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Et, honteux de ce trait, qui sçeut trop le confondre,
Il lui tourna le dos sans pouvoir lui repondre.
Profite de l'exemple, et tu dois l'appliquer,
Ce mot ingenieux qu'on te fait remarquer.
Aprenti tout au plus du célebre Moliere,
Tu devois copier son noble caractere :

Sans jetter sur les Noms le scandale et l'effroi,
Il a fait des portraits avant toi, mieux que toi.
Oui, par des traits nouveaux ses Satires heureuses
Ont peint petits Marquis, Coquettes, Précieuses,
Poëtes, et Bourgeois, Faux-Dévots, Faux-Sçavans,
Fausse-Prude, et surtout Medecins ignorans;
Là, par des coups de maître où chacun se récrie,
Il s'est fait admirer dans sa Misanthropie,
Et, dans les traits naïfs d'un fidelle crayon,
Chacun se reconnoit sans rencontrer son nom.
Toi, bien loin d'imiter un si parfait modelle,
Au lieu de critiquer tu fais une querelle.
Sans chanter comme toi des injures aux gens
Moliere a corrigé les vices de son tems.
Tu sçais mal ce métier; aussi, pour récompensé,
Ta Muse s'aplaudit elle-même et s'encense.
Premier admirateur de tes charmans portraits,
Comme un superbe Paon qui se mire en ses traits,
D'un pas grave tu fais incessament la roüe,
Sans attendre un moment que ton Lecteur te loüe.
Mais pouroit-il loüer, sur un lit effronté,
Cette douce Menade en parfaite santé;

Ce tournois de Bassete et ce langage étrange
Qui nous veut asservir sous l'altiere fontange?
Où vas-tu donc chercher tant de bizares mots,
Hazardez sans sujet, placez mal à propos?
Mais c'est en dire assez : Voyons ta Précieuse.
Que tes Vers ennuyeux la rendent ennuyeuse!
Te rüant sur les Noms, tu répetes cent fois
Ce que brutallement tu dis en cent endroits.

Le Lecteur, fatigué de ces vaines redites,
Te souhaite à bon droit tout ce que tu merites,
Et si sur le Théâtre on lisoit tes écrits,

Souvent mille siflets en deviendroient le prix;
Ou si l'on retranchoit les noms de ta Satire,
A plus de la moitié l'on pourroit la réduire.
Poursuivons: Ce n'est pas une apprentie autheur
Que tu mets sur les rangs avec tant de hauteur.
Tu vantes ses ayeux, mais, par qu'elle folie,
La fais-tu maintenant Princesse d'Italie ?
Et tu l'en fais venir exprès, comme je voi,
Pour choisir un époux Secretaire du Roi;
Ce titre suffit-il? Ces Lettres de Noblesse
Peuvent-il honorer l'hymen de ta Princesse ?
Est-ce pour maintenir et conserver son rang,
Ou pour mieux mettre au jour tout l'éclat de son sang ?
Ou, veux-tu, te servant des lances Espagnoles,
Nous traîner avecque elle aux champs de Cerizoles?
Crois-tu nous ébloüir par ce pompeux fatras
Qu'on nomme en bon François franc galimathias?
Passons vite, et voyons le portrait de ta sainte,
Et lorsque dans tes Vers tu l'auras bien dépeinte,
Examinons un peu celui du Directeur.
De tes rares tableaux, c'est, dis-tu, le meilleur;
Mais à tort on y voit ta seicheresse extrême.
En cent lieux differens tu te pilles toi-même,
Tes Moines t'on fourni ce beau teint si vanté;
Tes Chanoines vermeils cette fleur de santé.
Ce sont de ton Lutrin d'importunes redites,
Qui de tes Vers nouveaux devroient être proscrites.
Tu mêles cependant du neuf dans ce tableau :
Un escadron coeffé sans doute est fort nouveau,
Qui court au grand galop, par un soin salutaire,
Pour chauffer un boüillon... le reste il le faut taire,
Et, dans la nouveauté du fin choix de tes mots,
On admire sur tout les estomachs devots,

Qui devorent toûjours metz sucrez, secs, liquides,
Mais les faisant encor d'autres mets plus avides.
Du moins, explique-nous, aidé de Lucifer,
Goûter en Paradis les plaisirs de l'Enfer.

Mais que veux dire encore ta Dame Brelandiere,
Qu'en termes si grossiers tu fais Cabaretiere?
Avant tes pensions, dans un état plus bas,
Tu connoissois l'Auberge à dix sols par repas.
Peut-être qu'autrefois, dans cette Auberge obscure,
Attentif tu cherchois la rime et la mesure;
Là, d'un vin à six sols devenu furieux,

Yvre, tu composois tes Vers injurieux,

En termes diffamans de l'encre la plus noire,
Plus grossiers que le vin que tu venois de boire.
Mais souvent ta raison se perd avec ta voix,
Et ta Muse s'enyvre et s'endort quelquefois.
Sans doute ce n'est pas en buvant de l'eau claire
Que tu peins une belle yvre d'un Mousquetaire,
Aujourd'hui qu'on te voit, riche et voluptueux,
Boire le pur nectar à la table des Dieux,
Tremper ton vin fumeux de l'eau de l'Hypocréne.
Mais tu suis le penchant où ta bile t'entraîne.
Sa maligne fureur, même, n'épargne pas
D'un Sexe révéré, les innocens appas.

Quand pas une n'échape aux traits de ta Satire,
Tu fais grâce aux vertus dont tu ne peux médire,
Dont l'éclat surprenant, pour charmer l'Univers,
N'atend pas le secours de tes frivolles Vers,
Et dans l'illustre Esther que tout le monde adore
Tu devois respecter un Sexe qu'elle honore,
Ce Sexe à qui les Dieux et les plus fiers mortels,
Ont prodigué l'encens et dressé des Autels.
C'est à lui seul qu'on doit l'esprit, la politesse,
Le bon goût, l'air galant, et la délicatesse.
Auprès de la beauté le plus grossier esprit
Pour plaire en peu de temps se lime et se polit;

L'honnête liberté que l'on permet en France,
Loin d'accroître le vice en bannit la licence;
Sans se servir ici, comme en d'autres climats,
De grilles, de veroux, de clefs, de cadenats,
Qui ne font qu'enhardir souvent les plus timides,
L'honneur et la vertu servent ici de guides.
En vain ton acre humeur veut les empoisonner :
Là, tous les etrangers viennent se façonner,

Et la Cour, et Paris sont une Académie
Où la vertu se joint à la galanterie;

Et malgré de tes Vers la maligne noirceur

La bonne foi s'y trouve ainsi que la pudeur.

Ce n'est qu'à la beauté que nous devons ces flames, Dont l'amour subtilise et rafine nos ames :

Elle chasse des cœurs un indolent repos,

Et souvent de beaux yeux ont formé des Héros.
Ainsi, pourquoi ta plume éfrontée et sauvage,
Offense-t-elle un Sexe à qui tout rend homage?
Pourquoi, pour le noircir d'un stile injurieux,
Quittes-tu tes emplois si grands, si sérieux?
Quand tu peins de Loüis les hauts faits et la gloire,
Tu devrois succomber sous le poids de l'histoire;
A la Cour transplanté, trouves-tu le moyen
D'acorder le Poëte avec l'Historien,

D'écrire dans tes Vers tant de vaines chimeres ?
L'Histoire d'un grand Roi ne t'occupes donc gueres?
Les faits de ce Heros, ses exploits si fameux,
Que ta main doit graver pour nos derniers neveux,
Qu'avec tant d'art, de soin, elle devroit écrire,
Te laissent-ils le temps de mordre et de médire?
Mais tu peux badiner : le Nom d'un si grand Roi,
Pour se rendre immortel n'a pas besoin de toi.
Que ne suis-tu les pas du modeste Racine,
Que le ciel aujourd'hui favorise, illumine,
Qui, laissant le Théâtre, a voulu dédaigner
Tant de riches talens qui lui firent gagner

Tous ces biens qu'on acquiert rarement par la rime
Et qui l'ont fait atteindre au solide sublime.
Plein des dons de la Cour, sur le point de viellir,
Il méprise un métier qui vient de l'annoblir,
Et, detestant ses Vers trop remplis de tendresse,
Les prend pour des pechez commis dans sa jeunesse.
Dans la poudre du Greffe encor enseveli,
Comme lui tu pourrois être un jour annobli,
Et, quittant le Bourgois de ta race vulgaire,
D'un petit Noble encor tu pourrois être pere,
Si d'un esprit plus doux tu voulois renoncer
A ces traits dont la Cour commence à se lasser.
C'est le meilleur parti: renonce à la Satire,

Quand on se sent baisser, on ne doit plus écrire;
Mais tu voudrois rimer jusques dans le tombeau,
Et, comme un vieux Renard, tu mourras dans ta peau.

(Rec. Moetjens, 1694.)

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