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Sçait-il ce qu'il luy doit arriver à luy-mesme?
La folle vision de s'estre imaginé

Que le sort d'un mortel soit à l'astre enchaîné;

Que ces noms fabuleux que l'on donne aux planettes Versent, quand nous naissons, des amorces secrettes Qui font également l'honneste homme et le fat, L'homme de bonnes mœurs et l'homme scelerat, Qu'enfin leur ascendant est toûjours invincible!

Astrologue, tu crois ta science infaillible?

Les astres t'ont parlé, t'ont appris leur secret?
Comment as-tu compris leur langage muet?
Dis-nous, en connois-tu la nature, l'essence,
Les operations, l'action, l'influence?
Parle de bonne foy : sçais-tu bien les raisons
De leurs éloignemens, de leurs conjonctions?
Si tu crois qu'à tes sens cela soit pénetrable,
Pauvre homme, ta folie est un mal incurable.
Mais beaucoup plus que toy pour fou l'on doit tenir
Qui te va consulter pour sçavoir l'avenir.
Aujourd'huy, que de gens de petite cervelle
Se trouvent enchantez de cet art infidelle !

Cet autre extravagant, avec son appareil
De soufleur, qui prétend engendrer le soleil,
Esperant du grand-œuvre une bonne fortune,
Pourroit estre à bon titre empereur de la Lune;
Ce fou présume-t'il, avecque ses fourneaux,
Devenir createur du prince des métaux,

Luy qui d'eau ne pourroit créer la moindre goutte?
Plus d'un fou, cependant, ce roy des fous écoute;
Sur sa parole on souffle, et l'on souffle si bien
Qu'enfin le coffre fort n'est rempli que de rien.
Mais à quoy, d'ordinaire, aboutit sa science?
A se faire étouffer au haut d'une potence.

Dis-moy, peux-tu plus loin ta puissance porter,
Folie, et que peux-tu desormais inventer?

N'as-tu pas trouvé tout ce qui satisfait l'homme?
Tu luy fais un palais plus beau que ceux de Rome,
Et, comme s'il étoit formé de plus d'un corps,
Divers appartemens, polis dedans, dehors,
Où l'art a le dessus sur la riche matiere,
Tu luy sçais préparer d'une rare maniere.
Mais, Folie, à quoy bon ce palais préparé,
Puisqu'on le peut loger dans dix pieds en quarré?
Il en faudra bien moins lorsque la noire Parque,
Qui traitte également et sujet et monarque,
Changera de ce fou le miserable sort

En luy parant le corps d'une robe de mort.

Pour divertir ce fou, d'autres fous tu fabriques,
Des chanteurs, des bouffons, et des poëtes comiques;
Tu fais si bien, enfin, que selon son penchant,
Tu préviens les desirs de cet extravagant.
Son luxe débordé, ses habits si bizarres,
Son train si magnifique et ses étoffes rares,
Ses meubles somptueux et ses mets si friands,
Sans doute, ne sont pas l'ouvrage du bon sens.
C'est donc le tien, Folie, aussi bien que ses vices,
Mollement fomentez par l'excés des delices
Que tu fournis sans cesse à son cœur corrompu,
Qui, malgré cet excés, n'en est jamais repû.
Enfin, à dire vray, tout le monde radote,

Et chacun, comme on dit, est fou de sa marote.

Daphis, hier, Ariston de ces vers me fit part,
Puis il me conjura de luy dire sans fard
Ce que j'avois trouvé de sa longue satyre.

« Ouy, sans déguisement je veux bien te le dire,
Luy dis-je, elle pourra passer assûrément.
Bien des fous y sont peints assez naïvement :

Mais je t'y trouve peint au naturel toy-mesme :
Car enfin, Ariston, la folie est extrême

Quand, serieusement, on entretient des fous,
Et tu pourras passer pour le plus fou de tous. »

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PIERRE DU CAMP D'ORGAS

L'achevé d'imprimer de la première édition des Reflexions solitaires sur la vie et les erreurs des hommes est daté du 26 mars 1689. Dans le privilège de cette édition, reproduit sans autre changement que celui du titre (Satires ou Reflexions sur les erreurs des hommes, et les Nouvellistes du temps), et dans la seconde, de 1690, l'auteur est désigné sous les initiales de P. D. S. D., c'est-à-dire : Pierre Du Camp, Sieur d'Orgas. L'édition de 1689 contient sept satires; la suivante en contient neuf, dont les Nouvellistes et la Depravation du Siecle. Voici les arguments de ces Satires, lesquelles portent le titre de Reflexions: I. Sur la fureur des hommes à se détruire les uns les autres, et sur les desordres que la vanité a introduits dans le monde; II. Les plus grands hommes sont sujets à se tromper, et l'esprit est cause des maux les plus dangereux; - III. Sur l'avarice des hommes, et sur les effets differens que l'argent produit dans l'esprit et dans les mœurs; - IV. Après avoir dépeint les égaremens de la jeunesse et les incommodités de la vieillesse, on fait voir que les hommes les plus sages dépendent des événemens comme les plus foibles esprits; · V. Sur la maniere de se rendre illustre par ses ouvrages; - VI. Sur le malheur de ceux qui plaident; VII. L'homme n'est jamais heureux en quelque état qu'il puisse être; - VIII. Les Nouvellistes; – IX. Sur la difference de ce siecle d'avec les siecles passez et sur les desordres que le poison commençoit à faire.

L'Epître dédicatoire des deux éditions, adressée à Monseigneur Boucherat, Chancelier de France, est signée D. D. L'Avertissement de 1690 contient ce passage au sujet de l'avant-dernière Reflexion: « ...Pour Messieurs les Nouvellistes, ils ne doivent pas se gendarmer contre moy, le zele et la curiosité sont deux choses trop loüables dans une guerre de la nature de celle-ci pour y trouver à redire; et pour n'être ni l'un ni l'autre, il faudroit n'être pas François, mais ennemi de la Justice, de la Religion et de la Patrie; ainsi il n'y a qu'à se reformer un peu pour devenir Nouvelliste tres-raisonnable; et si je puis gagner cela sur l'esprit de beaucoup de gens, je croirai n'avoir pas fait peu de chose. »

On ne sait rien de Pierre Du Camp d'Orgas, sinon ce qu'il dit de a retraite, dans la Reflexion V: Que son Parnasse était un endroit saimable, nommé Poy, près de Tartas, dans les landes de Bordeaux L'Abbé Goujet, qui ne sut compléter les initiales P. D. S. D., écrit que l'ouvrage, versifié assez lâchement, est plein de choses utiles et très sensées. On ne peut mieux dire.

BIBLIOGRAPHIE.

· Réflexions solitaires sur la vie et sur les erreurs Satires, ou Réflexions sur les erreurs

Réflexion

des hommes, Paris, 1689; des hommes et les nouvellistes du temps, Paris, 1690; sur le malheur de ceux qui plaisent, satire (extrait de l'ouvr. précé dent), Brest, 1814.

A CONSULTER. GOUJET, XVIIÍ, 279 (P. D. S. D.). LE-DUC, Bibliothèque Poétique, 594.

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REFLEXION VIII

LES NOUVELLISTES

D'un astre couroucé quelle étrange puissance
Fait ressentir ici la maligne influance?
Quel demon inquiet vient, si mal à propos,
Chasser de ce païs la paix et le repos ?

Tous les momens du jour, dans cette grande ville,
On aime à se donner une peine inutile;
Un desir curieux regne si fortement

Qu'on diroit que Paris est dans l'enchantement :
Une inquiete ardeur d'apprendre des nouvelles
Agite mille gens, trouble mille cervelles,
Et cause tous les jours des effets si plaisans
Qu'il semble que le monde ait perdu le bon sens.
C'est une maladie, une espece de rage,

Qui pour notre malheur croît encore avec l'âge.

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