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Ce noir soupçon t'outrage: eh bien! tu n'as que peur.
Lorsque de toutes parts l'orage nous menace,

Le nombre d'ennemis t'épouvante et te glace.
Ainsi, le voyageur dans la nuit égaré,
Traversant la forêt d'un pas mal assuré,

Aux rayons de Phébé, plein d'une horreur secrète,
Croit qu'une ombre bizarre est un loup qui le guette,
Et veut que des hibous les cris indifférents
Soient des esprits malins ou des mânes errants.
As-tu donc oublié, démentant ta naissance,

De tes braves aïeux l'intrépide assurance?

N'entends-tu pas leur voix te dire au fond du cœur :
Quoi! vous êtes françois, lâche! et vous avez peur?
Lorsque de cimenter la sûreté publique

Le plus grand des héros fait son affaire unique,
D'une vaine terreur vos yeux sont éblouis,
Soutenu, protégé, défendu par Louis?

Portez aux ennemis ce défaut de courage,
Allez ! de vos serments la France vous dégage;
Elle hait des frayeurs qui pourroient la troubler,
Et ne veut point d'enfant capable de trembler !

O Rome! ô des vertus admirable modèle !
Que ta fermeté plaît ! que ta constance est belle!
Que j'aime tes écrits qui me viennent offrir
Tes talents merveilleux pour faire et pour souffrir!
Lorsqu' Annibal, vainqueur en trois grandes batailles,
De ces enfants de Mars hâte les funérailles,
Quand de leurs chevaliers entassés en monceaux
Il se fait mesurer les bagues par boisseaux,
Rome écarte la crainte et les terreurs profanes,
Frémit, plus fière encore après Trébie et Cannes;
L'audace avec l'espoir brillent de toutes parts,

On arme les enfants, les femmes, les vieillards;

Au trop bouillant Varron, cause de cette chute,
Pour le complimenter tout le peuple députe,

Sur ce qu'en ce revers son courage assuré
Du salut de l'Etat n'a point désespéré.

Pendant que le secours marche par une porte,

Par l'autre, pour l'Espagne, ils ordonnent qu'on sorte.
Le tranquille préteur ose vendre à l'encan
Le terrain qu'Annibal occupe par son camp,
Et l'acheteur, marqué d'un pareil caractère,
Plus haut qu'en pleine paix ose pousser l'enchère.
A voir de ces grands cœurs le courageux effort,
La fortune rougit et se donne le tort,

Et, les favorisant sur la terre et sur l'onde,
Couronne leur vertu de l'empire du monde.
Si la frayeur te laisse un peu de jugement,
Je m'en vais te guérir d'un seul raisonnement.
Supposons que le ciel, pour punir nos offenses,
De l'empire françois abatte les défenses,
Que le Rhin mis à sec, de son gouffre profond,
A nos fiers ennemis ait découvert le fond;
Que Cybèle en courroux, hâtant nos destinées,
Aplanisse en tremblant Alpes et Pyrénées :
La valeur de Louis, jointe à sa piété,

Ne suffit-elle pas pour notre sûreté?

Ni par effort humain, ni par courroux céleste,
Nous ne pouvons périr tant que Louis nous reste.

C'est assez, Polyphile, il faut que tu sois fou,
Ou tu vas devenir plus zélé que B***.

De mes expressions les couleurs sont trop fortes :
Annibal ni Pyrrhus ne sont point à nos portes;
Et si Mars irrité fait tonner sa fureur,

C'est sur nos ennemis que vole la terreur.
Souffre que la raison de ta peur te dégage :

Il sied mal aux vainqueurs de manquer de courage;
C'est flétrir les lauriers qui nous couvrent le front;
C'est faire au nom françois un immortel affront.

Des affaires du temps explique mieux la suite;
Du Dieu que nous servons vois sur nous la conduite;
Et pour rendre le calme à ton cœur étonné,
Songe, en un mot, quel roi le ciel nous a donné.

(Satyres nouvelles, 1695.)

FRANÇOIS GACON

François Gacon naquit à Lyon, le 16 février 1667. Son père, notable négociant, le destinait au commerce, mais, loin de se prêter à ces vues, le jeune homme continua ses études et entra dans la Congrégation de l'Oratoire. Il y professa cinq ans la philosophie et la Théologie. Comme il semblait vouloir embrasser l'état ecclésiastique, sa famille lui acheta une charge de Clerc de Chapelle chez le Duc d'Orléans. Mais cet emploi gênant ses goûts, il le quitta bientôt pour se donner tout entier à la Poésie, et surtout à la Satire. « Il ne paroissoit aucun ouvrage pour le Théâtre, soit comédie, soit Opéra, soit Tragédie, dit Nicéron, que le Poète sans fard ne lâchât une Épigramme, ou contre l'Auteur, ou contre la Pièce, souvent même avant qu'elle eût été représentée. Enfin, toujours prêt à attaquer et à se défendre, il se mêla indistinctement dans toutes les disputes littéraires de son temps... » Son recueil du Poète sans fard lui valut des coups de bâton et un emprisonnement de quelques mois. Il s'en prenait à tout le monde, à Boileau, Bossuet, Fontenelle, La Motte, Pradon et J.-B. Rousseau. L'Académie, voulant faire connaître son intégrité, lui donna le prix de poésie de 1717, mais elle le lui fit remettre par l'abbé de Choisy, pour se dispenser de recevoir les remerciements publics d'un écrivain aussi décrié et qui avait attaqué presque tous ses membres. Lamotte, une des victimes de Gacon, à qui l'on demandait les raisons de son silence vis-à-vis du satirique, fit une réponse qui donne la mesure du peu d'estime qu'on lui portait : « On n'a rien à gagner avec ceux qui n'ont rien à perdre. » On a prétendu que Gacon se serait vendu à Regnard, qui l'aurait employé à reviser ses pièces, et surtout à le défendre de ses ennemis. A la fin, rebuté par tant de combats, le bravo» littéraire, se souvenant qu'il avait jadis reçu la tonsure, sollicita le Prieuré de Notre-Dame de Baillon, dans le Diocèse de Beauvais. Il en prit possession en 1723; il y termina ses jours le 15 novembre 1725.

Gacon versifiait avec facilité, trop de facilité même, car il ne

mettait jamais la dernière main à ses ouvrages; il avouait qu'il ne pouvait se résoudre à corriger ses négligences. La malignité de ses satires personnelles, leur médiocrité, les mauvais procédés dont il usa contre J.-B. Rousseau en publiant ses œuvres à Rotterdam, augmentées d'un tome de sa façon où il fit entrer des rondeaux injurieux contre le poète, ne peuvent lui attirer l'estime des honnêtes gens et des gens de goût, même après plus de deux siècles que ces disputes ne sont plus pour nous que des curiosités littéraires.

BIBLIOGRAPHIE.

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Epitre à Monsieur D*** (Despréaux) sur son Dialogue ou Satire X contre les femmes par le Sr G*** (Gacon), Lyon, 1694, in-4°; Le Poëte sans fard, ou discours Satyriques en vers, Cologne (Lyon), 1696, in-12; le même sous ce titre : Le Poëte sans fard, contenant Satyres, Epitres, Epigrammes sur toutes sortes de sujets, à Libreville, chez Disantvray, à l'Enseigne du Miroir qui ne flatte point, 1698, in-12 (Rouen); - le même sous le premier titre, Bruxelles, 1701, in-12; Emblemes et Devises Chrétiennes; ouvrage mêlé de Prose et de Vers, Lyon, 1700, 1714 et 1718, in-12; Les Odes d'Anacréon et de Sapho, en vers françois, Rotterdam, in-12; L'Anti-Rousseau, Rotterdam, 1712, in-12; Histoire Satirique de la vie de M. Rousseau, 1714; Homere vengé, ou Réponse à M. de la Motte sur l'Iliade, Paris, 1715, in-12; Secrétaire du Parnasse, Paris, 1723 et 1724, in-8°; de M. DE LA MOTTE traduites en vers français, par P. S. F., Au Caffé du Mont Parnasse, in-8; Journal satirique intercepté, ou apologie

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A CONSULTER.

Le

Les Fables

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Journal Littéraire de La Haye, t. VI, p. 452. GOUJET, t. IV. NICERON, t. XXXVIII. TITON DU Tillet, Parn. franç. · Revue rétrospective, 1834, II, 149; BULLETIN DU BIBLIOPH., 1856, 709. FRÉDÉR. LACHÈVRE, Rec. Collect. XVIIe siècle, III, 343; IV, 114. FERNAND FLEURET et Louis PERCEAU, Satires de Mœurs du XVIIe siècle, La Sirène.

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