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Viendrai-je, en une Eglogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux,

Et, dans mon cabinet, assis au pied des hestres,
Faire dire aux Echos des sottises champestres?
Faudra-t-il de sens froid, et sans estre amoureux,
Pour quelque Iris en l'air faire le langoureux;
Lui prodiguer les noms de Soleil et d'Aurore,
Et, toujours bien mangeant, mourir par metaphore?
Je laisse aux Doucereux ce langage affeté,

Où s'endort un esprit de mollesse hebeté.

La Satire, en leçons, en nouveautez fertile,
Sçait seule assaisonner le Plaisant et l'Utile,

Et, d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens,
Détromper les Esprits des erreurs de leur temps.
Elle seule, bravant l'orgueil et l'injustice,

Va jusques sous le dais faire paslir le vice;

Et, souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va venger la Raison des attentats d'un Sot.
C'est ainsi que Lucile, appuyé de Lelie,
Fit justice en son temps des Cotins d'Italie,
Et qu'Horace, jettant le sel à pleines mains,
Se joüoit aux dépens des Pelletiers Romains.
C'est elle, qui m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un sot Livre,
Et, sur ce Mont fameux, où j'osay la chercher,
Fortifia mes pas, et m'apprit à marcher.

C'est pour elle, en un mot, que j'ay fait vœu d'écrire.

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dedire,
Et, pour calmer enfin tous ces flots d'Ennemis,
Reparer en mes vers les maux que j'ay commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de stile.
Je le déclare donc : Quinaut est un Virgile.
Pradon comme un Soleil en nos ans a paru.
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru.

Cotin, à ses Sermons traisnant toute la Terre,
Fend les flots d'Auditeurs pour aller à sa chaire.
Sauval est le Phenix des Esprits relevez.

Perrin... Bon, mon Esprit, courage, poursuivez.
Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie?

Et Dieu sçait, aussi-tost, que d'Auteurs en courroux,
Que de Rimeurs blessez s'en vont fondre sur vous!
Vous les verrez bien-tost, feconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,

Et d'un mot innocent faire un crime d'Etat.
Vous aurez beau vanter le Roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages:
Qui méprise Cotin, n'estime point son Roy,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foy, ni loy.

Mais quoi? respondez-vous: Cotin nous peut-il nuire?
Et par ses cris enfin que sçauroit-il produire ?
Interdire à mes vers, dont peut-estre il fait cas,
L'entrée aux pensions, où je ne prétens pas ?
Non, pour loüer un Roy, que tout l'Univers loüe,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénouë;
Et sans esperer rien de mes foibles Ecrits,
L'honneur de le loüer m'est un trop digne prix.
On me verra toûjours, sage dans mes caprices,
De ce mesme pinceau, dont j'ay noirci les vices,
Et peint, du nom d'Auteur, tant de Sots revestus,
Luy marquer mon respect et tracer ses vertus.

Je vous crois : mais pourtant, on crie, on vous menace.
Je crains peu, direz-vous, les Braves du Parnasse.

Hé, mon Dieu, craignez tout d'un Auteur en courroux, Qui peut... Quoi? Je m'entens. Mais encor? Taisez-vous !

(Ecrit en 1667.- Recueil des Contes du sieur de La Fontaine, les Satyres de Boileau, et autres pièces curieuses, 1668.)

ABBÉ CHARLES COTIN

Charles Cotin, la célèbre victime de Boileau et de Molière, naquit à Paris, en 1604, d'une famille honnête qui le fit élever avec soin, car, outre qu'il aurait pu réciter Homère et Platon par cœur, il savait encore le syriaque et l'hébreu. C'est beaucoup pour un rimeur de fadaises, et cela n'est pas indispensable à un prédicateur médiocre. Mais plaignons-le charitablement avec l'Abbé d'Olivet « d'avoir déplu à deux hommes, dont un trait de plume donnoit, à qui bon leur sembloit, une immortalité de gloire ou d'ignominie... ». Il embrassa de bonne heure l'état ecclésiastique et se fit remarquer par sa galanterie et son esprit alambiqué, dans les salons de la duchesse de Nemours, de Mme de Guise, et de la grande Mademoiselle, sans oublier l'Hôtel de Rambouillet. « C'étoit, dit Richelet, un homme assez bien fait, quoique de médiocre taille, il étoit toujours fort propre, avec une perruque blonde et bien frisée. Il avoit les yeux vifs, le visage rond, l'humeur agréable, un peu trop coquette pour un abbé, et il fréquentoit sans cesse les femmes... » Comme la plupart des ecclésiastiques mondains, pourvu d'un canonicat à Bayeux, il résigna ce bénéfice pour n'être pas astreint à la résidence; il se contenta de ses titres de conseiller, prédicateur et aumônier du roi. L'Académie française le reçut le 3 mai 1655, jalouse d'accueillir un prédicateur qui avait prêché plusieurs Carêmes et qui venait de faire paraître un traité de l'Ame immortelle. La réputation de Cotin, déjà fondée sur des ouvrages divers, sacrés et profanes, se soutint jusqu'en 1665, époque où Boileau, sollicité de montrer ses premiers essais à l'Hôtel de Rambouillet, l'y rencontra en compagnie de Ménage et de Chapelain. Artémise et Julie louèrent Boileau, tout en lui conseillant avec politesse de s'écarter d'un genre aussi décrié que la Satire. Cotin, Ménage et Chapelain appuyèrent les dames, mais sur un ton d'aigreur qui décelait l'intérêt personnel. Boileau ne put souffrir l'insistance de ces « académistes », et il se promit de tirer vengeance du premier, ami intime de Gilles Boileau, dont il prenait toujours le parti dans les différends entre les deux frères. Dans sa troisième Satire, il représenta donc l'Abbé Cotin comme un prédicateur aux sermons duquel on était assis à

son aise. Cotin, remarque l'Abbé Goujet, « loin d'imiter la modération de Cassagne, que M. Despréaux avoit piqué du même trait», ne put souffrir d'être attaqué dans le talent qui le signalait le plus à l'attention: il se vengea par la Satire des Satires, dans laquelle il reproche à son ennemi d'avoir pillé Horace et Juvénal. La même année, il fit suivre ces médiocres vers, où la rancune apparaît plus que le goût et la raison, d'un pamphlet en prose, intitulé : La Critique Désintéressée sur les Satyres du tems. Molière n'y est pas épargné. Ce dernier lui porta le coup définitif : en 1678, il l'immola sur le théâtre dans les Femmes Savantes, sous le nom de Tricotin, changé par la suite en celui de Trissotin. La riposte de Molière venait moins du ressentiment qu'avait fait naître La Critique désintéressée que de l'accusation portée par Cotin d'avoir contrefait, sous le nom d'Oronte, le duc de Montausier dans Le Misanthrope. On sait que Montausier luimême, à qui la pièce avait été communiquée avant la représentation, l'avait vantée comme un chef-d'œuvre. La scène de Trissotin et de Vadius, dans Les Femmes Savantes, était fondée sur un fait réel, déjà colporté, et l'on n'ignore pas que le fameux Sonnet à la Princesse Uranie, ainsi que le Madrigal sur un carosse de couleur amarante, figurent dans les Euvres galantes de Cotin. L'Abbé avait donc écrit le sonnet pour Mme de Nemours, et l'était allé montrer à Mademoiselle. Il achevait de le lire quand Ménage entra. Mademoiselle le lui fit voir sans en nommer l'auteur, Ménage trouva le sonnet détestable, et la scène entre les deux bonshommes prit la tournure que Molière lui a donnée. L'irascible Cotin ne pardonna pas plus à Ménage qu'à Despréaux : il fit paraître une nouvelle satire, intitulée la Ménagerie, où il raille Ménage sur sa galanterie, sa vanité et son pédantisme.

Le coup porté par Molière avait été rude, et si Cotin continua ses rimailles, il perdit du moins la réputation de gentillesse qu'il avait eue. Vers la fin de sa vie, il tomba dans une sorte d'enfance, et, comme il voulait donner à l'un de ses amis la fortune qu'il avait héritée de plusieurs testateurs, sa famille présenta une requête pour le faire mettre en curatelle, prétextant qu'il était fou. A l'exemple de Sophocle, l'Abbé pria ses juges de venir l'entendre parler. Ils y vinrent, et furent si satisfaits, lit-on dans les Additions au Bolæana, « qu'indignés de l'injustice de ses parents, ils les condamnèrent aux dépens et à une amende ». Mais peut-être a-t-on créé cette légende pour réhabiliter une mémoire trop chargée de ridicules et qui ne les méritait pas tous... Cotin mourut en 1682. On l'accabla une dernière fois de ce quatrain :

Sçavez-vous en quoi Cotin
Diffère de Trissotin?
Cotin a fini ses jours,

Trissotin vivra toujours.

Perrault, Bayle, plusieurs autres, et, de nos jours, Théophile Gautier dans ses Grotesques, ont tenté de rendre Cotin estimable. Quant à nous, convenons derechef avec le bon Abbé d'Olivet « qu'il est à plaindre de n'avoir pas eu le tranquille sort de tant d'autres écrivains, qui, dans le fond, ne valent pas mieux que lui, ou peut-être valent moins. Pendant leur vie, on les laisse jouir de la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, et, après la mort, leur mémoire est comme ensevelie avec leurs cendres dans un même tombeau ».

M. Frédéric Lachèvre, dans sa Bibliographie des Recueils Collectifs, t. III, 274, a publié une version différente et plus courte que la nôtre de la Satire des Satires, version qu'il croit être le texte primitif (1668.)

BIBLIOGRAPHIE. Paris, 1631, in-12;

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· Les regrets d'Aristée sur le trespas de Daphnis, La Jérusalem désolée, ou méditations sur les leçons des Ténèbres, Paris, 1634, in-4o; La Madeleine au désert, Paris, 1635, in-4°; Théoclée, ou la Vraie Philosophie des principes Recueil d'enigmes, Paris, 1646,

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-

Oraison funèbre
Euvres meslées,

La Pastorale

du monde, Paris, 1646, in-4o; in-12; Recueil de Rondeaux, Paris, 1650, in-12 (deux seulement de Cotin); Traité de l'Ame immortelle, Paris, 1655, in-4°; Poésies Chrétiennes, Paris, 1657, in-8°, et 1668; pour Messire Abel Servien, Paris, 1659, in-4°; contenant Enigmes, Odes, etc., Paris, 1659, in-12; sacrée, ou Paraphrase du Cantique des Cantiques, Paris, 1662, in-12; Réflexions sur la conduite du Roi, quand il prit le soin des affaires par lui-même, Paris, 1663, in-4°; Euvres galantes en prose et en vers, Paris, 1663-1665, 2 vol in-12; - Suites des Euvres galantes, Paris, 1663, in-12; Odes Royales sur les mariages des Princesses de Nemours, Paris, 1665, in-8°; · La Satire des Satires, (Paris, 1668) (réimpr. par Tricotel; Variétés Bibliographiques, Paris, 1863; par P.-L. Jacob, Paris, 1883, in-12; par l'Abbé A. Fabre, Paris, 1887, in-8°; par Frédér. Lachèvre, Rec. Collect. de Poésies, XVIIe siècle, III, 274, et par Maurice Allem, voir ci-dessous); La Ménagerie (sans nom d'auteur) à son Altesse Royale Mademoiselle, imprimée par les Antiménagistes, rue des Mauvais Garçons, à l'Enseigne de la Corneille d'Esope, chez le Pédant démonté, à Cosmopolis, s. d.; La Ménagerie, par M. L'ABBÉ COTIN, La Haye, 1666, in-12; La Critique désintéressée sur les Satires du temps, 1666, in-8°; Salomon, ou la Politique Royale, s. d. Pour les Recueils, cf. Frédér. Lachèvre, op. cit.

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CHAPELÁIN, Mélange tiré des Lettres de Chape-
PERRAULT, Parallèles, t. III; Menagiana;
BAYLE, Rep. aux Quest. d'un Provin-
Réflexions sur la Comète. BAILLET, Jugem.
D'OLIVET, Hist. de l'Acad., 123.

1677.

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