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Et qui fait sur l'esprit un si puissant progrès
Que de cette manie on ne revient jamais.
Les ardeurs du Soleil, les frimats, et la neige,
D'attiédir cette ardeur n'ont pas le privilege,
Et l'on est si rempli de ces amusemens

Qu'un nouvelliste brave et pluye et mauvais tems.
Pour luy, chaque saison étant toûjours la même,
Il cherche également le seul plaisir qu'il aime.
Souvent vous les voyez, assemblez en un corps,
De la pluye et du vent mépriser les efforts,
Et, transis, et mouillez des pieds jusqu'à la tête,
Applaudir au recit d'une fausse conqueste.
Tout cela, direz vous, ne peut se concevoir :
Pour vous desabuser vous n'avez qu'à le voir.
Allez dans ces endroits où leur panchant les mene,

A toute heure, en tout tems, vous le verrez sans peine;

Sur tout, avant midi rendez vous au Palais,

C'est là qu'on peut gouter ces plaisirs à longs traits,
Et, voyant les transports de leur mauvais genie,
S'instruire à s'exempter d'une telle manie.

Vous verrez en ce lieu mille esprits differens
Tâcher de penetrer dans le conseil des Grands.
L'un, sans cesse attentif aux grandes entreprises,
Ne parle que d'assauts, de combats, de surprises;
Et, l'autre, tout craintif pour les évenemens,
Veut que tout cet Eté se passe en campemens.
Un autre, serieux, fait de tout un mistere
Et paroît accablé du poids du ministere.

Cependant, de ce Corps les chefs les plus fameux,
Avant se partager vont raisonner entre eux.
C'est là precisément le prelude comique
De ce qui dans le jour se dira d'autentique,
Et des bruits qui souvent faussement repandus
Devroient le lendemain les rendre tous confus.

Puis, en divers bureaux la troupe se partage,
Où, pour se chatouiller, tout est mis en usage:
D'un murmure confus l'air devient agité,
Tant on parle en ce tems avec rapidité.
Alors, pour écouter, le mouchart qui se glisse
Ne voit pas à ses veux Sainte Heleine propice;
Cependant, par ces gens le Libraire investi

Des livres les plus beaux trouve un mechant parti.
Sans debit, sans galant, la coquete lingere,
Voyant cet embarras, montre en vain sa colere.
On les voit à l'envi s'écrier sans succès
Qu'à divers acheteurs on prête quelque accès;
Malgré tous leurs discours la troupe politique
A forger des projets se fatigue et s'applique.

Un des moins diligens, arrivant à grands pas,
Apporte une nouvelle et l'annonce trop bas;
Chacun, pour la sçavoir, le presse et l'environne,
Car parmi ces gens là l'on ne connoît personne.
Il a beau s'ecrier: « Vous m'allez étouffer! »
Cela ne sert à rien qu'à les plus échauffer,
Et, plus il fait d'efforts pour sortir de la presse,
Plus à le retenir tout ce grand corps s'empresse,
Jusqu'à ce qu'à la fin, chagrin et furieux,
Il fend à coups de pied le corps des curieux.
Se mettant à l'écart, il s'évente, il respire,
En soy-même ravi de ce qu'il vient de dire,
Quand les plus éloignez, n'ayant rien entendu,
Sur ce pauvre essouflé s'en vont à corps perdu.
Quel deplaisir pour luy! quelle peine cruelle,
De repeter cent fois la même bagatelle!
Heureusement encor un autre qui survient
Dissipe en un instant le corps qui le retient.
D'Angleterre ou d'Irlande une lettre annoncée
Redouble la fureur de la troupe empressée,
Mais, commençant à lire, on l'agite si fort

Qu'un autre à ce prix là se plaindroit de son sort.
Des curieux outrez l'impertinent murmure,
Vingt fois de cette lettre interrompt la lecture.
Alors vous les voyez, de concert irritez,

Se dire sur le champ d'extrêmes duretez.

Que ces gens sont heureux ! cette bile est calmée,
Grace à leur passion, aussi tôt qu'allumée;

Le bruit qui se repand de quelque grand combat
Arrête leur couroux, cause un nouvel éclat.
Vous voyez à l'instant mille oreilles avides
Ecouter des recits fabuleux, insipides,

Et mordre à l'hameçon avec tant de chaleur
Qu'en riant de leur foible on sent de la douleur.
Que ce qu'on leur apprend soit faux ou veritable,
On peut être assuré d'un accueil favorable;
Et c'est là que, sans craindre un juste repentir,
Vous pouvez tous les jours impunément mentir.
Ils n'exigent jamais qu'un homme se corrige.
N'avoir rien à se dire est ce qui les afflige,
Cependant, en ce tems, le Palais abbreuvé
D'un conte que la nuit quelqu'un avoit resvé,
Vous fait voir à la fois des objets si comiques
Qu'il pourroient réjouïr les plus mélancoliques.
L'un se retire à part, et medite un moment
Sur le conte inventé qu'il trouve si charmant,
Et, de sa main tremblante, il tire ses lunettes
Pour charger d'un tel fait ses steriles tablettes;
Et l'autre, de plaisir aussi tôt transporté,
Se faisant de ce conte une felicité,
Paroît aussi contant à ses yeux, à sa mine,
Que s'il restoit luy seul rentier à la Tontine.
L'Avocat, en ce tems, suivi du Procureur,
Vient augmenter la foule avec beaucoup d'ardeur.
En passant gravement le Conseiller s'arrête,
Et de ce qu'il apprend il se fait une feste.
Cependant le tems presse, et les raisonnemens

N'ôtent pas de la faim les piquans sentimens.
Des faineans aisez voyez la grosse troupe
Sortir en se disant : Allons chercher la soupe!
Et puis, en se donnant un second rendez vous,
Avec mille sousris ils se separent tous.

Les autres, éloignez d'une douce abondance,
Pour chercher leur dîné vont à la providence.

Le soir, au rendez-vous, chacun de son côté
Court par divers chemins, d'un pas precipité,
Et si quelqu'un d'entre eux manque à la promenade,
Vous pouvez bien jurer qu'il faut qu'il soit malade.
Les uns, à Luxembourg accourus de concert,
Malgré le mauvais tems méprisent le couvert.
Vous voyez en hyver la troupe desolée,
Courir avec fureur dans cette grande allée,

Et vouloir surmonter, par ce burlesque effort,

Les chagrins que leur cause un cruel vent du nort.
Plus on le sent fâcheux, plus on se precipite;
Piqué de l'éguillon on ne va point plus vite,
Et plusieurs, sans manteau, tous gelez et transis,
De la moitié du corps paroissent retressis.
Dans le tems fortuné de la saison nouvelle,
Imitant le Soleil on voit croître leur zele.
Alors, se promenant sous les jeunes ormeaux,
On les voit attentifs à cent projets nouveaux,
Mais, pour les desoler, des essaims de chenilles,
Malgré les Jardiniers sortent de leurs familles;
L'un chasse du manteau, l'autre de ses cheveux,
Dans le dernier transport, l'insecte venimeux,
Et, plein de sa fureur, luy declarant la guerre,
S'en va pour l'écraser dès qu'il le voit à terre.
Casegrain là-dessus fait divers jugemens,
Et presage aussi tôt de grans évenemens.
Valembrai, qui survient, luy rompant en visiere,
A ses raisonnemens donne une ample carriere;

A ne se rien ceder l'un et l'autre obstinez
A divertir les gens paroissent destinez,
Jusques-là qu'enrouez, sans force et sans parole,
On les voit à l'envi s'envoyer à l'école.

Mais qu'au Palais Royal le President Leger

Vous fait voir de combats sans crainte et sans danger! Sur le moindre succez d'abord il se recrie,

Et du geste et des yeux il défend la patrie.

A ses fameux projets qui pretend s'opposer

A des perils réels risque de s'exposer;

Un homme à ses desseins refusant de souscrire,
A mille spectateurs donna sujet de rire.

<< Comment? luy dit Leger, Fauteur de Guillemot!
Devant moy vous oser avancer un tel mot?
Un exemple, Messieurs, est ici necessaire :

Il faut, en bon François, punir ce temeraire. »
La fuite de cet homme, arrêtant son dessein,

Luy fit fort à propos éviter le bassin.

Mais jusqu'aux Celestins allons, sans prendre haleine,
Nous delasser un peu d'avoir pris tant de peine.
Là, vous verrez en corps mille Abbez assemblez
Des miseres du tems paroître peu troublez;
Assis sur divers bancs, satisfaits et tranquilles,
Ils donnent des combats, ils attaquent des Villes,
Et, se joignant bientôt à maints riches Bourgeois,
De cent évenemens ils parlent à la fois.
D'autres, dont l'estomac encor à jeun murmure,
Vont tenter en ces lieux une heureuse aventure.
Aimable providence! heureusement pour eux,
Ils connoissent l'ardeur d'un Frere curieux,
Et son foible, souvent à leurs vœux favorable,
Tourne comme il leur plaît le Frere charitable.
Ainsi vous les voyez d'abord, en arrivant,
Luy dire « Vous allez bien tôt être sçavant. »
Alors, sans balancer, à diverses reprises,

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