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Sans les preservatifs de ces Dogmes hautains
Dont ses Sages se font plus farouches que sains,
Vous avez tenu bon contre l'erreur commune
Qui soûmet et petits et grands å la Fortune.
L'Encensoir à la main, on ne vous vid jamais,
Incliné devant elle, attendre ses bienfaits :
Ce que vous en avez est moins de sa largesse
Qu'il n'est de la Vertu, qui, de force ou d'adresse,
Sur cent droits alleguez l'a portée à donner,
Toute injuste qu'elle est, dequoy vous couronner.

Aussi, vostre grandeur que le merite a faite,
Ne peut estre au reproche, au murmure sujete,
Comme sont ces grandeurs que moule le Hazard,
Où le droit, le devoir, le choix n'ont point de part.
Elle est entière et juste, ordonnée et légale,
D'une matiere pure et de mesure égale,
Et faite sur un Plan des Sages approuvé,
Et selon leurs souhaits par le Prince élevé.

Tout le Public en joye accompagna l'Ouvrage
D'un batement de mains, et d'un commun suffrage,
Et la Fortune aveugle, au bruit de tant de voix,
Dont les Peuples ravis felicitoient les Loix,
Apprit avec regret que, sans avoir pris d'elle
Ni de materiaux ni mesme de modele,

La Vertu toute seule eust, après ses Patrons,
Dessiné ce Chef-d'œuvre et l'eust fait de son fonds.

Que c'est une louange à peu de Grands commune,
D'estre Grand sans devoir sa taille à la Fortune;
De n'estre pas l'Ouvrage et l'effort du Hazard,
Mais l'effet de l'Esprit, du merite, et de l'Art;
De n'estre pas un Nain sur une haute base,
Qui d'une part accable et qui de l'autre écrase,
Un Nain qui ne se void que par le fond d'autruy,
Et n'a rien d'élevé que ce qui n'est pas luy :

Mais d'estre haut sans base, élevé sans colonne,
Et de soy-mesme avoir Mortier, Pourpre et Couronne.
Jouïssez-en long-temps, Illustre LAMOIGNON,
Faites regner au loin vos Vertus, vostre Nom,
Et qu'après vous encor, leur image immortelle
Soit des grands Magistrats la regle et le modele !

(De la Fortune, Lettre Morale, 1660.
Titre des Entretiens de 1665.)

NICOLAS BOILEAU-DESPRÉAUX

Nicolas Boileau, dit Despréaux, naquit à Paris, le 1er novembre 1636, l'année même du Cid et du Discours sur la méthode, comme l'a fait remarquer Ch. Gidel. Il était le quinzième et avant-dernier enfant de Gilles Boileau, Greffier de la Grand-Chambre du Parlement de Paris, et de damoiselle Anne de Niellé. Le nom de Despréaux, qui lui fut donné par les siens pour le distinguer, provenait d'un petit pré au bout d'un modeste domaine que le greffier possédait à Crône. Sa mère mourut quand il avait dix-huit mois, et son père l'abandonna, dit Losme de Monchesnay, « à une vieille servante qui le traitait avec empire». Son extrême douceur, qui provenait probablement d'une santé délicate et d'un esprit déjà méditatif, le fit passer pour un peu niais dans l'esprit de son père. Celui-ci, d'ailleurs, devait se tromper sur ses trois fils. « Gillot, disait-il, est un glorieux, Jaco, un débauché; pour Colin (Nicolas), c'est un bon garçon qui ne dira jamais de mal de personne. » Or, si Colin devint un satirique, Jacques, le débauché, fut chanoine, et Gillot (Gilles), académicien.

Boileau fut mis au Collège d'Harcourt, aujourd'hui Lycée SaintLouis. Il achevait sa quatrième, lorsque atteint de la maladie de la pierre, il dut en subir l'opération. Les praticiens y réussirent, mais ils le blessèrent de telle sorte qu'il en conserva toute sa vie, comme dit Niceron, « une grande incommodité ». Ce fut cette « incommodité » qui fit écrire à Pradon, dans sa réponse à la Satire des femmes, que :

Bien loin de décrier des belles les faiblesses,
Tu ne pourrais citer que de chastes Lucrèces.

De là vinrent peut-être l'animosité de Boileau contre les médecins, sa misogynie, son aversion marquée pour la licence dans le style

et son penchant pour le jansénisme. C'est du moins la malicieuse hypothèse d'Helvétius. Les médecins satisfirent leur vengeance en arrangeant l'histoire d'une façon burlesque; et sans doute les molinistes eurent-ils part à ce travestissement de la vérité. Après la mort de Boileau, le médecin Gendron, son ami, aurait raconté à l'Intendant Le Nain que le satirique, encore enfant, fut mutilé à coups de bec par un dindon qu'il avait voulu battre. Ses ennemis y trouvèrent la cause de sa haine envers les Jésuites, premiers importateurs des dindons en France!...

Dès qu'il put reprendre ses études, il entra au Collège de Beauvais, pour y faire sa troisième sous un nommé Sevin, qui professait cette classe depuis près de cinquante ans. Sevin crut devoir assurer que son élève, déjà versificateur accompli, se ferait un nom fameux dans les Lettres. C'était moins le talent de Boileau pour les vers qui le lui faisait augurer, qu'une lecture assidue des poètes, et surtout des romans que le jeune homme pouvait trouver. Comme Racine lisant les romans grecs, on le surprenait au milieu de la nuit sur ses livres favoris, et l'on était obligé dé l'en tirer aux heures des repas. Le souvenir de tout ce fatrás devait lui inspirer son Dialogue sur les Héros de Roman. Ses parents le destinant à l'Église il était même tonsure depuis 1647 —, il suivit des cours de théologie à sa sortie du collège. Malgré son & incommodité », ne se sentant aucun goût pour la prêtrise, il étudia le Droit, et se fit recevoir avocat au Parlement, le 4 décembre 1656, à l'âge de vingt ans. « Il y avoit d'ailleurs près de trois siècles, dit Nicéton, que sa famille faisoit honneur à cette profession, et il tenoit encore au Palais par mille endroits. » Chargé d'une première cause, il s'en tira fort mal, selon Louis Racine; selon d'autres, il s'en débarrassa sans la plaider, et le Procureur, le soupçonnant d'y avoir découvert une procédure irrégulière, aurait dit, en retirant ses sacs que le jeune avocat irait loin... Boileau, cependant, ne perisait à autre chose qu'à se livrer entièrement à son génie poétique. Son père lui avait laisse 1.500 livres de rente, et ce fut dans la liberté que lui procura cet héritage qu'il composa la plupart de ses satires. Il se contenta, tout d'abord, de les lire à ses amis, dont beaucoup en prenaient des copies; mais on ne pouvait l'obliger à les publier. « M. Despréaux, lit-on dans le Boloana, n'a jamais imprimé qu'à son corps défendant, les jugemens du Public lui ayant toujours fait peur; et c'est un scrupule qu'il a porté jusqu'à sa dernière vieillesse. La première édition qui parut de ses satires fut faite sans son aveu, et par la supercherie d'un libraire qui surprit un privilège. M. Despréaux ne s'y opposa point, mais lui fit entendre qu'il ne feroit aucune démarche pour l'impression, et que c'étoit assez qu'il ne s'y opposât point.... Il finit par accorder sa participation aux libraires, car non seulement les textes étaient défectueux, mais

encore on y ajoutait des pièces qui n'étaient pas de lui, comme la satire sur la Maltôte. Le recueil des sept premières Satires excita une telle colère, qu'un déluge de libelles et de critiques fondirent sur leur auteur. « M. Fourcroi, dit Losme de Monchesnay, fameux avocat qui, outre qu'il étoit extrêmement malin, en vouloit d'ailleurs à M. Despréaux, fit courir par toute la ville un imprimé conçu en ces termes: On fait à savoir à tous ceux qui n'ont pas lieu d'être satisfaits des Satires nouvelles, qu'ils ayent à se trouver un tel jour, et à telle heure, chez le sieur Rollet, ancien Procureur, où se tiendra le bureau des Mécontents desdites Satires, afin d'aviser aux intérêts des honnêtes gens mêlez dans icelles. On trouvera plus loin, et dans leur ordre, les articles sur les pamphlets de Cotin et de Pradon. Boileau, dédaignant de répondre, composa sa IX® satire (1667), celle que nous reproduisons. Sous prétexte de critiquer ses prétendus défauts, il finit par couvrir de confusion ceux qui les lui imputaient. Cette satire le résume tout entier, du moins comme « Régent du Parnasse ». Elle passe aussi pour la meilleure, avec la XVIII, dite Satire de l'Homme. Quelques critiques lui préfèrent les Épîtres et certains passages du Lutrin. Ce fut l'ingénieuse fiction du récit de la Mollesse, à la fin du second chant de ce poème, où il loue Louis XIV d'une manière nouvelle, qui décida le Monarque à le faire venir à la Cour. Il y parut, présenté par M. de Vivonne, et récita une partie inédite du Lutrin, ainsi que diverses autres pièces, dont la fin de l'Epitre au Roi, que celui-ci connaissait déjà par M. de Thiange. Le poète en retira une pension de 2.000 écus, que Colbert eut l'ordre de payer d'avance, et il se vit accorder un privilège perpétuel pour l'impression de ses ouvrages.

Sans nous étendre davantage sur la vie de Boileau, non plus que sur ses liaisons avec les classiques de son temps, rappelons qu'en 1677 il fut choisi avec Racine comme Historiographe du Roi, qu'il fut reçu à l'Académie française le 3 juillet 1684, qu'il fut mis au rang des Pensionnaires de l'Académie des Inscriptions, et qu'une complète surdité l'obligea de demander le titre de Vétéran de cette société, ce qui lui fut accordé.

P

« M. Despréaux, dit Losme de Monchesnay, n'étoit pas insensible aux louanges; mais il ne vouloit être loué que par occasion. Quand on chargeoit trop l'encensoir, il avoit coutume de dire : « Vous ne me rendrez pas impertinent. » Son autre refrain étoit celui-ci : « J'aime qu'on me lise et non pas qu'on me loue. » Il avoit la conversation traînante et l'ayoit eue de même dès sa première jeunesse. Il gagnoit à être vu et pratiqué; son entretien étoit doux, et n'avoit ni ongles ni griffes, comme il le disoit lui-même. Il n'étoit point avare de louanges avec ceux qui les méritoient, mais les esprits faux et les ignorants présomptueux n'avoient pas beau jeu avec lui; ç'a toujours été l'équité qui a dicté les jugemens qu'il

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