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On luy dit à l'envi mille étranges sotises :

« Et puis, de ma sueur ne soyez point surpris,
Car, pour l'amour de vous j'ay couru tout Paris. »
Que le pretexte feint d'un semblable service
Aux desirs de ces gens sçait le rendre propice!
Le bon homme aussi tôt, le cœur doux et sans fiel,
En les remerciant leve les yeux au Ciel,

Et, disant doucement : « Le grand travail altere,
Un corps trop fatigué demande à se refaire »,
Bientôt, recompensant tant de soins apparens,
Il prodigue pour eux le vin des Reverends:
Jugez en ce temps-là si, vuidant les bouteilles,
Le bras de ces Heros ne fait pas des merveilles.

Sur le soir, au Palais le grand corps de retour
Repete avec fureur ce qu'il a dit le jour.
Aux vains raisonnemens ensuite on s'abandonne;
L'un admire un projet et l'autre s'en étonne,
Et, dans l'accez du mal dont ces gens sont frapez,
Le Marchand est bloqué, les bancs sont occupez.
Le Clerc, tout transporté d'une ardeur inquiete,
Forme avec le Libraire une ligue secrete.

Le tems presse, il est tard, rien ne peut les chasser,
Et chacun, de ces gens veut se debarasser.
Tandis que d'un projet cette troupe se flatte,
Des Clercs et des Marchands le grand dépit éclate,
Et, d'abord insultant ces trompettes de Mars,
Ils font au milieu d'eux éclater des petarts.
L'un se croit englouti par l'effet d'une mine,
L'autre de ces gens-là proteste la ruine,
Et le Clerc, en ce tems, content et satisfait,
Rit en desesperé du beau coup qu'il a fait.
Après cet accident surprenant et bizarre,
Laissant tout indecis, la Chambre se separe.
La Chambre? dites-vous; ouy, c'est un corps entier :
Il a son President, l'Avocat, le Greffier.

Avant que dans ce corps le bureau t'enregître,
Il faut qu'il te connoisse un feneant en titre,
Et qui n'auroit le soin de les bien regaler
Dans leur conseil secret ne pourroit se mêler.
Mais, après l'avoir fait, un sot a l'avantage
De donner à son tour sa voix et son suffrage.
Pour moy, plus de cent fois je me suis diverti,
Regardant de quel air leur Greffier est bâti :
Sa mine vous surprend, sa barbe vous menace,
Son habit en hiver vous transit et vous glace,
Son chapeau sans cordon tremble au moindre zephir,
Ses cheveux mal peignez vous marquent son loisir,
Son manchon vous paroît sauvé d'un incendie,
Et l'on diroit toûjours qu'il sort de maladie.
Dans ses prosperitez quel dangereux ennuy,
Quand la mort le priva d'un fils digne de luy,
Qui, marquant son esprit, dès sa plus tendre enfance,
Devoit de ses emplois avoir la survivance!

D'autres, dans ce Palais, haves et décharnez,
Vous paroissent des gens à l'exil condamnez.
Tout annonce chez eux une extrême famine,
Et du corps de l'État la prochaine ruine;
De nouvelles, pourtant, sans cesse furieux,
Ils vous divertiront par leur grand serieux.
Souvent, à jeun, bien tard, ils parlent des finances,
Donnent des pensions, font de grosses avances,
Et, sans avoir un sou, dans leur plaisant transport,
On les voit équiper cent vaisseaux de haut bord.
Cependant, de ce tems les plus grands Nouvellistes,
Du fameux La Croixmar sont de nobles copistes.
Du tems qu'un General, dans nos jours si fameux,
Contre les Allemans n'eut pas un sort heureux,
La Croixmar, accablé d'une douleur mortelle,
Fit voir à tout Paris la grandeur de son zele :
Dans le Palais Royal s'étant mis à l'écart,

Sur cet evenement il méditoit fort tart;

D'attendre si long-tems sa femme, impatiente,
Pour le faire venir detache sa servante.

A peine eut-elle dit ; « On attend après vous »,
Qu'un zele sans égal alluma son couroux :

« Quoy! dit-il, est-ce ainsi que ma femme me traite?
M'inviter à dîner après une défaite ! »

Dans le même moment, se transportant chez luy,
La soupe sur la table augmenta son ennuy.
Aussi-tôt, renversant soupe, omelette, et table,
Il remplit sa maison d'un desordre effroyable;
Des voisins, par bonheur accourus à l'instant,
Ralentirent un peu son couroux éclatant

Et leur phlegme servit à sauver du naufrage
Porcelaines, miroirs plus chers que son potage.
Qu'auroit dit La Croixmar, dans son juste couroux,
S'il eût vû ces frondeurs qui vivent parmi nous,
Qui, de tant d'ennemis se faisant une joye,
Voudroient à leur fureur voir le Royaume en proye?
L'exil de Confisac les remplit de frayeur,

Et garda quelque tems leur venin dans le cœur.
Aujourd'huy, reprenant leur ancienne malice,
On voit de leurs desirs éclater l'injustice...
Mais de ces malheureux à quoy bon s'alarmer?
Brisons sur leur sujet, crainte de les nommer.

Vous riez de ces gens : eh! que voulez-vous dire?
C'est de vous, pauvre fou, que le monde doit rire.
Ne vaut-il pas bien mieux avoir un tel penchant
Que d'en ressentir un mille fois plus méchant?
Ils vont en divers lieux, vous à l'Academie;
La fortune leur rit, elle est votre ennemie.

Ils triomphent toûjours, sans crainte et sans hazard :
Vous cherchez à tromper et le tiers et le quart.

Ces gens-là, dites-vous, ont de grandes foiblesses,

Mais ces gens, comme vous, ne font pas des bassesses;

D'un ridicule outré l'on doit se divertir,
Mais qui joue un depôt devroit se repentir;
Pour se faire valoir, tel souvent, qui se pique
Aux dépens du prochain d'étaler sa critique,
Si de son propre cœur il cherchoit le secret,
On le verroit bientôt plus sage et plus discret.

(Reflexions solitaires sur la vie et les erreurs des Hommes, 1689.)

BENECH DE CANTENAC

On ne sait rien de Cantenac, Chanoine de l'Église Métropolitaine de Bordeaux, et c'est moins pour ses poésies d'un tour facile et spirituel que par l'attribution à Pierre Corneille de son Occasion perdue recouverte, que l'histoire littéraire a conservé son nom. Ce petit poème licencieux de 40 stances de 10 vers se trouvait dans la première partie des Poésies nouvelles et autres Œuvres galantes du Sieur de C., Paris, 1662, entre les pages 102 et 103, où il formait un cahier de 14 pages. Le Président Lamoignon ordonna au libraire d'enlever cette pièce des exemplaires non vendus, dont il restait un lot considérable, et c'est pourquoi l'édition de 1665 ne la contient pas. Le Carpenteriana, p. 284, de l'édition de 1724, attribua l'Occasion perdue à Pierre Corneille, et ensuite La Monnoye, dans une note des Jugemens des Sçavans d'Adrien Baillet, IV, de l'éd. de 1725, p. 306. Mais les Mémoires de Trévoux, l'année même de l'impression du Carpenteriana, contredirent cette assertion, ainsi qu'en 1751 le P. Niceron, au tome XV de ses Mémoires. M.-J.-Christ Klotz, dans son ouvrage De Libris auctoribus suis fatalibus, Leipsick, 1761, a reproduit l'attribution à Corneille, et naguère Paul Lacroix, dans l'édition Gay de l'Occasion perdue, essaya de prouver à nouveau que l'auteur de Polyeucte est aussi celui du petit poème scandaleux, et que son confesseur l'aurait contraint, pour pénitence, de traduire l'Imitation de Jésus-Christ. Les preuves de Paul Lacroix ne sont pas convaincantes; elles n'ont d'ailleurs d'autres sources que le Carpenteriana et la note de La Monnoye. Si l'attribution ne fait pas honneur à l'éclatant génie de Corneille, elle met en lumière Benech de Cantenac et signale ses poésies aux curieux. Elles sont fort honorables, bien qu'inférieures, il est vrai, à l'Occasion perdue, dont le tour est gracieux et spirituel. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour reconnaître en cette pièce la main du grand tragique. Ce fut pour Cantenac une heureuse occasion qu'il ne recouvra pas, et voilà tout...

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