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Rien n'échape à leur langue : intrigues, brouilleries,
Avantures de Jeu, de Bain, de Tuilleries.
Pour un Epoux, enfin, rien n'est plus desolant
Que d'avoir en sa femme un Mercure Galant
Qui ne tarit jamais sur tous les Mariages,

Les Baptêmes, les Morts, les Combats, les Naufrages,
Mais qui peut concevoir la volubilité

Dont chaque évenement par le Sexe est conté :
Quand sur la moindre affaire une Femme harangue,
L'Opara ne fait pas plus de feu que sa langue.

Dieu te preserve encor de ces Objets chagrins
Qui font un beau matin assigner les Voisins,

Sous ombre que les Chats, bourgeois de leurs goutieres,
Ne leur ont pas permis de fermer les paupieres :
Elles voudroient, Daphnis, par de nouvelles loix
Evincer les Matoux de l'empire des Toits.

En vain, le Commissaire, en paroles sotmises,

Leur dit qu'il faut laisser les Chats dans leurs franchises;
Par une Politique aisée à concevoir,

Bien-tost leur amour propre en appelle au Miroir.
« Voiez, voiez plûtost, dit Cloris en colere,
Si c'est là ma couleur ou mon teint ordinaire :
Voilà ce que les Chats cette nuit m'ont coûté;
Le crime n'est pas moins que de leze-Beauté. »
Sur un si beau pretexte elle auroit le courage
De faire decreter contre le Voisinage;
Ou du moins, s'il fallait adherer à ses cris,
Tous les Chats serviroient de Manchon à Cloris.

Il nous revient, Daphnis, une autre Extravagante,
Et c'est ce qu'à Paris l'on nomme une Sçavante:
Femme qui, sans relâche, en ses moindres discours,
Mène en lesse Patru, Vaugelas, et Bouhours;
Qui, de mots singuliers faisant la découverte,
Aux beaux Esprits du Temps tient toûjours Table ouverte;

C'est par son entremise et ses doctes travaux
Qu'on a vû si long-temps regner le mot de Gros;
C'est elle qui prend soin d'élever jusqu'au Trône
Le François retourné du moderne Petrone;
C'est chez elle qu'on fait les Menagiana,
Et tant de Pots pourris terminez en Ana.
Malheur à tout Mari dont la Femme compose !
On le fait enrager en Vers ainsi qu'en Prose.
Quand Madame, traittant quelque Roman nouveau,
Sur le choix d'un Héros s'agite le cerveau,
Pour peu que le Mari se presente en profane
Dans le temps qu'elle ébauche ou Cirus ou Mandane,
On l'entend s'écrier d'une dolente voix :

« Je cherchois un Heros, et je trouve un Bourgeois !
Quoy! Monsieur, ferez-vous toûjours des Disparates?
Que ne m'épargnez-vous vos visites ingrates?
Dans mon Tome Premier je ne fais rien qu'entrer,
Et vous vous avisez, Cruel, de vous montrer !
Apprenez de Cirus qu'en galante coûtume
On ne souffre un Mari qu'au dixième Volume. »
Voilà comme l'Hymen apprête de chagrins
Aux gens infatuez de quelque Desjardins.

Mais crois-tu que l'on fasse une meilleure affaire
En chassant aux Ecus d'une laide Heritiere,
Qui entend qu'un gros bien, par Contrat apporté,
Merite les égards qu'on doit à la Beauté?
A force d'étaler son Luxe et sa Dépense,
Elle croit d'un Epoux défier l'indolence,
Et se plaint hautement, lors qu'il ne répond pas,
Aux peines qu'elle perd à chercher des appas.
Malheureux mille fois le Mari qui se joue
A cueillir un baiser sur sa gluante joue!
Ses lèvres, s'y sentant d'abord enraciner,
Font un ferme propos de n'y plus retourner.

Comment l'entendent donc nos modernes Coquettes,
Dont tous les agrémens roulent sur leurs Toilettes ?
Pensent-elles toûjours nous fasciner les yeux?
Quoi? lorsque l'on surprend ces Objets gracieux,
Sur leur Teint, rehaussé quelquefois de six couches,
Opposer à l'instant le contraste des Mouches!
Lors qu'à mainte Philis, de qui l'œil l'a blessé,
Un Amant voit le Teint de cent Drogues graissé,
Peut-il bien démêler, parmi cet étalage,

Ou si c'est un Ulcere, ou si c'est un Visage?
Il faut voir cependant quelles sont leurs fureurs
Quand personne ne mord à leurs piéges flatteurs;
Elles ont parcouru cent fois la grande Allée
Sans qu'aucune Cervelle en ait parû troublée;
On ne s'est point assez récrié sur leur Air;
Ce Duc, en les voyant, a fui comme un éclair :
C'en est assez pour dire un Volume d'injures
A celle qui prit soin d'ajuster leurs coëffures;
Vous verrez qu'elle doit patir de leurs défauts :
C'est elle qui leur fait trouver le nez si gros.
Elles voudroient charger une pauvre Soubrette
D'une faute, Daphnis, que la Nature a faite;
On luy jette de rage à la teste ses Plombs,
Poudre, Paste, Pommade, et Pots à Vermillons,
Mouches, Peignes, Miroirs, Eau de Reine d'Hongrie,
Enfin, de la Beauté toute l'Artillerie.

Ont-elles dans l'esprit quelque projet de Bal,
Ce sont des mouvemens à qui rien n'est égal:
Chacune, à ses attraits mesurant son courage,
Pretend de la Carriere emporter l'avantage;
On tient à cet effet un Conseil de Beauté,
Où de donner sa voix chacun a liberté.
Comme Chef du Conseil, Monsieur l'Abbé Goguette,
Pour ne point se tromper consultant sa Lorgnette,
Opine le premier, d'un ton plein de douceur,

Qu'il faut charger ses yeux d'un peu plus de langueur.
Madame Muscadin, Coquette du haut stile,
Bannit de la Coeffure un Crochet indocile,
Enseigne à gourmander l'Impétuosité
D'une Gorge qui flotte avec témérité.
Un jeune Senateur, non des moins ridicules,
Sur le beau tour des bras propose ses scrupules,
Décide si la Mouché est placée avec art,

Et s'il ne manque point quelque doze de fard.
Pour comble d'agrémens, un fameux petit Maître,
Par son bruit éclatant se fait bien-tost connoître,
Et trouve, en opinant de l'œil et de la main,
Que la Steinkerque joue un peu trop sur le Sein.
Enfin, l'on prend cent fois l'avis de l'Assistance,
Et sur chaque suffrage on hesite, on balance;
Mais on ne s'en tient pas toûjours à ce Scrutin :
Le fidèle Miroir détermine à la fin.

C'est là qu'on adoucit certains yeux trop farouches;
C'est là qu'on s'étudie à bien poser les Mouches;
C'est là que mainte bouche apprend, à peu de frais,
A rire sans commettre en rien ses interests;
C'est là qu'en entassant les Crestes sur les Crestes,
Les Femmes d'apresent échaffaudent leurs testes;
Là, sur du Fil-d'Archal plus d'un Bonnet monté,
Allonge des deux tiers une courte Beauté :
Aussi, pour bien juger de la Taille des Belles,
Il faudroit défalquer les secours infidéles
Qu'on tire des Tours blonds, Fontanges, et Patins;
Il faudroit les surprendre au lit tous les matins,
Car, hors de là, souvent, la moindre Creature
Devient un vrai Colosse en Coëffure et chaussure.
Après cela, Daphnis, ne conclurrons-nous pas
Que le Sexe est trompeur du haut jusques en bas?
J'en appelle témoin mainte et mainte Bigote,
Qui de son Directeur fait toute sa Marote;

Qui, sous ombre qu'elle est toûjours dans l'Oraison,

Répand sur le Prochain un doucereux poison,
Et menace déja, par ses saintes allarmes,
Tout le Calendrier de son Nom et ses Armes.
Entrons dans le Dortoir de la Prude Doris :
Chaque Objet du grand monde y prêche le mépris,
A ses soins scrupuleux pas un endroit n'échape,
Chacun de ses Ecrans represente la Trappe;
Elle ne croiroit pas ses gens de bonnes mœurs
S'ils n'étoient habillez par les Freres Tailleurs.
A l'entendre parler, c'est une chose infame

Que de voir un grand More aux Trousses d'une Dame;
Elle vient de chasser certain Suisse si gros

Pour avoir refusé de supprimer ses Crocs;
Et qui pourroit, chez elle, entrer en concurrence
Avec celuy qu'on voit regler sa Conscience?
N'est-ce pas, n'est-ce pas le Docteur Rubicon
Qui tient le Gouvernail de toute la maison?
C'est luy qui, foudroyant les Excez de la Table,
Ne defend pas, pourtant, une Chere agréable,
Et décide combien, sans estre criminel,

Un Ragoust peut porter ou de poivre ou de sel;
C'est luy qui, d'un Mari trop tendre pour sa Femme,
Retient, de peur d'abus, l'impetueuse flamme;
Au moindre mal qui vient troubler son embonpoint,
Tout son pieux Serrail ne dort, ne mange point;
Aussi-tost, de voler Sirops de Capilaire,

Consommez, Restaurans; rien ne manque au bon Pere,
Et quelle cruauté de n'oser pas le voir

A chaque heure du jour dans ce charmant Dortoir,
Où l'odeur des Parfums, chez ces zelez Manœuvres,
Surpasse de beaucoup l'odeur des bonnes Œuvres !

Parlerai-je, à present, de plus d'une Beauté
Qui veut de l'avenir percer l'Obscurité,
Et qui, pour soulager son esprit en détresse,
Court montrer le Pié gauche à la Devineresse?

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