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BOIS-ROBERT

François Le Métel, Sieur de Bois-Robert, naquit à Caen en 1592, dans la Paroisse de Notre-Dame de Froiderue, de Jehanne Belion et d'un Procureur à la Cour des Aydes de Rouen. Il se destina tout d'abord à la jurisprudence, mais, flatté des éloges que lui valurent ses premiers vers, il vint chercher fortune à Paris, et selon l'expression de l'Abbé Goujet, « il ne fréquenta plus que les Muses et les Compagnies les plus agréables ». A vrai dire, une aventure scandaleuse l'avait fait abandonner sa ville natale. Le Cardinal Du Perron introduisit à la cour ce diseur de bons mots, qui n'est plus guère considéré que comme le bouffon de Richelieu. L'appui de Du Perron lui valut un emploi dans la maison de Marie de Médicis, qu'il suivit en exil à Blois. En 1625, à l'occasion du mariage d'Henriette de France, il accompagne le duc de Chevreuse en Angleterre et charme Charles Ier par ses facéties; en 1630, étant à Rome où sa renommée l'avait précédé, il séduit Urbain VIII, qui lui donne, un mois après leur entretien, le Prieuré de Nozai, dans le diocèse de Nantes. Ce fut alors que Boisrobert quitta l'épée pour la soutane, et qu'ayant reçu les Ordres, il fut nommé à un Canonicat de Rouen. La résidence à laquelle il était contraint ne s'accordant guère avec son caractère inconstant et ses goûts mondains, il se fit donner successivement par Richelieu l'Abbaye de Châtillon-surSeine, le Prieuré de la Ferté-sur-Aube, le titre d'Aumônier du roi, et celui de Conseiller d'État, de sorte qu'il aurait été le poète le plus riche de son temps, sans le jeu et la dissolution de ses mœurs. Enfin, il obtint des lettres d'anoblissement pour lui et ses frères, desquels était le Sieur d'Ouville, auteur d'un recueil de Contes célèbres, que Bernard de La Monnoye prétend être de Boisrobert. C'est que, d'après La Monnoye, Boisrobert savait par cœur le Moyen de Parvenir, dont les meilleurs récits du Sr d'Ouville sont extraits. Il est certain, du moins, que ce « grand dupeur d'oreilles », cet anecdotier incomparable qui mimait ses historiettes et singeait les courtisans jusqu'à faire rire aux larmes le Cardinal, connaissait

à merveille le trésor de nos vieilles facéties, et qu'il devait à leur lecture cette aisance française qui fait le plus grand charme de ses Epitres. Il ajoutait, dans ses attitudes et son parler, une niaiserie affectée, que l'on dit familière à Caen, et que Patrix se vantait d'avoir enseignée à Voiture. « Monseigneur, disait au Ministre le médecin Citois, nous ferons tout ce que nous pourrons pour votre santé; mais toutes nos drogues sont inutiles si vous n'y mêlez un peu de Boisrobert.» Aussi le Cardinal se faisait-il accompagner par le « Plaisant abbé », non seulement à la Cour, à Paris, à Rueil, mais encore aux armées et dans tous ses voyages. L'influence d'un tel conseiller aurait pu être désastreuse pour ses confrères en poésie, mais Boisrobert, tout caustique et tout intéressé qu'il fût, portait un cœur charitable qui lui faisait obliger les gens de lettres. Pensions, titres, emplois s'accordaient par son intermédiaire, si bien que Gombauld le surnomma « l'ardent solliciteur des Muses incommodées ». Ce fut sur ses instances que Richelieu, qui n'avait envisagé qu'avec répugnance la fondation de l'Académie, conçut le dessein d'asservir cette société privée à sa politique, et qu'il la consacra officiellement. Les premiers académistes en reçurent le surnom « d'enfants de la pitié de Boisrobert ». Il va sans dire que l'Abbé fut des premiers de l'illustre Compagnie. Mais Richelieu se vit bientôt obligé de disgracier un bouffon qui prenait trop de libertés, et dont Cinq-Mars avait juré la perte. Les « Muses Incommodées », privées de son influence, intercédèrent en sa faveur ainsi que les « Enfants de la pitié », et jusqu'au médecin Citois, qui agitą le spectre de l'Hypocondrie; le coupable lui-même rima une épître irrésistible, et le Cardinal le rappela pour se jeter dans ses bras et l'inonder de ses larmes. Richelieu mourut trois mois après.

Boisrobert, retiré dans son Abbaye de Châtillon-sur-Seine, y trépassa le 30 mars 1662, après s'être repenti d'une vie scandaleuse, qu'on ne peut désigner autrement qu'en évoquant les turpitudes du Satyricon.

BIBLIOGRAPHIE.

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Poésies, dans le Recueil des plus beaux vers de MALHERBE, RACAN, etc., 1626, in-8°; - Lettres, dans le Recueil de FARET, 1627, in-8°; Paraphrase sur les Sept Pseaumes de la Penitence de David, 1627, in-12; - Histoire Indienne d'Anaxandre et d'Orasie, 1629, in-8o, 1636, in-12; — Pyrandre et Lisimène, tragi-comédie, 1633, in-4°; - Le Parnasse Royal et le Sacrifice des Muses ou Poésies diverses à la loüange de Louis XIII et du Card. de Richelieu, recueillies par BOISROBERT, 1635, in-4o; Les Rivaux amis, Tragicomédie, 1639, in-4°; Les deux Alcandres, ou les deux semblables, Comédie, 1640, in-4°; La belle Palene, Tragicomedie, 1642, in-4o; Couronnement de Darie, Tragicomédie, 1642, in-4o; Didon, Tragedie, 1642, in-4°; Les Epitres, 1647, in-4°;

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Le

La vraie

La

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Jalouse d'elle même, Comedie, 1650, in-4°;
Comedie, 1653, in-4°;

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Les

La folle Gageure, Les Trois Orontes, Comedie, 1653, in-4°; Cassandre, Tragicomedie, 1654, in-4°; L'Inconnue, comedie, 1655, in-12; L'Amant ridicule, Comedie, 1655, in-12; généreux ennemis, Comedie, 1655, in-12; La Belle Plaideuse, Comedie, 1655, in-12; La Belle invisible, Comedie, 1656, in-12; Les apparences trompeuses, Comedie, 1656, in-12; Les coups d'Amour et de Fortune, 1656, in-16; Les Nouvelles heroïques et amoureuses, 1657, in-8°; Theodore, Reine de Hongrie, tragicomédie, 1658, in-12; Les Epitres en vers et autres ŒŒuvres Poétiques, 1659, in-8° (seconde partie).

A CONSULTER.

HUET, Origines de Caen;

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Le Menagiana, avec les additions de M. DE LA MONNOYE. TITON DU TILLET, Parnasse franç. BEAUCHAMPS, Recherches sur les Théâtres, t. II. - Lettres de GUY PATIN. GOUJET, XVII, 68. - NICERON, XXXV, 53. TALLEMANT DES RÉAUX, Histor., t. III, éd. Garnier. D'OLIVET, Histoire de l'Acad. LIVET, Précieux et Précieuses, Paris, 1860. PERRENS, Les Libertins en France au XVIIe siècle, Paris, 1899. ÉMILE MAGNE, Le Plaisant Abbé de Boisrobert, fondateur de l'Académie franç., Paris, Mercure de France, 1909, in-18. AD. VAN BEVER, Les Poètes du Terroir, Paris, Delagrave, s. d., t. III. · Maurice AllEM, Anthologie Poét. franç., XVII° siècle, t. I, librairie Garnier. A. T'Serstevens, Le Carton aux Estampes,

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Paris, Mornay, 1922, p. 11I.

EPISTRE

A MONSEIGNEUR LE CARDINAL

Il l'entretient de l'ingratitude des gens de Province.

EPISTRE PREMIÈRE

PRINCE Eminent, qui fournis à l'Histoire
Ce qu'un mortel peut contenir de gloire,
Qui nous soûtiens par la mesme vertu
Qui rend l'orgueil de l'Espagne abattu;
Qui vas ternir les belles advantures
Des siècles vieux et des races futures,
Et qui feras refleurir en nos jours
Un siecle d'or qui durera toujours :
Souffre, au retour d'une terre sauvage,
Qu'en petits vers je t'offre mon hommage.
De mon esprit ne sois pas rebuté :
Dans la Province il ne s'est point gasté.
Reçoy ma Muse en Esclave zelée,

Qui s'est tousjours pour ta gloire immolée,
Et qui conserve encor cét agréement
Qui fit jadis les delices d'Armand.
Certes, je sors d'un Climat triste et rude,
Où je n'ay veu que de l'ingratitude,
Où je fay vou, si tu ne m'y promets
Un grand Employ, de ne rentrer jamais.

Dans ces lieux là, comme aux lieux où nous sommes,
Par la faveur on mesure les hommes.

Mais les humeurs different en ce point

Qu'on souffre icy ceux qui ne servent point;

Mais en Province, on méprise, on offence

Ceux qui pouvoient, et n'ont plus de puissance.

Tu peux, grand Prince, icy m'estre témoin
Que j'ay servy tout le monde au besoin,
Quand, prez d'Armand, cette amante volage
Que je servois, me rioit au visage.
Tous les matins on voyoit arriver,

Drus comme Autheurs, Normands à mon lever
Et, pour servir cette race importune,
J'ay bien souvent hazardé ma fortune.
Tant qu'ils ont veu que faveur m'a duré,
Dieu sçait comment ils m'ont tous honoré :
Si quelque fois j'allois dans la Province,
J'estois par eux régalé comme un Prince;
Les Presidents, qui jamais ne sortoient
Pour visiter, d'abord me visitoient;
Un mois devant, on sçavoit ma venuë,
On me tiroit le chapeau dans la ruë,
On m'adoroit, et les plus apparens
Payoient d'Hozier pour estre mes parens.
J'ay veu tel Noble illustre de naissance,
Qui se vantoit d'estre en mon alliance,
Et me disoit, venant m'entretenir,
L'honneur que j'ay de vous appartenir.
Mais aujourd'hui, qu'on me sent inutile,
On me regarde, en notre bonne ville,
Comme un autre homme; et ces gens si soumis,
Tous ces flatteurs, tous ces parfais amis,
Tous ces zelez qui me faisoient parestre
Un cœur si franc, ont peine à me connestre.
Ceux qui portoient ma gloire jusqu'aux Cieux
Sont devenus mesdisans, envieux;

Mon petit bien les met en frenezie :
Ils ne sçauroient cacher leur jalousie.
Avec ma suitte ils ont peine à me voir,
Et ces sots-là ne peuvent concevoir
Par quelle adresse, attrapant une crosse,
J'ay peu mener les Muses en carrosse.

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