéraire place entre Orbe et Besan

con. Les établissements fondés par les Romains pour l'exploitation des salines furent détruits durant les invasions barbares; on croit que les Burgondes en relevèrent une partie, et c'est à eux que l'on attribue aussi la construction du château de Bracon, où la légende fait naître en 597 l'illustre saint Claude. Dans tous les cas, le château de Bracon existait déjà au commencement du sixième siècle : la fameuse charte du roi Sigismond de Bourgogne, signée au profit de l'abbaye d'Agaune en Valais, mentionne, entre autres dons importants faits à ce monastère, la saline et le château de Bracon. Cette charte est de 523 ou 524.

Salins resta pendant quatre cenis ans sous la dépendance des abbés d'Agaune; mais on voit qu'au temps du roi Sigismond on ne connaissait plus que l'une des trois salines les deux autres ne furent retrouvées que vers le milieu du neuvième siècle. A cette époque, la ville de Salins avait déjà de l'importance: elle était le chef-lieu d'un des cinq archidiaconés du diocèse de Besançon, et vers 862 elle renfermait quatre paroisses. L'invasion des Hongrois, en 937, porta un coup terrible à la fortune de l'antique Aríarica; ces Barbares pillèrent et brûlèrent les manufactures, qui restèrent plusieurs années ensevelies sous les décombres. Le comte Albéric de Narbonne les releva; son intelligence, stimulée par l'intérêt, rendit à ces établissements le mouvement et l'activité, et lorsqu'il mourut, les salines étaient en pleine exploitation. Albéric, comme on l'a dit ailleurs, laissa deux fils qui se partagèrent la ville et les salines: Humbert eut le Bourg-Dessus, avec la grande saunerie; Létalde eut le Bourg-Dessous, avec le puits à muire ou petite saunerie: la troisième des sources salées demeura indivise entre les héritiers d'Albéric et leurs descendants. Chacun de ces bourgs était fortifié, et plusieurs châteaux, placés sur les hauteurs de Bracon, Belin, Saint-André, Poupet, «< gardoient et ensemblement commendoient à toute la ville,» selon l'expression de Gollut. Salins ne fit que se développer avec les années qui suivirent: dans les commencements du onzième siècle, on y comptait déjà plusieurs monuments, entre autres la curieuse collégiale de SaintAnatoile. Les immenses constructions souterraines des salines datent de la même époque. Au douzième siècle, cette ville était désignée par le mot d'oppidum, qui s'appliquait seulement aux places fortes, et au treizième siècle elle tenait, après Besançon, le premier rang parmi les villes de la Comté de Bourgogne. Avec Jean de Chalon commença la grande ère commerciale de Salins: l'affranchissement du Bourg-le-Sire appela dans ce centre de population l'industrie et la richesse; l'exploitation des salines se pratiqua sur une plus vaste échelle; les foires et les marchés s'y tinrent plus fréquemment. L'atelier monétaire que Jean de Chalon établit à Salins, les travaux considérables qu'il fit exécuter, rehaussèrent la fortune de la ville; et, sous la direction intelligente de ce puissant seigneur, sous l'influence surtout de la liberté, cette mère féconde de tous les progrès, la prospérité matérielle de Salins s'accrut rapidement. Dès lors, Salins devint, avec Besançon, le point commercial le plus important de la Comté.

Un nouveau pas dans la voie des affranchissements était fait: Jean de Chalon avait rouvert le chemin ; d'autres vinrent qui l'élargirent, et le treizième siècle ne devait pas se fermer sans que trente nouvelles chartes d'affranchissement fussent octroyées aux populations comtoises. Jean de Chalon en vit accorder plusieurs de son vivant:

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