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ANTOINE BAUDERON DE SENECE

Antoine Bauderon naquit le 27 octobre 1643, à Mâcon, d'une famille bourgeoise originaire de Paray-le-Monial, qui s'était enrichie durant un siècle par le travail et les alliances. Elle avait ajouté à son nom celui de la terre de Senescey-lèz-Mâcon qu'elle avait acquise, et qui la faisait confondre avec les Beaufremont-Senescey, dont parle Saint-Simon. Sénecé fut habitué de bonne heure par son père, le magistrat Brice Bauderon, à la pompe du style et des allégories, et ce fut lui que l'on chargea de haranguer l'évêque Jean de Lingendes quand il prit possession de son siège de Mâcon. Sénecé n'avait alors que neuf ans: son père crut qu'il serait un grand orateur pour avoir annoncé, avec « l'ardeur d'un esprit philosophique », le triomphe de la foi, la défaite de l'hérésie et la gloire de l'Église. Dans cette espérance il le destina à la magistrature. Une telle perspective ne sourit pas au jeune poète. Ses études achevées au Collège de Clermont, il se fit pourtant recevoir avocat, • quant au reste, dit Émile Chasles, il hésita, et l'hésitation dura si longtemps que ses cheveux grisonnèrent avant qu'il pût se décider ». Il partageait son temps entre les Muses et la galanterie; la Cour devint son rêve, mais, comme il s'y préparait en prenant les habitudes d'un homme à la mode, un duel l'obligea de se réfugier à Turin, où l'accueillit le duc Charles-Emmanuel II. Après un séjour de deux années en Espagne, il revint à Mâcon pour épouser Henriette Burnot de Blenzy, fille de l'intendant de la duchesse d'Angoulême. Protégé par la duchesse, Sénecé put acheter la charge de Valet de chambre de la reine, habiter la cour, et réaliser ainsi son plus ardent désir. Espérant devenir le successeur de Voiture et de Benserade, il concourait pour le prix des bouts-rimés de la princesse de Conti, envoyait des vers à ses protecteurs, rimait des madrigaux et des épigrammes, ou faisait échange d'esprit avec la malicieuse Deshoulières. Il se rangea dans la coterie du duc de Nevers contre Racine et Despréaux, reprochant à l'un son orgueil, à l'autre la Satire contre les femmes. On le voyait, néanmoins, applaudir Molière aux côtés de son fidèle Bellocq. La vie brillante de Sénecé dura dix ans. En 1683, la reine étant morte, Sénecé vit du même coup

s'écrouler sa fortune, déjà quelque peu atteinte par la mort de la duchesse d'Angoulême. Il retourna dans sa province pour y attendre les effets de la faveur royale, mais il vit ses espérances s'évanouir et ses ressources diminuer, bien qu'il eût chargé ses amis Bellocq et le marquis de Digoine de le rappeler à ses anciens protecteurs, Noailles, Dangeau et le Cardinal Fleury. Il vécut ainsi modestement sur son bien, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans, après avoir vu mourir ses amis, sa femme et plusieurs de ses enfants -il en avait eu huit. Le doyen des poètes français, qui s'obstinait à représenter dans le Mercure la tradition de la poésie de cour, mourut le 1er janvier 1737.

« Il n'a pas, disait Palissot, une célébrité égale à son mérite, ce qui prouve que les réputations ont aussi leur destinée. Il est vrai qu'il n'a laissé qu'un petit nombre de pièces fugitives, défigurées par quelques négligences, mais pleines d'une imagination singulière, d'expressions souvent très-heureuses, de poésie, enfin, et très-supérieures à tous les recueils des Benserade, des Segrais, des Pavillon, qui cependant sont plus connus que cet écrivain. » Sénecé, dont l'œuvre n'était pas toute réunie du temps de Palissot, a écrit dans presque tous les genres, contes, satires, épîtres, épigrammes, opéras, tragédies, comédies, dissertations, etc.; mais il a surtout brillé dans le Conte et la Satire par des qualités de grâce et d'aisance qui lui étaient naturelles, mais qu'il sut affiner par l'étude de Marot et de La Fontaine.

BIBLIOGRAPHIE. Lettre de Clément Marot à M. de *** touchant l'arrivée de Lulli aux Champs-Elysées, Cologne, 1688, in-12; Satires Nouvelles, Paris, 1695; - Epigrammes et autres pièces avec un traité de la composition de l'épigramme, Paris, 1717, in-12; Paraphrase des psaumes de David, Mâcon, 1722, in-4o; Euvres Complètes, Paris, 1805, et 1806, in-12, sous le titre d'Euvres Diverses; Lettre de Clément Marot, Lyon, 1825; Euvres Choisies, Paris, 1855, in-12, éd. ÉMILE CHASLES; Euvres Posthumes, Paris, 1855, in-12, éd. ÉMILE CHASLES et P. A. CAP. Le Café, épître, publ. par Ol. de Gourcuff, Nantes, 1883, pet. in-8°.

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A CONSULter. cure de France, 1737.

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Mer

TITON DU TILLET, Parnasse français; PALISSOT, Mémoires, t. IV, p. 345. - DE La Rochette, Journal de Saône-et-Loire, décembre 1839; études dans les éd. Émile Chasles et Cap. SAINTE-BEUVE, Causeries du Lundi, t. XII. ÉMILE FAGUET, Sénecé (Revue des Cours et Conférences, II mai 1899). FRÉDÉRIC LACHÈVRE, Rec. Collect. III, 541, IV, 187. FERNAND FLEURET et LOUIS PERCEAU. Satires de Mœurs du XVIIe siècle, La Sirène. MAURICE ALLEM, Anthologie Poét. franç. XVIIe siècle, t. II, librairie Garnier.

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XVII SIÈCLE.

T. II.

15

LE NOUVELLISTE

Est-ce toi que je vois, Polyphile, ou ton ombre?
Me viendras-tu toujours frapper de cet air sombre,
Plus pâle qu'un soldat, qui, victime du sort,
Sur un tambour fatal lit son arrêt de mort?
Te verrai-je toujours haussé sur le cothurne,
Quelquefois éloquent, quelquefois taciturne,
Du geste ou du discours, en diverses façons,
De ta lâche frayeur nous marquer les frissons?
Jadis, dans Ilion, parmi les tristes places,
La fille de Priam tonnoit moins de menaces,
Quand son enthousiasme aux Troyens estonnés
Prophétisoit leur perte et les dieux déchaînés.
Sans relâche occupé d'avis et de gazettes,
Porteur mystérieux de dépêches secrètes,
Ennemi domestique, et fièrement armé
Tantôt d'un manuscrit, tantôt d'un imprimé,
Du François intrépide et plein de confiance
Oseras-tu sans cesse attaquer la constance?

Par les illusions d'un esprit déloyal

Dont la fureur t'agite, et du Palais-Royal,
Chaque jour, sans manquer, t'entraîne aux Tuileries
Faire publiquement trafic de menteries,
Peut-être n'as-tu point, faute d'avis prudents,
Examiné le fond de tes correspondants?
Mais de tes préjugés dissipons les obstacles,
Et voyons quelle foi l'on doit à tés oracles.

Ces deux aventuriers, Iphicrate et Milon,
Parés d'un vieux panache et d'un sale galon,

Qu'on voit aux lieux publics, malgré leur mine basse
Respectés des frondeurs de la dernière classe,
Dans un corps renommé, jadis, également,
Chacun d'eux d'une troupe eut le commandement.
Le premier, qui jamais n'eut la sienne complète,
Sacrifioit sa paie au dieu de la bassette,

Et l'autre, plein d'orgueil, toujours prêt à brouiller,
Aux ordres de ses chefs ne sut jamais plier.
Tous deux furent cassés; à la vieille blessure
Ils mettent l'appareil d'un consolant murmure :
Comment se soutenir sans eux? Tout est perdu,
Bellone est languissante et Mars est morfondu.

Pour Damis, qui reçoit des avis de Hollande,
Estimé parmi vous comme un vieux chef de bande,
Qui, dans ses yeux hagards et sa triste couleur,
Porte de Charenton l'hérétique douleur,

Je le connois : issu des familles errantes
Qui repaissent d'espoir leurs libertés mourantes,
Et flattent leur parti des révolutions
Qu'annonça Dumoulin dans ses prédictions,
Bien que de l'intérêt la sordide sagesse

Pour conserver son bien l'ait conduit à la messe,
Son âme est ulcérée, et cherche adroitement
Chez qui multiplier son mécontentement.

La troupe qui lui prête une oreille attentive
L'établit souverain sur sa raison captive,
Et, dans chaque quartier, au vulgaire ignorant
Court annoncer les maux dont Damis est garant.
Le stupide Lycas, qui de la politique

A compris le mystère au fond d'une boutique;
Son beau-frère Nicandre, à qui l'art du procès
Aux maximes d'Etat a donné tant d'accès,
Enrichis des larcins de leur coupable race,
S'efforcent de purger la paternelle crasse :

Sous des habits dorés leur orgueilleux aspect
Pour leur décision impose un grand respect.
L'un, par l'autorité dont la force l'entraîne,
Juge de bonne foi notre perte certaine;
L'autre, fidèle écho du nouveau converti,
Pour faire l'esprit fort prend le mauvais parti.
Oui, mais, me diras-tu, la victoire est commode
Contre des ennemis qu'on fabrique à sa mode :
Tu sais que je connois des gens d'un autre poids,
Dont les réflexions s'expliquent par ma voix;
De cette décadence où tombent nos affaires,
Palamède et Cléon sont-ils garants vulgaires?
Il est vrai quelquefois, à leur table appelé,
L'on te voit applaudir sitôt qu'ils ont parlé.
Avant qu'apprendre d'eux le destin des royaumes,
D'un éclat imposant dépouillons ces fantômes;
Tu verras, au travers de ces noms honorés
Et des titres pompeux dont ils sont décorés,
Un sentiment jaloux, par sa vapeur grossière,
De leur discernement offusquer la lumière.
Palamède et Cléon se virent disputer

Certains commandements qu'ils croyoient mériter,
Et, sans pouvoir sortir de leur sphère bornée,
Le rang de colonel fixa leur destinée.

Ils ont quitté l'emploi. Privé de leur secours
L'Etat, mal gouverné, périt dans leurs discours.
Ils frondent le principe, ils blâment la conduite.
Du tort qu'on leur a fait nos malheurs sont la suite.
Par leur exclusion nous sommes désolés :

Tout riroit à nos yeux s'ils s'en étoient mêlés.

Ce sont là tes auteurs; voilà sur quels mémoires
Tu prétends naviguer dans la mer des histoires;
Ton fragile vaisseau se met à l'abandon,
Et vogue sur la foi de l'insolent lardon.

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