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A voir tant de Porteurs et de Chars se ranger
Autour de la maison que tient la Duverger;
A voir de cent Laquais l'indocile cohorte
Entonner Taupe et Masse à côté de sa porte,
On croiroit, tout d'abord, que le Logis est fait
Pour tenir les Etats d'un fameux Lansquenet.
Non, non, c'est un endroit où, sur la foi des Astres,
La Sibile promet Biens, Grandeurs, ou Desastres,
Et, pour quelques écus serrez avidement,
Promène un Curieux par tout le Firmament.
Mainte Femme y fait faire une celeste épreuve
Pour obtenir bien-tost un doux Brevet de Veuve,
Tandis qu'au même instant un Tendron curieux
Pour un Brevet d'Epouse importune les Cieux.
C'est là que, fort souvent, C*** vient, en colere,
Pour demander raison du Teint frais de son Pere.
Quoi! les Astres n'ont point, pour vanger cet abus,
Ni Fievre, ni Transport, ni Colera-Morbus?
A quoi tient-il encor que cette Vieille Fille
N'aille à Saint Innocent rejoindre sa Famille,
Et te mette un beau jour ses Neveux indigens
Pour trois Ais de sapin à l'abri des Sergens?
Voilà, mon cher Daphnis, un leger Catalogue
De ce qui met si fort les Sibiles en vogue.
Mais souvent, la maison d'une adroite Jobin
Recele les transports de quelque heureux Blondin,
Qui, pendant que la Vieille est au Ciel de la Lune,
Cherche au Ciel de Venus à pousser sa fortune,
Et le beau Sexe, alors, docile et complaisant,
Laisse là l'Avenir pour jouïr du Present.

Mais j'entens Juvenal, en figures pompeuses,
Picquer jusques au vif ces Megeres affreuses,
Qui, de maint Champignon farcissant des Ragousts,
Se font bien-tost raison d'un incommode Epoux.
Grace au Ciel, s'il nous reste encor des Messalines,

Notre siecle, à la fin, est purgé d'Agrippines,
Et quel Monstre à Louis est en droit d'échaper?
Non, ce n'est plus le temps qu'on se sentoit frapper
D'un venin trop subtil, qui, coulant dans les veines,
Faisoit bien-tost vacquer les Fiefs et les Domaines.
Vous pouvez maintenant, Chanoines bien rentez,
Jouer gros Jeu l'Hiver, boire au frais les Estez,
Sans craindre qu'une Nièce, implacable Furie,
Anticipe pour vous la grosse Sonnerie.

Et toy, que la Fortune a paitri de ses mains,
Qu'elle a tiré du Corps des Lafleurs, des Jasmins,
Toy qu'elle fait tourner fiérement sur son Axe,
Florestan, tu n'as plus à craindre qu'une Taxe.

Pour vous qui, fourageant jadis chez les Maris,
Voulez restituer ce que vous avez pris,

Galans qui, vous chargeant d'un Tendron domestique,
Allez à vos Voisins fournir de la Pratique :
Loin de vous détourner d'une bonne Action,
Courage, remplissez votre Vocation,

Mais souvenez-vous bien que la Brune et la Blonde
Noyeroient pour doguins tous les Maris du Monde !

(Satire Nouvelle contre les Femmes, 1698.)

BONNECORSE

Balthazar de Bonnecorse naquit à Marseille, à une date indéterminée. Il fut nommé consul de France au Caire et à Seïde en Phénicie. Un voyageur, qui signa des initiales D. S. A. une relation de son séjour en Galilée publiée en 1670, fut bien accueilli par Bonnecorse et accomplit une partie de son voyage en sa compagnie. Il en laissa un véritable panégyrique. « C'est un homme de grand mérite, dit-il qui semble ne prendre plaisir qu'à en faire (sic), et qui le fait si heureusement qu'il s'est gagné icy tous les cœurs dans une charge où il est presque impossible d'estre aimé de tous et de contenter tout le monde, à cause de la diversité des intérêts de ceux qui y trafiquent. » Il ajoute que Bonnecorse est méticuleusement observateur du Culte, et qu'il est très versé dans la connaissance et la pratique des Belles-Lettres. Ce n'était pas l'avis de Boileau qui, dans le Chant V du Lutrin, fut assez méprisant pour la Montre d'Amour. C'est dans le Combat des Chanoines couvrant Evrard de projectiles, v. 142:

L'un prend l'Édit d'Amour, l'autre saisit la Montre.

La Montre d'Amour est un opuscule « précieux » que Bonnecorse composa dans sa résidence et qu'il envoya à Georges de Scudéry. Celui-ci la fit imprimer en 1666. Les Scudéry, mâle et femelle, La Fontaine et Pellisson étaient de ses amis; au dire du Dictionnaire de Provence, ils estimaient ses productions. Il devait entrer quelque politesse dans cette estime si elle ne datait que de la Montre d'Amour où se trouvent énumérées heure par heure « les voluptés d'un amant qui, tout le jour, braque sa pensée sur les beautés de sa dame ». Le lecteur s'en fatigue pour l'auteur. Mais enfin, un livre aussi innocent dans ce genre que les Amourettes de Le Pays ne méritait pas au pauvre Bonnecorse un ridicule immortel. L'auteur, étant à Paris, s'en plaignit à Bernier, l'élève de Gassendi, pour qu'il fît revenir Boileau sur son jugement. Le Satirique répondit qu'il n'avait pas lu la Montre, et même qu'il ne la lirait point, le sujet lui déplaisant.

C'est alors que Bonnecorse, au lieu de se conduire en homme d'esprit, résolut malheureusement de se venger en parodiant le Lutrin. Son poème héroï-comique parut à Marseille, en 1686, sous le titre de Lutrigot, et l'on vit bien que le génie de la victime était fort au-dessous de sa rancune. Il en adressa le premier exemplaire à M. de Vivonne, et il écrivit, le 4 mars, une lettre ridicule à un correspondant, dans laquelle il se flattait d'avoir réduit son ennemi au silence (cf. Bull. du Biblioph., 1882, p. 312). Boileau riposta au Lutrigot par une épigramme méprisante, qui, d'ailleurs, n'est ni lapidaire ni spirituelle :

Venez, Pradon et Bonnecorse,

Grands Escrivains de mesme force,
De vos vers recevoir le prix:
Venez prendre dans mes Escrits

La place que vos noms demandent,
Linière et Perrin vous attendent.

La Montre, cause de tant de bruit, reparut, augmentée de la Boète et du Miroir, en 1671, et fut reprise dans le Recueil La SuzePellisson en 1691.

Un rédacteur de la Biographie Didot, caché sous les initiales V. R., doute qu'il se rencontre « un écrivain assez courageux » pour reviser le jugement de Boileau et signaler au public les beautés de la Montre de la Boête et du Miroir. Si le dédaigneux V. R. avait pris la peine de lire le Poète Sincère, qu'il ne signale pas dans son article, il y aurait trouvé XIII Discours ou Satires qui peuvent faire revenir de la mauvaise idée que l'on se forme de Bonnecorse d'après ses œuvres antérieures et l'exécution sommaire de Despréaux. Ces Discours roulent en grande partie sur la Mode, la Cour, le Désir de paraître, la Médecine, les Poètes, le Mariage, les Abbés, l'Intérêt et l'Alchimie. Ils ne manquent ni d'élégance ni de légèreté, et rappellent par ces qualités les satires de Louis Petit. Le courage dont parle V. R. n'est, en l'occurrence, que de prendre un livre et de le lire.

Bonnecorse mourut à Marseille en 1706. On signale de lui des vers latins imprimés en 1667. Ses œuvres complètes ont été publiées à Leyde, sous le titre de Poësies; le fâcheux Lutrigot y est augmenté de X Chants.

BIBLIOGRAPHIE.

· La Montre, Paris, 1666, in-12;

La Montre, seconde partie, contenant la Boête et le Miroir, Paris, 1671, in-12; · L'Amant raisonnable, Paris, 1671, in-12 et 1687, in-12, pour ces deux ouvrages; Le Lutrigot, poème héroïque, Marseille, 1686, in-12, Amsterdam, 1686, in-12; autre éd. s. 1. n. d., in-12 de 40 p. su l'imprimé de Marseille; Toulouse, et Lyon, s. 1. n. d.; Psaumes Le Poète Sincère, ou les

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de la Pénitence, Marseille, 1693, in-12;

Vérites du Siècle, poème héroïque, divisé en treize discours et en dix chants: première édition (sic), Anvers, Jacques le Censeur, à la Vérité, 1698, in-12 (le Lutrigot y est augmenté de X Chants et de plus de 800 vers); Poésies de M. de Bonecorse (sic), Leyde, 1720, pet. in-8° (les XIII Discours ne s'y trouvent pas).

A CONSULTER.

Dict. de la Provence et du Comtat-Venaissin, Marseille, 1786. — D. S. A., Le Voyage de Galilée, Paris, 1670 (B. N. o2 f. 355). Biographie Didot. PAUL OLLIVIER, Cent Poètes

III, 221.

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Lyriques, t. IV; — FRÉDÉR. LACHÈVRE, Rec. Collect. de Poés. XVIIe s., FERNAND FLEURET et LOUIS PERCEAU, Satires de Mœurs du XVIIe siècle, La Sirène.

DISCOURS XII

Damon, dois-je appeller ou bonheur ou malheur
D'avoir esté conduit chez ce fameux Soufleur,
Digne de son sçavoir et de sa renommée
Par sa petite taille, et sa barbe enfumée ?
Pour avoir le plaisir de l'entendre un moment,
Je composay mon air assez heureusement :
En effet, il me prit, sur ce peu d'apparence,
Pour un predestiné dans la haute science,
Et, me faisant marcher sur un tas de vaisseaux
Il me meine à pas lents où sont tous ses fourneaux.
Là je ne vois que feux, que cendres dispersées,
Que mille saletez avec soin amassées;
Tout paroit à mes yeux effroyable et nouveau.
Une puante odeur penetroit mon cerveau.
Il preparoit, je crois, quelque matiere étrange,
Ou faisoit pour le moins distiller de la fange.

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