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recouvrait de droit son ancienne indépendance; cette province se trouvait libre envers l'Empire, par le motif que les princes franconiens avaient reçu d'elle l'hommage, non comme empereurs, mais comme héritiers du roi de Bourgogne Rodolphe III. Lothaire de Saxe, qui ne tenait aucun droit de Rodolphe, ne pouvait donc rien prétendre sur la Comté il en jugea tout différemment cependant, et ce fut, comme on va le voir, l'occasion d'une guerre longue et meurtrière. Auparavant, il n'est pas inutile de dire un mot sur la situation de l'Allemagne au moment où la diète électorale de Mayence venait d'élever Lothaire II à l'empire. Ce prince avait été nommé par l'influence de la faction allemande, dévouée aux papes : le concurrent de Lothaire, Frédéric de Hohenstauffen, duc de Souabe, protesta contre la décision de la diète de Mayence, et les hostilités commencèrent en Alsace. Cette rivalité des maisons de Saxe et de Souabe devait amener une conflagration presque européenne. Les deux partis ennemis se désignèrent pour la première fois par des dénominations devenues fameuses ceux qui se rangèrent du côté de Lothaire s'appelèrent guelfes; ceux qui se rallièrent à Frédéric prirent le nom de gibelins'. Les guelfes défendaient la cause des papes; les gibelins continuaient les prétentions de l'empereur Henri IV c'était la grande querelle du sacerdoce et de l'Empire, présentée sous un autre nom.

Le comte Rainaud III se fit gibelin. Cité par l'empereur Lothaire à la diète de Spire, il ne comparut point et refusa l'hommage qu'on exigeait de lui pour ses États, prétendant avec justice que le monarque saxon n'avait aucun droit à cet hommage. Lothaire prononça contre Rainaud le ban de l'Empire; en même temps il confisqua ses Etats pour en investir un des plus proches parents de Guillaume l'Enfant, le duc Conrad de Zeringhen, guelfe zélé qui défendait chaudement la maison de Saxe. Lothaire dépouilla aussi Rainaud du titre de recteur ou vice-roi de Bourgogne, titre qu'avaient porté les cinq derniers comtes héréditaires, et il donna cette haute dignité au duc de Zeringhen (1127). Rainaud III ne se laissa pas ébranler par ces dispositions menaçantes de l'empereur; il ne fit que s'enhardir devant la grandeur du péril. Prince à l'âme énergique et vaillante, et fort de son bon droit, il s'en remit à son épée pour défendre la justice de sa cause. Le comte Guillaume son frère et les hauts barons de Bourgogne se rallièrent à ses bannières. La Comté ainsi que les seigneuries voisines devinrent alors le théâtre d'une lutte opiniâtre et sanglante: on guerroya longtemps sans avantages bien prononcés de part ni d'autre; mais le courage de Rainaud fut à la fin trahi par la fortune. Fait prisonnier en combattant, ce prince se vit conduit à Strasbourg, où une cour plénière s'assembla pour le juger. La fermeté du comte de Bourgogne étonna ceux devant lesquels il comparut, et leurs vives intercessions auprès de l'empereur Lothaire disposèrent ce souverain à la clémence envers son prisonnier. Rainaud redevint libre, après six mois de captivité; mais il ne recouvra qu'une partie de ses États: Lothaire ne lui laissa que la Comté proprement dite, et le duc Conrad de Zeringhen resta en possession de la Trans

Le mot guelfe vient de la maison de Bavière, qui avait eu plusieurs princes du nom de Welf et qui était alliée à la maison de Saxe; le mot gibelin vient du château de Gueibelinga, dans le diocèse d'Augsbourg, possédé par la maison de Souabe.» (Théophile LAVALLÉE, Histoire des Fran çais, tome Ier, page 550, à la note.)

jurane. Rainaud ne pouvait se résigner à la perte de ses vastes domaines transjurains placé entre le regret de s'en voir dépouillé et le désir de les reconquérir, il n'hésita pas longtemps; il arma ses nombreux vassaux, entra dans la Transjurane, et une guerre acharnée s'ensuivit entre ce comte et le duc de Zeringhen. Les hostilités duraient déjà depuis plusieurs années avec des vicissitudes très-diverses, lorsque l'empereur Lothaire mourut en 1137. Le prince qui le remplaça sur le trône impérial fut Conrad III; mais Conrad sortait de la maison de Souabe, et c'était par conséquent le parti gibelin qui l'avait fait nommer. Ce changement de dynastie semblait devoir étré funeste au guelfe Conrad de Zeringhen, et favorable à Rainaud III; les choses ne se passèrent pas ainsi. Il est vrai que le duc Conrad se vit d'abord attaqué par Frédéric de Souabe, frère du nouvel empereur, et que Frédéric, après avoir envahi la Transjurane, s'empara de la redoutable citadelle de Zeringhen; mais le duc Conrad, se rangeant aussitôt du côté de la fortune, fit sa soumission à l'empereur, qui lui rendit ses domaines et ses dignités, et qui lui donna même la Comté de Bourgogne, enlevée à Rainaud III. Il faut dire que l'empereur Conrad avait exigé de Rainaud l'hommage de la Comté; et, celui-ci n'ayant pas voulu s'y soumettre, ses États avaient été de nouveau confisqués au profit du duc de Zeringhen. La guerre recommença, vive et opiniâtre. Rainaud se défendit avec l'énergie indomptable qu'il avait montrée jusqu'alors; mais cette fois il fut plus heureux : la fortune des armes vint en aide à la justice de sa cause. On doit regretter que l'histoire ne nous ait pas transmis le récit des faits et gestes du glorieux comte de Bourgogne pendant cette nouvelle phase de la lutte; on sait seulement que Rainaud ne put être vaincu, qu'il resta maître de la Comté, et que les deux dernières années de son règne se passèrent à disputer au duc de Zeringhen la possession de la Trans-jurane. La querelle durait encore entre les deux rivaux, quand la mort vint en 1148 mettre un terme à l'existence si agitée du comte de Bourgogne.

Ce fut durant l'année de cette mort que le pape Eugène III se rendit à Besançon pour consacrer lui-même la cathédrale de Saint-Jean, commencée depuis longtemps et enfin terminée en 1148.

Rainaud III était né avec les plus brillantes qualités : grand et magnifique dans ses manières, ce prince joignait à un caractère fier et chevaleresque un cœur généreux et bienfaisant. Il aima et protégea les malheureux; il se montra plein de zèle pour le bien de la religion, et il encouragea par ses libéralités les fondations pieuses, entre autres l'érection des monastères de Cherlieu et d'Acey. Le courage et la persévérance que Rainaud mit à défendre l'indépendance de la Comté lui ont fait décerner, par les écrivains modernes, le beau surnom de Franc-Comte, d'où serait venue la dénomination de Franche-Comté. Les sévères témoignages de l'histoire

4 Plusieurs autres monastères ont pris naissance sous le règne de Rainaud III: telles sont les abbayes de Balerne, de Montbenoit, de Bellevaux, de la Charité, de Theuley, de Clairefontaine, de Corneux, de Bithaine, de Lieucroissant, de Rosières, de la Gràce-Dieu, de Belchamp, de Saint-Mainbœuf, des dames d'Ounans, de Bellefontaine et de Courtefontaine. Les monastères de Damparis, de Bonnevaux et de Grandvaux, les chartreuses de Vaucluse et de Bonlieu, appartiennent au règne de Béatrice, fille de Rainaud. Antérieurement à cette époque, c'est-à-dire pendant le onzième siècle, la Comté de Bourgogne avait déjà vu s'élever un grand nombre de fondations pieuses: c'étaient, entre autres, le chapitre de la Madeleine de Besançon; ceux de Calmoutier et de Saint-Anatoile de Salins;

nous imposent le devoir de reconnaitre que, sous le règne de Rainaud, le fait de la suzeraineté de l'Empire subsistait tout entier dans la Comté de Bourgogne, et que la dénomination de Franche-Comté apparaît pour la première fois dans un acte appartenant à la seconde moitié du quatorzième siècle. Mais le noble surnom de FrancComte donné à Rainaud est l'éloge de ce prince: si, en réalité, ce titre lui manqua, il fit assez pour être jugé digne de le porter, et, en l'attachant à son nom, la reconnaissance patriotique des écrivains franc-comtois a voulu remercier l'héroïque défenseur de l'indépendance bourguignonne. Comme aussi c'est l'éloge de Rainaud que de passer pour avoir affranchi les serfs de ses domaines peut-être son humanité le porta-t-elle à prendre cette généreuse initiative; malheureusement, il ne nous reste aucun document historique qui établisse ce fait, le plus glorieux et le plus beau dont la mémoire d'un prince aurait à s'enorgueillir. On sait mieux ce que fit Rainaud pour l'ordre naissant des Templiers: il le soutenait de ses libéralités; il accueillait avec distinction les membres de cette confrérie religieuse et militaire qui s'était formée dans le but de protéger les pèlerins se rendant à Jérusalem; il avait à sa cour des chevaliers du Temple, et en l'année 1133 il recevait à son château de Dôle un Comtois renommé dans l'histoire des croisades, l'illustre Bernard de Dramelay, cinquième grand-maître de l'ordre. Ne passons pas devant le souvenir de ces chevaliers du Temple sans rappeler le glorieux contingent fourni par la FrancheComté à leur vaillante milice, dont le nom est resté si populaire dans la mémoire des hommes. Sur les vingt-trois grands-maîtres que compta l'ordre durant les cent quatre-vingt-quatre ans de son existence, la Franche-Comté n'en revendique pas moins de cinq pour sa part: Robert le Bourguignon, descendant du comte Rainaud Ier, Bernard de Dramelay, Thomas de Montaigu, Guillaume de Beaujeux, enfin ce célèbre Jacques de Molay, qui fut le dernier grand-maître des Templiers, et dont nous aurons plus tard à raconter la mort héroïque.

les prieurés de Vaux-les-Poligny, de Saint-Marcel-les-Jussey, de Jouhe, de Mouthe, de la Loye, de Saint-Nicolas de Salins, du Marteroy, de Lanthenans, de Morteau, de Montroland, et l'abbaye de Saint-Vincent de Besançon. Ce sont les recherches de M. Charles Duvernoy, insérées à la suite du texte de Gollut (édition de 1846), qui nous ont servi pour rédiger cette note.

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