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BARBIER D'AUCOUR

Jean Barbier d'Aucour naquit à Langres vers 1641. Il quitta sa ville natale à l'âge de quatorze ans, et fut loger chez un Président à mortier de Dijon, Joli de Blaizy, qui le prit moins comme précepteur de ses enfants que pour leur compagnon d'étude. C'est qu'en même temps il commençait sa Philosophie. Deux ans après, il vint à Paris en qualité de répétiteur au Collège de Lisieux, où il profita de ses loisirs pour étudier le Droit. On l'y appelait l'Avocat Sacrus. Tous les ans, les Pères exposaient dans l'église du collège des tableaux énigmatiques et les faisaient expliquer en latin par leurs élèves. «< Or, il arriva, dit l'Abbé d'Olivet, qu'en l'année 1663, M. d'Aucour s'étant mis de la partie, laissa échapper quelques termes peu modestes. Averti par le jésuite qui présidait à cet exercice de mesurer ses paroles, parce qu'ils étaient dans un lieu sacré, il répondit brusquement: Si locus est sacrus, quare exponitis? Il ne put achever sa phrase, car, de toutes parts, les écoliers comme autant d'échos répétèrent son barbarisme; les maîtres en rirent... » L'Avocat Sacrus ne pardonna pas aux Jésuites de s'être moqués. Dans l'Onguent pour la Brûlure, il rappela, l'année suivante, le tableau énigmatique du Collège de Lisieux qui lui avait valu son surnom. C'est dans la première partie de cette satire, sous ce titre : Le Feu de l'Impureté allumé par les Jésuites, dans leur Enigme de l'année 1663. Barbier d'Aucour prétend que les Pères avaient mis Cupidon sur l'Autel « à la place de l'Eternel »; que Jupiter y paraissait les cuisses nues, << comme au sortir du lit »; que Junon montrait « de certains appas, que la pudeur ne nomme pas »; que Momus la « cajolait », cependant que le père Saturne leur « coupoit l'herbe sous le pié ». Il ajoute que les Jésuites terminèrent cette petite fête par une sauterie, intitulée Ballet de la Vérité, sans doute à cause du nu, et que les bons Pères s'y livrèrent à des « pas lubriques », à de « fougueuses pirouettes » :

Car enfin, ces sorciers voloient
Plutost qu'ils ne caprioloient.

L'Onguent pour la Brûlure est une Satire burlesque en octosyllabes d'environ 1.800 vers à rimes plates. Les titres de chapitres en expliquent clairement le titre général : Des Jésuites qui brûlent, et des différentes espèces de feux qu'ils allument; Du Feu de Vanité allumé par les Jésuites; Du Feu de Sédition, etc.; Du Feu de Vengeance; Du Feu d'Impureté; Ce que c'est que le Jansénisme, que l'on prétend brûler dans tous les livres que l'on brûle; Ce qu'il faut faire pour éteindre le feu des Jésuites, ou pour empêcher qu'ils ne le rallument, avec les objections et les réponses, etc. Comme on accusa l'auteur d'avoir raillé des sujets graves touchant à la religion, il publia, la même année, une apologie sous le titre de Lettres d'un Avocat à un de ses amis. Il y redouble d'injures. La satire et les lettres figurent ensemble dans l'édition de 1670, sous un titre légèrement modifié : L'Onguent à la Brûlure. Le tout est suivi d'épigrammes sur la signature du Formulaire, datées du 4 juin 1664, et enfin du Calvaire prophané ou le Mont Valérien, qui n'est pas de Barbier d'Aucour.

Éloigné des Jésuites, il se lia plus étroitement avec les Messieurs de Port-Royal, auxquels il avait été recommandé dès son arrivée à Paris. Il s'en prit à Racine quand celui-ci se brouilla passagèrement avec eux. Dans Apollon vendeur de Mithridate, ou Apollon Charlatan, Barbier d'Aucour s'attaque aux neuf pièces que le tragique avait réunies, de la Thébaïde à Iphygénie. Cette pitoyable Satire n'est autre chose qu'une reprise des objections de Saint-Evremond, de Boursault, de Subligny, de Robinet, de Visé et de Villars contre les ouvrages de Racine. Il' y joue sur le nom du poète, ceux de Le Maître de Sacy, de Champmeslé et de Molière, ainsi que sur Port-Royal; enfin, il passe les neuf pièces en revue avec toute la mauvaise foi possible. Cependant, l'auteur d'Apollon vendeur de Mithridate trouva des gens pour le célébrer...

Il est singulier qu'un auteur de si mauvais goût et d'une si faible puissance d'expression ait montré tant de justesse, de délicatesse et d'enjouement pour critiquer les Entretiens d'Ariste et d'Eugène du P. Bouhours. Cet ouvrage ingénieux a pour titre : Sentiments de Cléanthe sur les Entretiens d'Ariste et d'Eugène. Apollon Charlatan contribua à éloigner Racine de la scène et à l'aigrir davantage; mais enfin, il n'a point pâli sa renommée, tandis que les Sentiments de Cléanthe portèrent à Bouhours un coup dont il ne se releva pas.

Soit par timidité naturelle, soit par effet de sa mauvaise fortune, Barbier d'Aucour n'était hardi que la plume à la main. Après s'être fait recevoir avocat au Parlement, il résolut de suivre le Barreau. Il en fut tout de suite dégoûté par l'échec de la Harangue d'apparat qu'il avait composée selon l'usage. Il n'en eut pas dit cinq ou six lignes que la mémoire lui faillit et qu'il ne put aller plus

loin. C'est à lui que Boileau fait allusion dans les derniers vers du Lutrin, piqué de ce qu'il avait écrit contre Racine :

Le nouveau Cicéron, tremblant, décoloré,

Cherche en vain șon discours sur sa langue égaré,

En vain, pour gagner temps dans ses transes affreuses,
Traine d'un dernier mot les syllabes honteuses ;

Il hésite, il bégaye, et le triste orateur

Demeure enfin muet aux yeux du spectateur.

Pour se dédommager de la perte de sa carrière, Barbier d'Aucour se jeta dans les disputes sur la signature du Formulaire, Comme cette sorte de métier n'enrichit pas, il fut contraint pour subsister d'épouser la fille de son hôte, lequel se trouvait être aussi son libraire, Les Sentiments de Cléanthe prévinrent heureusement Colbert en sa faveur. Il lui confia l'éducation de son fils. Le précepteur, qui ne s'appelait que Barbier tout court, crut bon d'ajouter à son nom pour la circonstance. C'est alors qu'il fut d'Aucour. Il est vrai que l'exemple lui venait du ministre et de son pupille, qui se nommait M. d'Ormoy, avant de devenir le marquis de Blainville. En 1680, Colbert, touché de ses mérites, lui donna une commission de Contrôleur des Bâtiments du Roi. Malheureusement, Barbier d'Aucour perdit son protecteur trois ans après, et les entreprises du vivant de Colbert ayant échoué, il se trouva aussi pauvre qu'à son mariage. L'Académie corrigea sa mauvaise fortune, bien platoniquement d'ailleurs, en lui donnant le fauteuil de Mézeray, le 29 novembre 1683. Dans son discours de remerciement, il donna des preuves éclatantes de sa reconnaissance envers Colbert, qui n'avait pas peu contribué à son élection. Il travailla par la suite au Dictionnaire et se signala par son assiduité à cette besogne sans gloire, aussi parfaitement inutile qu'une nomenclature des rues de Paris sous Charles V. Vers 1689, l'infortuné d'Aucour s'engagea dans un parti d'exploitation des bois de Normandie, où il ne gagna que des procès. Dépité, il retourna à sa profession de précepteur en entrant chez M. de la Meilleraye, qui ne lui donna que des gages de cuistre. Il envisagea le barreau comme une dernière ressource et plaida avec plus de hardiesse qu'au temps de son premier essai d'éloquence, notamment en faveur de Jacques Le Brun, faussement convaincu d'avoir assas siné une dame Mazel, dont il était domestique. Mais il ne brilla pas longtemps dans sa profession, car il mourut le 13 septembre 1694, d'une affection des bronches, et dans la plus grande pauvreté Quelques-uns de ses confrères d'Académie l'allèrent visiter. Ils furent touchés de le voir si mal logé. « Ma consolation, leur dit-il, et ma très grande consolation, c'est que je ne laisse pas d'héritier de ma misère. » L'abbé de Choisy lui dit : « Vous laissez un nom qui ne

mourra pas. » — « Ah! c'est de quoi je ne me flatte pas, répondit d'Aucour. Quand mes ouvrages auraient d'eux-mêmes une sorte de prix, j'ai péché dans le choix de mes sujets. Je n'ai fait que des critiques, ouvrages peu durables. Car, si le livre qu'on a critiqué vient à tomber dans le mépris, la critique y tombe en même temps, parce qu'elle passe pour inutile; et si, malgré la critique, le livre se soutient, alors la critique est pareillement oubliée parce qu'elle passe pour injuste. » Par la confession que l'on vient de lire, on voit qu'il se rendait amèrement compte de la faiblesse et de la vanité d'Apollon Charlatan, et peut-être se le reprochait-il comme une mauvaise action.

M. de Clermont-Tonnerre, Evêque de Noyon, prit sa succession à l'Académie française. Il affecta de ne rien dire du défunt dans son discours. L'Abbé de Caumartin y suppléa dans sa réponse, mais négligea, et pour cause, les poésies de son confrère.

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BIBLIOGRAPHIE. L'Onguent pour la Brûlure, 1664, in-4o; 1669, in-16; 1670, in-12; 1682, in-12; 1683, in-8°; 1826, in-32; · Lettres d'un Avocat à un de ses Amis, 1664, in-4°; · Les Chamillardes et les Gaudinettes, 1665 et 1666, in-4o (attrib. à Barbier d'Aucour par l'auteur de la Bibliothèque Janséniste. Ce sont cinq lettres contre la signature du Formulaire, dont trois écrites à Chamillard, docteur en Sorbonne, et deux à Gaudin, Official de Paris); Réponse à la lettre de M. Racine à M. Nicole, 1666; Response à l'auteur de la Lettre contre les Hérésies Imaginaires, s. 1. n. d., in-4o; Sentimens de Cléanthe sur les Entretiens d'Ariste et d'Eugène, Paris, in-12, t. I, 1671; t. II, 1672; 1700, 1730, in-12; Apollon vendeur de Mithridate, 1676, et dans la Bibliothèque Critique de Richard Simon, 1708, sous le titre d'Apollon Charlatan (nous n'avons pu consulter que ce dernier texte. Cote, B. Nat. Z, 20.624); — Discours prononcé à sa réception à l'Académie française, Paris, 1683, in-4°; · Discours sur le rétablissement de la santé du Roi, Paris, 1687, in-4°; Remarques sur deux discours prononcez à l'Acad. franç. sur le rétablissement de la santé du Roi, Paris, 1687, 1688, in-12 (Discours de l'Abbé Tallemant et le discours ci-dessus); — Entretien d'un Abbé commendataire et d'un religieux sur les commendes, avec des réflexions sur ces entretiens, Cologne, 1674, in-12; Réflexion du Sr de Bonnefoy sur un livre intitulé: Entretiens d'un abbé commendataire, Cologne, 1674, in-12; — Factum pour Jacques Le Brun, 1691, in-4o; — Second Factum, Paris, s. d., in-4o; - Ode sur la prise de Philisbourg, Paris, 1688, in-4°.

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Enfin, le P. Le Long attribue à Barbier d'Aucour la Réponse à la Critique de la Princesse de Clèves, qui est de l'Abbé de Charmes, et l'Abbé Goujet une Lettre en vers libres sur une traduction du Nouveau Testament imprimée à Mons en 1668, ainsi qu'une lettre du même

genre contre un mandement d'Hardouin de Péréfixe, Archevêque de Paris, Sur le retranchement de certaines Fêtes, 1666.

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A CONSULTER. · RACINE, Réponse à Messieurs du Bois et d'Aucour (au sujet d'une réplique à la lettre à l'auteur des Hérésies Imaginaires). — D'OLIVET, Hist. de l'Acad. franç. ABBÉ LE CLERC, Bibliothèque de Richelet. NICERON, XIII et XX. XVIII. — GRANET, édit. des Sentimens de Cléanthe.

GoUJET, AMELOT DE

LA HOUSSAYE, Mémoires.—Supplément de MORERI, 1735.— Nouveau Bayle, t. I, 64 sq., lettre B. — DELTOUR, les Ennemis de Racine, 1879.

APOLLON VENDEUR DE MITHRIDATE

(APOLLON CHARLATAN)

Un jour, dans le sacré vallon

Qu'arrosent les eaux du Permesse,

Le capricieux Apollon

Conçut pour une plante une folle tendresse,
Et, pour lui donner du renom,
Ce grand pipeur en médecine,
Vendit au son du violon

Cette miserable Racine.

D'abord sous un vieux mur, de mousse revêtu,
On la vit s'élever de terre,

Et passer, en rampant comme le foible lierre,
Pour une plante sans vertu.

Mais, pour la bonté sans égale
D'un Maître de nom et de fait,

Qui répandit sur elle une liqueur Royale,
Elle sortit enfin de son être imparfait,

Et poussa hors du sein de l'herbe
Certaine fleur fière et superbe,

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