Ce noir soupçon t'outrage: eh bien! tu n'as que peur. Le nombre d'ennemis t'épouvante et te glace. Aux rayons de Phébé, plein d'une horreur secrète, De tes braves aïeux l'intrépide assurance? N'entends-tu pas leur voix te dire au fond du cœur : Le plus grand des héros fait son affaire unique, Portez aux ennemis ce défaut de courage, O Rome! ô des vertus admirable modèle ! On arme les enfants, les femmes, les vieillards; Au trop bouillant Varron, cause de cette chute, Sur ce qu'en ce revers son courage assuré Pendant que le secours marche par une porte, Par l'autre, pour l'Espagne, ils ordonnent qu'on sorte. Et, les favorisant sur la terre et sur l'onde, Ne suffit-elle pas pour notre sûreté? Ni par effort humain, ni par courroux céleste, C'est assez, Polyphile, il faut que tu sois fou, De mes expressions les couleurs sont trop fortes : C'est sur nos ennemis que vole la terreur. Il sied mal aux vainqueurs de manquer de courage; Des affaires du temps explique mieux la suite; (Satyres nouvelles, 1695.) FRANÇOIS GACON François Gacon naquit à Lyon, le 16 février 1667. Son père, notable négociant, le destinait au commerce, mais, loin de se prêter à ces vues, le jeune homme continua ses études et entra dans la Congrégation de l'Oratoire. Il y professa cinq ans la philosophie et la Théologie. Comme il semblait vouloir embrasser l'état ecclésiastique, sa famille lui acheta une charge de Clerc de Chapelle chez le Duc d'Orléans. Mais cet emploi gênant ses goûts, il le quitta bientôt pour se donner tout entier à la Poésie, et surtout à la Satire. « Il ne paroissoit aucun ouvrage pour le Théâtre, soit comédie, soit Opéra, soit Tragédie, dit Nicéron, que le Poète sans fard ne lâchât une Épigramme, ou contre l'Auteur, ou contre la Pièce, souvent même avant qu'elle eût été représentée. Enfin, toujours prêt à attaquer et à se défendre, il se mêla indistinctement dans toutes les disputes littéraires de son temps... » Son recueil du Poète sans fard lui valut des coups de bâton et un emprisonnement de quelques mois. Il s'en prenait à tout le monde, à Boileau, Bossuet, Fontenelle, La Motte, Pradon et J.-B. Rousseau. L'Académie, voulant faire connaître son intégrité, lui donna le prix de poésie de 1717, mais elle le lui fit remettre par l'abbé de Choisy, pour se dispenser de recevoir les remerciements publics d'un écrivain aussi décrié et qui avait attaqué presque tous ses membres. Lamotte, une des victimes de Gacon, à qui l'on demandait les raisons de son silence vis-à-vis du satirique, fit une réponse qui donne la mesure du peu d'estime qu'on lui portait : « On n'a rien à gagner avec ceux qui n'ont rien à perdre. » On a prétendu que Gacon se serait vendu à Regnard, qui l'aurait employé à reviser ses pièces, et surtout à le défendre de ses ennemis. A la fin, rebuté par tant de combats, le bravo» littéraire, se souvenant qu'il avait jadis reçu la tonsure, sollicita le Prieuré de Notre-Dame de Baillon, dans le Diocèse de Beauvais. Il en prit possession en 1723; il y termina ses jours le 15 novembre 1725. Gacon versifiait avec facilité, trop de facilité même, car il ne mettait jamais la dernière main à ses ouvrages; il avouait qu'il ne pouvait se résoudre à corriger ses négligences. La malignité de ses satires personnelles, leur médiocrité, les mauvais procédés dont il usa contre J.-B. Rousseau en publiant ses œuvres à Rotterdam, augmentées d'un tome de sa façon où il fit entrer des rondeaux injurieux contre le poète, ne peuvent lui attirer l'estime des honnêtes gens et des gens de goût, même après plus de deux siècles que ces disputes ne sont plus pour nous que des curiosités littéraires. BIBLIOGRAPHIE. Epitre à Monsieur D*** (Despréaux) sur son Dialogue ou Satire X contre les femmes par le Sr G*** (Gacon), Lyon, 1694, in-4°; Le Poëte sans fard, ou discours Satyriques en vers, Cologne (Lyon), 1696, in-12; le même sous ce titre : Le Poëte sans fard, contenant Satyres, Epitres, Epigrammes sur toutes sortes de sujets, à Libreville, chez Disantvray, à l'Enseigne du Miroir qui ne flatte point, 1698, in-12 (Rouen); - le même sous le premier titre, Bruxelles, 1701, in-12; Emblemes et Devises Chrétiennes; ouvrage mêlé de Prose et de Vers, Lyon, 1700, 1714 et 1718, in-12; Les Odes d'Anacréon et de Sapho, en vers françois, Rotterdam, in-12; L'Anti-Rousseau, Rotterdam, 1712, in-12; Histoire Satirique de la vie de M. Rousseau, 1714; Homere vengé, ou Réponse à M. de la Motte sur l'Iliade, Paris, 1715, in-12; Secrétaire du Parnasse, Paris, 1723 et 1724, in-8°; de M. DE LA MOTTE traduites en vers français, par P. S. F., Au Caffé du Mont Parnasse, in-8; Journal satirique intercepté, ou apologie A CONSULTER. Le Les Fables Journal Littéraire de La Haye, t. VI, p. 452. GOUJET, t. IV. NICERON, t. XXXVIII. TITON DU Tillet, Parn. franç. · Revue rétrospective, 1834, II, 149; BULLETIN DU BIBLIOPH., 1856, 709. FRÉDÉR. LACHÈVRE, Rec. Collect. XVIIe siècle, III, 343; IV, 114. FERNAND FLEURET et Louis PERCEAU, Satires de Mœurs du XVIIe siècle, La Sirène. |